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TÉMOIGNAGES SUR UNE GUERRE (DIRECTION : MADELEINE GUÉRIN & CLAUDE DUMONT)
Ref.: FA5309
Label : Frémeaux & Associés
Total duration of the pack : 2 hours 37 minutes
Nbre. CD : 3
TÉMOIGNAGES SUR UNE GUERRE (DIRECTION : MADELEINE GUÉRIN & CLAUDE DUMONT)
This 3 CD set delivers ten historical sound testimonies recorded by Pierre Guerin on the Algerian War. In French.
PAUL-EMILE VICTOR, ROBERT GESSAIN, CLAUDE LORIUS
1940 -1945
PAR HENRI ROUSSO - MICHEL WINOCK - MOHAMED HARBI
TEMOIGNAGES ET ARCHIVES 1941 - 1985 (INA)
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PisteTitleMain artistAutorDurationRegistered in
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1Marceau Gast 1Marceau GastMarceau Gast00:03:412010
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2Marceau Gast 2Marceau GastMarceau Gast00:10:362010
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3Marceau Gast 3Marceau GastMarceau Gast00:07:112010
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4Marceau Gast 4Marceau GastMarceau Gast00:12:042010
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5Marceau Gast 5Marceau GastMarceau Gast00:14:332010
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6Marceau Gast 6Marceau GastMarceau Gast00:10:482010
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PisteTitleMain artistAutorDurationRegistered in
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1Madame GaudiosoMadame GaudiosoMadame Gaudioso00:08:212010
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2Robert BotellaRobert BotellaRobert Botella00:08:102010
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3Jacques TixierJacques TixierJacques Tixier00:15:062010
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4Jean Jacques DenotJean Jacques DenotJean Jacques Denot00:08:062010
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5Joseph PortierJoseph PortierJoseph Portier00:06:052010
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1Pierre LegotPierre LegotPierre Legot00:14:132010
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2Aimé LeclercAimé LeclercAimé Leclerc00:15:312010
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3Pierre BuissonPierre BuissonPierre Buisson00:09:142010
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4Jacques BrunetJacques BrunetJacques Brunet00:14:152010
Algérie TÉMOIGNAGES SUR UNE GUERRE
ALGÉRIE 1954-1962
TÉMOIGNAGES SUR UNE GUERRE
La guerre d’Algérie… Moments de fantasmes enfouis, mélange infernal de souvenirs cruels, de regrets, de remords, surtout de revanches. Époque des illusions et de la guerre «sale», peut-être inutile… Comment une telle période surchauffée par la passion pourrait-elle être approchée froidement par les historiens ?
Benjamin Stora
Ce coffret a été réalisé grâce à la persévérance et à l’énergie de Marceau Gast. Témoin perspicace d’une époque douloureuse, il a gardé le sentiment d’une communion profonde avec toutes les personnes côtoyées depuis l’enfance. Un sentiment qui l’a animé dans ses débuts d’instituteur, dans son action au service des Centres Sociaux créés par Germaine Tillion tout comme dans ses missions d’ethnologue auprès des populations sahariennes. Son œuvre, résultat de ses nombreuses missions, est considérable. Il est décédé le 26 juillet 2010.
La guerre d’Algérie que les gouvernements français se sont obstinés à appeler les «événements» (pour des raisons juridiques qui auraient engagé d’autres rapports politiques et des obligations financières) n’est pas encore tout à fait passée dans l’Histoire. Elle demeure pour beaucoup une plaie douloureuse non cicatrisée, un souvenir d’horreurs et de regrets, et pour d’autres un oubli volontaire recouvrant à la fois d’obscurs ressentiments, sