LA CHANSON DU MAL AIMÉ, POÈME DE GUILLAUME APOLLINAIRE - MUSIQUE DE LÉO FERRÉ
LA CHANSON DU MAL AIMÉ, POÈME DE GUILLAUME APOLLINAIRE - MUSIQUE DE LÉO FERRÉ
Ref.: FA5723

LÉO FERRÉ

Ref.: FA5723

Artistic Direction : JEAN-BAPTISTE MERSIOL

Label : Frémeaux & Associés

Total duration of the pack : 50 minutes

Nbre. CD : 1

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“La Chanson du Mal Aimé” [“Song of the Unpopular One”] is an outstanding oratorio by Léo Ferré, who undertook setting to music this famous poem by Guillaume Apollinaire. The anarchist poet wholly dedicated himself to writing this piece over a full year (1952-1953), eventually getting support from Prince Rainier of Monaco, who helped it see the light of day. It unveils the full musicality and poetic powers of Apollinaire as well as Léo Ferré’s vertiginous ability to compose classical music themes (at the time he was thought of being only a songwriter). Jean-Baptiste Mersiol tells us the story of “La Chanson du Mal Aimé”, which was to become Ferré’s signature song. Patrick FRÉMEAUX



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LA CHANSON DU MAL AIMÉ, POÈME DE GUILLAUME APOLLINAIRE - MUSIQUE DE LÉO FERRÉ
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  • 1
    Et je chantais cette romance
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:00:20
    2018
  • 2
    Un soir de demi-brume à londres
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:05:45
    2018
  • 3
    Lorsqu'il fut de retour enfin
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:03:46
    2018
  • 4
    Mon beau navire, ô ma mémoire
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:01:09
    2018
  • 5
    Voie lactée, ô sœur lumineuse
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:01:33
    2018
  • 6
    C'est le printemps viens-t'en paquette
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:02:20
    2018
  • 7
    Beaucoup de ces dieux ont péri
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:03:36
    2018
  • 8
    Je suis fidèle comme un dogme
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:02:51
    2018
  • 9
    Voie lactée ô sœur lumineuse 2
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:05:55
    2018
  • 10
    Les satyres et les pyraustes
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:03:41
    2018
  • 11
    L'hiver est mort tout enneigé
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:04:05
    2018
  • 12
    Les sept épées
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:05:48
    2018
  • 13
    Voie lactée, ô sœur lumineuse 3
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:01:49
    2018
  • 14
    Destins, destins impénétrables
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:03:34
    2018
  • 15
    Juin ton soleil, ardente lyre
    Léo Ferré
    Léo Ferré
    00:03:53
    2018
Booklet

fa5723 Mal Aimé


Guillaume Apollinaire
Léo Ferré
La Chanson
du Mal Aimé
Poème de Guillaume Apollinaire
Musique de Léo Ferré

La Chanson du Mal Aimé
Poème de Guillaume Apollinaire
Musique de Léo Ferré

Oratorio scénique dirigé par Léo Ferré
Version 1957


1. Contexte Historique

La chanson du Mal Aimé est une œuvre exceptionnelle dans la carrière de Léo Ferré et y tient une place vraiment à part. Si on exclut Une saison en enfer, de Rimbaud, elle est la seule à être composée sur un long poème déjà existant, mais surtout à revenir régulièrement dans sa carrière. Nous ne savons pas ce qui a poussé l’artiste à prendre la décision d’écrire une musique sur les cinquante-neuf vers (soixante si l’on compte le vers introductif) d’Apollinaire qui constituent La Chanson du Mal Aimé. Léo Ferré entreprend l’écriture de cet « Oratorio » à partir du mois de mars 1952. Ce long travail durera plus d’un an puisqu’il s’achèvera en avril 1953. On sait aujourd’hui que le compositeur y apportera quelques modifications par la suite. Quoi qu’il en soit, l’œuvre est enregistrée à la SACEM le 22 juillet 1954 sous le numéro 689 937.
Avant d’entreprendre la composition de l’œuvre, Léo Ferré a écrit à la veuve d’Apollinaire, pour lui demander « la permission » de mettre le poème en musique. Celle-ci accepta en lui renvoyant un mot que le compositeur qualifia de « gentil ». L’orchestration du poème s’avèrera colossale : il entreprendra alors un travail difficile car il s’aventurera dans un texte très complexe. On peut apercevoir sur le manuscrit de la partition originale, que le musicien a presque composé directement sa musique et il existe peu de mesures supprimées ou reprises. À cette époque Ferré ne sait pas que cette difficulté pour l’écrire ne sera qu’un début dans l’épreuve. La Chanson du Mal Aimé suivra le compositeur encore plusieurs années avant de s’éclipser pour finalement revenir dans les années soixante-dix. La Chanson du Mal Aimé est « l’œuvre » emblématique du style Ferré.
Revenons en 1953 : Léo Ferré travaille à cette époque à Radio Monte-Carlo et décide de remettre son manuscrit au comité de la radiodiffusion qui le gardera entre avril et octobre de cette même année. On peut émettre l’hypothèse que l’œuvre ne sera déposée à la SACEM qu’en 1954 pour cette raison. Après « étude », sa musique sera hélas refusée par ce comité radiophonique. La déception pour Léo Ferré est grande, à tel point qu’il n’écrira plus de musique symphonique jusqu’en 1972 : il en parlera dans la pochette Barclay de la seconde version de La Chanson du mal Aimé dans un texte intitulé « Il y a vingt ans que je n’écris plus de musique ! ». Dans ce texte il dénonce l’attitude de ses confrères qui jugent la musique des autres, alors qu’ils en écrivent eux même.
Il est certain que cette œuvre lui tient beaucoup à cœur, ainsi en 1953, Léo Ferré ne va pas s’arrêter sur cet échec. C’est lors de son passage à Paris à l’Arlequin le 17 novembre 1953, qu’il fait la rencontre de son « mécène ». Le prince Rainier de Monaco en personne est venu pour écouter son récital. À ce moment, il ne sait pas encore, que le refus qu’il vient de connaître, va être vengé. Lors d’une discussion, celui que l’on considère à ce moment là comme un simple chanteur lui parle de son Oratorio et de la musique qu’il écrit. Un rendez-vous est pris le lendemain au domicile des Ferré, où il joue en privé son Oratorio au Prince Rainier accompagné d’un pianiste. Ferré espère convaincre son auditeur et réaliser son rêve : diriger son oeuvre, sur laquelle, il a passé tant d’heures. Le prince Rainier est séduit par l’œuvre, demandant toutefois à Ferré d’en écrire une autre, car il faut davantage de musique pour un spectacle. L’artiste écrira alors La Symphonie interrompue pour remplir le futur programme.
C’est donc le Jeudi 29 avril 1954, qu’il réalise enfin son rêve. Le concert a lieu à Monte-Carlo dans la salle Garnier à 21 heures, et le programme indique : « Sous le Haut Parrainage de S.A.S Le Prince Rainier III de Monaco ». Il existe un enregistrement de ce concert qui est sorti en 2006 aux éditions « La mémoire et la mer » soit cinquante-deux ans plus tard. Si certaines biographies ont déploré le manque de trace sonore à ce jour, il faut savoir que leurs sources étaient alors inexactes. Ce concert a été enregistré sur des 78-tours Pyrales. Ce concert avait même été diffusé le 3 mai 1954 sur Radio Monte Carlo. La radiodiffusion n’avait pas accepté de produire cet oratorio à la radio, cette autre diffusion est donc la première consolation que pourrait avoir rencontré l’artiste à ce niveau.
La réalisation scénique de La Chanson du Mal Aimé est de Madeleine Ferré, seconde épouse de l’artiste. Pierre Balmain est chargé de la création des costumes qui habilleront Nadine Sautereau en femme, Bernard Demigny en Mal aimé, Henri Etcheverry en double et Jacques Douai dans le rôle de l’ange. En effet, Ferré a attribué quatre rôles autour du poème de Guillaume Apollinaire.
On confie à Ferré, l’Orchestre National et les Chœurs de l’Opéra de Monte-Carlo. En première partie, le musicien dirige sa symphonie composée en un mois et qu’il intitule : Symphonie interrompue et sous titrée : « À la recherche d’un thème perdu ». Sans doute l’empressement excuse Ferré dans ce titre qui ne manque pas d’ironie. Le compositeur quitte le devant de la scène sous une cascade d’applaudissements incessants. Il est acclamé, soutenu et enfin heureux. Un article intitulé, « Léo Ferré a été prophète en son pays » nous relate tout cela, France Soir du 3 Mai 1954, parle d’un triomphe, Nice Matin qualifie cette représentation du « Mal Aimé » comme une grande date et Le Patriote, journal monégasque fait l’éloge du compositeur et de son Oratorio. On sait aujourd’hui qu’il était question d’une nouvelle représentation du « Mal Aimé » en 1955 et que l’enregistrement de l’œuvre, suscite un intérêt auprès des maisons de disques. La seconde représentation n’aura pas lieu mais il y’aura bien un premier enregistrement officiel, celui que nous tenons ici entre nos mains.
En 1957, c’est-à-dire trois ans après la représentation de La Chanson du Mal Aimé, paraît chez Odéon le 33-tours du même nom. Ce disque de cinquante minutes sort sous la référence ODX 168 Artistique. Léo Ferré n’a jamais perçu aucune rémunération pour ce disque car lorsque la firme Odéon proposa une augmentation des royalties sur les ventes des disques à l’artiste, celui-ci refusa et demanda la faveur suivante : qu’on lui permette d’éditer La Chanson du mal Aimé en lui mettant à disposition l’orchestre et en lui permettant également de sortir un album de poésies de Baudelaire qu’il a mis en musique. Cette version du Mal Aimé est interprétée par l’Orchestre National de la Radiodiffusion française et les Chœurs Raymond Saint-Paul. Il s’agit justement de l’orchestre qu’on lui avait refusé dans ce « comité ». La maison de disque avait pu obtenir l’orchestre, puisque ce dernier était en contrat avec leur filiale anglaise, ainsi le directeur artistique avait fait les démarches pour obtenir une revanche à Léo Ferré. Il existe deux pochettes de ce disque original représentant un dessin de Hervé Morvan, fidèle aux costumes utilisés à Monte-Carlo. La première pochette est double et contient un livret de huit pages. Dans ce livret, on y trouve une « Lettre à Guillaume » que Madeleine Ferré a rédigée, les photos des interprètes, des photos de l’enregistrement prises par André Villers, le poème complet et un extrait de la partition manuscrite de Ferré. La partie dans laquelle on range le disque est faite en velours. La deuxième pochette est simple. Elle contient le même dessin et montre à l’arrière une photo de Ferré dirigeant l’orchestre avec un texte accompagnateur. Ces deux variantes du disque sont très rares, et très prisées des collectionneurs. Le disque a été réédité en 1971 par CBS qui avait racheté le catalogue des artistes français chez Odéon en 1967 et ressort sous une pochette « noir et or », sans illustration. On sait que le compositeur n’aimait pas cette réédition puisqu’elle est sortie quelques mois avant la nouvelle version prévue pour Barclay dans laquelle Léo Ferré interprète lui-même tous les rôles. Il reprocha au directeur artistique de CBS, d’être déloyal, puisqu’il utilisait l’annonce de la nouvelle version, pour vendre cette réédition. En 1957, toutefois, Il semblerait que la critique eut été assez favorable à l’entreprise de compositeur qu’est Léo Ferré. Le disque ne connaît qu’un succès d’estime, mais a le mérite d’avoir été produit comme il le souhaitait.
2. Analyse de La Chanson du Mal Aimé
La Chanson du Mal Aimé est une œuvre complexe et longue. Par définition un oratorio est une cantate contenant l’apparition de plusieurs personnages et basé sur un sujet sacré. Contrairement à l’oratorio, la cantate est de caractère plus dramatique qui lui confère un rôle d’opéra sacré sans mise en scène. L’oratorio, lui est plus lyrique. On peut alors se demander pourquoi Ferré a classifié La Chanson du Mal Aimé, comme étant un oratorio car l’œuvre semble plutôt se rapprocher de la cantate. Il est probable que selon l’interprétation de 1957 avec les chanteurs d’opéra et celle que Ferré enregistra en 1972, il y ait ambiguïté. Il y a donc une réelle difficulté à positionner l’œuvre. Au sujet de la mise en scène, il en a bien existé une lors de la représentation du 7 avril 1954 à Monaco. Il est vrai aussi que l’oratorio évolue au XXe siècle et que Ferré n’est pas le seul à inclure une mise en scène dans ce style de musique. Le sujet de La Chanson du Mal Aimé n’est pas religieux mais il est vrai que cette convention n’est plus respectée au XXe siècle. La notion d’oratorio est devenue vaste non seulement de manière générale, mais l’est également chez le compositeur. Léo Ferré avait dit plusieurs fois qu’il avait appelé son œuvre « oratorio » parce qu’il fallait qu’il la définisse, cependant cette nomination reste inscrite dans une démarche cohérente. On pourrait comparer cette Chanson du Mal Aimé à d’autres œuvres du XXe siècle comme Jeanne au Bûcher d’Honegger à cause du texte parlé. On pourrait par ailleurs s’étonner du fait que Ferré n’adhère pas du tout à la musique contemporaine car son oratorio l’est partiellement. Pourrait-on adopter l’idée qu’il refuse « TOUTE » la musique contemporaine ? On sait qu’il aimait Berg et désirait diriger Woozeck, car il pensait que cette œuvre avait toutefois du génie. Il ne faudrait donc pas non plus réduire la musique de Ferré à un système de composition désuet puisqu’il est parfois assez dirigé vers des systèmes contemporains. Si la première version ici est bel et bien chantée, la deuxième en revanche met davantage en lumière le texte lu. Il y a dans l’interprétation de l’artiste une énorme ambiguïté. La Chanson Du Mal Aimé se rapproche t-elle ainsi du mélodrame ou du Sprechgesang ? En effet, il y a une nuance. La première version ressemblerait plus à un mélodrame, la deuxième au Sprechgesang.
Il y a une contradiction dans la démarche de Léo Ferré. S’il n’aimait pas Schoenberg, pourquoi employait-t-il des procédés que ce premier aimait à utiliser ? On pourra avancer ici l’argument que dans la récitation du poème, Ferré n’a pas voulu faire du Sprechgesang (deuxième version), mais un simple récit autour du « Mal Aimé ». En effet, le chemin des influences est curieux, car si l’on pressent la diction chez Debussy, notamment dans sa gamme par ton, la forme de  La Chanson Du Mal Aimé est plus proche d’Arnold Schoenberg dans la deuxième version chantée par Léo Ferré. Il y a des exemples de changements flagrants entre la première et la seconde version. En effet des passages chantés dans la première version se transforment littéralement en forme de Sprechgesang lorsqu’ils sont exécutés dans la deuxième. La partition de La chanson du Mal aimé, ne précise pas de tonalité spécifique pour chaque passage à une exception près. En effet, celle-ci est écrite à l’aide d’altérations accidentelles, ce qui est courant dans la musique contemporaine. Nous pouvons justifier ce choix par le fait que le compositeur a sans doute voulu mettre l’accent sur certaines phrases, afin d’éclairer l’auditeur sur des mots ou des phrases précises du poème d’Apollinaire. Si l’on est dans une tonalité suggérée, Ferré se sert d’altérations accidentelles, assez souvent d’ailleurs. On peut aussi penser que pour des raisons pratiques, le compositeur a préféré écrire chaque altération dans la mélodie même. Il y a en effet dans le court passage : « Mars et Venus sont revenus » une mélodie en accords parfaits qui nous rappelle fort L’hymne à la joie de Beethoven. En effet, chose plus curieuse encore, dans la première version et la partition originale, ce sont les chœurs qui interprètent cette harmonisation avec l’Ange, tandis que les cordes la jouent dans la seconde version. Ferré a donc modifié l’orchestration de La Chanson du Mal Aimé entre les deux versions. Ce n’est pas le seul exemple, mais le plus frappant que l’on puisse relever dans l’oratorio. Il clame le texte après le thème dans la seconde version, peut-être pour le mettre plus en valeur. Il est aussi fréquent dans la seconde version que la voix ne soit pas chantée ou ni même déclamée au même moment où cela est inscrit sur la partition originale. Ferré était plus libre par rapport à la partition, tandis que les chanteurs respectaient à la lettre celle-ci dans la première version et lors de la première représentation à Monte-Carlo. Chez Ferré, la rupture de la « directionnalité » semble très intéressante, car bien que son écriture se rapproche de celle de Debussy et de Ravel, il propose une manière de rompre avec la temporalité. Léo Ferré va juxtaposer différentes rythmiques afin de les mettre au service du texte. Ainsi, il pense mettre en valeur le texte dont les ruptures sont nombreuses et sans doute permettre à l’auditeur de mieux le comprendre. Cette œuvre du « Mal Aimé » est certes écrite selon un héritage Ravelien, mais semble plutôt contemporaine en raison d’une certaine rupture de la directionnalité. Il convient cependant de mettre le lecteur en garde car ce n’est pas parce que les thèmes sont fondés sur ces ruptures, qu’il n’y a pas de directionnalité dans l’ensemble de l’œuvre. Il y a en a une puisque certains thèmes reviennent. Il faut noter cependant que la musique est bien plus souvent binaire que ternaire. Lorsque celle-ci est ternaire les changements sont plus brusques. Il n’y a pas de structure bien précise du point de vue rythmique dans la musique de Ferré, il semblerait qu’il se soit souvent attaché à illustrer le sens du texte, c’est-à-dire, mettre en valeur les situations, le lyrisme de la poésie.
Il intéressant de relever comment Ferré compose sur le brusque changement du texte. S’il compose avec des métriques ternaires 6/8 – 9/8 – 6/8 – 12/8 lorsque le poème parle de la rencontre, il la change afin qu’elle devienne binaire 4/4- 2/4 quand Apollinaire veut suivre le mauvais garçon. En effet, le premier vers parle davantage d’un état : « …vint à ma rencontre », « …me fit baisser les yeux de honte », tandis que le début du deuxième parle d’une action. On voit bien ici le raisonnement du compositeur qui consiste à utiliser des métaphores musicales en fonction du texte. En effet Ferré va utiliser ce genre de rupture tout le long de l’oratorio. Si la démarche de rupture semble cohérente, peut-on en dire autant de la structure même de la musique vis-à-vis du poème ?
Pour débuter son poème, Apollinaire propose de poser la situation initiale :
« Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour à la semblance
Du beau Phénix s’il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance »
Cette première strophe que l’on peut appeler le « vers zéro » puisqu’il est isolé et non compté comme faisant partie intégrante du poème, ne sera pas mis directement en musique par Ferré. La première version Odéon présentée ici, propose ce texte lu par Madeleine Ferré avant le commencement de la musique. La version « THE intégrale 1954 » ne le présente pas du tout, or dans la version enregistrée pour Barclay (deuxième version), Ferré a préféré réciter ce vers introductif sur les premières notes suspendues des cordes. Quoi qu’il en soit, la partition isole cette partie. Le compositeur inscrit bien ce vers « zéro » en tant que tel. On aurait tort de penser qu’Apollinaire ait composé ce poème en une fois. Ce texte fut une longue déchirure et un travail d’écriture conséquent. Bien que le début du poème suggère qu’il fût écrit au retour du poète de Londres, on remarque qu’il passe d’une année à l’autre aux vers quatorze et trente-sept avec l’apparition du printemps.
« Je me souviens d’une autre année »
Le vers cinquante-cinq aussi nous indique qu’il se trouve au mois de Juin :
« Juin ton soleil ardente lyre »
Il faut remarquer aussi qu’Apollinaire ne cesse de « jongler » entre le passé et le présent, entre sentiments, souvenirs et présent. Si l’imparfait annonce la situation initiale, c’est en revanche dans le premier vers qu’il s’attache à rendre le moment actuel en utilisant le présent de l’indicatif. Le passé composé brise la barre temporelle au vers huit (ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres). Il y a donc une réelle rupture dans les temps du poème. C’est peut-être en cela qu’il faut voir l’essence de la rupture de « directionnalité » que nous évoquions dans le musique de Ferré. Mais revenons plutôt au poème. Il s’agit de s’attacher à la structure même de celui-ci car nous pouvons le subdiviser en plusieurs parties. Cela met en évidence qu’Apollinaire n’a pas écrit ce poème en une seule fois. Il semblerait que La Chanson du Mal Aimé soit constituée de plusieurs poèmes. En effet le récit semble s’interrompre trois fois si l’on exclut les ruptures de temps. Apollinaire va jusqu’à titrer ses ruptures ou plutôt ses poèmes rattachés au récit. « Aubade », « Réponse des Cosaques Zaporogues  au Sultan de Constantinople » et les « Sept Epées ». Dès lors nous pouvons définir l’organisation du poème en sept parties principales. Les changements titrés ne sont pas en italique comme l’est le poème lorsqu’il est dit par le Mal aimé et c’est justement ce qui montre le désir de rupture de la part d’Apollinaire. En effet, le poète semble « insérer » des poèmes dans La Chanson du Mal Aimé. La complainte du Mal aimé est en italique alors que les poèmes ajoutés ne le sont pas, ce qui marque un désir de différencier deux discours : celui du Mal aimé et celui d’un poète extérieur. À noter que l’on exclut le « vers zéro » comme étant une introduction puisque celui-ci est en retrait, sans italique et non compté.
1.
Situation initiale.. « Un soir de demi-brume… … » vers 1 à 14
2.
Aubade « Chantée a Laetare un an passé » vers 15 à 17
3.
Retour du Mal Aimé « Beaucoup de ces dieux » vers 18 à 23
4.
Réponse des Cosaques Zaporogues au Sultan de Constantinople vers 24 à 26
5.
Retour du Mal Aimé « Voie lactée… » vers 27 à 41
6. Les Sept Epées vers 42 à 48
7. Situation Finale « Voie lactée » vers 49 à 59
Jusqu’à présent, hormis la version de 1954 éditée par La mémoire et ma mer, aucune édition de cette œuvre n’a été proposée avec un indexage permettant d’y voir clair dans cette structure. Nous proposons dans cette édition 15 plages (14 si l’on exclut le vers zéro). Cet indexage met en lumière les sept grands axes du poème mais aussi des différentes parties musicales incorporées par Léo Ferré dans la structure même du texte. Il faudrait un livre entier pour étudier le rapport poème/musique dans la structure de La Chanson du mal Aimé. Il convient ici de rester focalisé sur l’expressivité de la musique même, telle une œuvre de musique classique, puisqu’il s’agit bien de cela. Léo Ferré, un chansonnier de musique légère qui en réalité était bien plus que cela : un véritable compositeur de musique lyrique.
Jean-Baptiste Mersiol – novembre 2017.
© FRÉMEAUX & ASSOCIÉS 2018


Portrait de Guillaume Apollinaire
par pablo picasso photographe,
dans l’atelier de Picasso
du 11 boulevard de Clichy Paris,
en automne 1910 © Succession Picasso 2018

 


ENGLISH SUMMARY:

« La Chanson du Mal Aimé » is a truly exceptional piece in the career of Léo Ferré (1916-1993). It is a special, separate, outstanding piece in the works of this famous anarchist poet and singer from Monaco. Except for Rimbaud’s A Season in Hell, this was the only one he composed for a long pre-existing poem, which, first and foremost, was to upsurge again and again throughout his career.
After obtaining permission from poet Guillaume Apollinaire’s widow, Léo Ferré endeavoured to write this “Oratorio” in March of 1952. This long task was to require over a year of hard work as it was completed no earlier than April of 1953.
At the time Léo Ferré was working for Radio Monte-Carlo and handed his manuscript over to the Broadcast Committee, who thought of Ferré as a mere singer, kept the score until October of that year and did not accept it in the end after “studying” his case. Disappointment was so great for Léo Ferré that he wasn’t to write any more symphonic music until 1972. However, he could still count on the support of Prince Rainier, who opened the doors of Paris’ Opéra Charles Garnier for him on April 29, 1954.
« La Chanson du Mal Aimé » is the one emblematic piece of Léo Ferré’s style.
To this day, except for the 1954 version published by La Mémoire et ma Mer, no publication of this work containing an index, which allows to see clearly through its structure, has been available. In this edition we are offering fifteen tracks (only fourteen if we exclude verse zero); this indexing allows to highlight the seven main lines of the poem but also the various musical parts blended in the text’s very structure by Léo Ferré. It would take an entire book to study the connections between poem and music in the structure of « La Chanson du Mal Aimé ». It is however well suited here to remain focused on the expressiveness of the music itself, as if it were a classical music piece, because that’s what it really is. Yes, Léo Ferré the lightweight pop singer songwriter was in fact much more than this: a true composer of classical music.
Jean-Baptiste Mersiol
Adapted into English by
Bruno Blum
© FRÉMEAUX & ASSOCIÉS 2018
L’Ange : Jacques Petitjean (des petits chanteurs à la croix de bois)
Le Mal Aimé : Camille Maurane
Le Double : Michel Roux
La femme : Nadine Sautereau
Réalisation dramatique : Madeleine Ferré

 1.    Et je chantais cette romance…    0’21
 2.    Un soir de demi-brume à Londres…    5’45
 3.    Lorsqu’il fut de retour enfin…    3’46
 4.    Mon beau navire ô ma mémoire…     1’10
 5.    Voie lactée ô sœur lumineuse…    1’33
 6.    C’est le printemps viens-t’en Pâquette…    2’20
 7.    Beaucoup de ces dieux ont péri…    3’36
 8.    Je suis fidèle comme un dogme…    2’52
 9.    Voie lactée ô sœur lumineuse…    5’55
10.    Les satyres et les pyraustes…     3’42
11.    L’hiver est mort tout enneigé…    4’05
12.    LES SEPT ÉPÉES     5’48
13.    Voie lactée ô sœur lumineuse…     1’50
14.    Destins destins impénétrables…     3’34
15.    Juin ton soleil ardente lyre…     3’53
Enregistrement original 33 tours ODEON  LDX 168
« La Chanson du Mal Aimé » est un oratorio exceptionnel de Léo Ferré, qui entreprit la mise en musique du célèbre poème de Guillaume Apollinaire. Le poète anarchiste se consacra tout entier à l’écriture de cette œuvre pendant plus d’un an (1952-1953), qui vit le jour grâce au soutien actif du Prince Rainier de Monaco. Elle révèle toute la musicalité et la puissance poétique d’Apollinaire et la vertigineuse capacité de Léo Ferré à composer des thèmes lyriques (lui qui n’était alors considéré par ses pairs uniquement comme un auteur de chansons). Jean-Baptiste Mersiol nous raconte l’histoire de « La Chanson du Mal Aimé » qui est devenue l’œuvre emblématique du style Ferré.    
Patrick Frémeaux
“La Chanson du Mal Aimé” [“Song of the Unpopular One”] is an outstanding oratorio by Léo Ferré, who undertook setting to music this famous poem by Guillaume Apollinaire. The anarchist poet wholly dedicated himself to writing this piece over a full year (1952-1953), eventually getting support from Prince Rainier of Monaco, who helped it see the light of day. It unveils the full musicality and poetic powers of Apollinaire as well as Léo Ferré’s vertiginous ability to compose classical music themes (at the time he was thought of being only a songwriter). Jean-Baptiste Mersiol tells us the story of “La Chanson du Mal Aimé”, which was to become Ferré’s signature song.    
Patrick Frémeaux

 1. Et je chantais cette romance…    0’21
 2. Un soir de demi-brume à Londres…    5’45
 3. Lorsqu’il fut de retour enfin…    3’46
 4. Mon beau navire ô ma mémoire…     1’10
 5. Voie lactée ô sœur lumineuse…    1’33
 6. C’est le printemps viens-t’en Pâquette…    2’20
 7. Beaucoup de ces dieux ont péri…    3’36
 8. Je suis fidèle comme un dogme…    2’52
 9. Voie lactée ô sœur lumineuse…    5’55
10. Les satyres et les pyraustes…     3’42
11. L’hiver est mort tout enneigé…    4’05
12. LES SEPT ÉPÉES     5’48
13. Voie lactée ô sœur lumineuse…     1’50
14. Destins destins impénétrables…     3’34
15. Juin ton soleil ardente lyre…     3’53

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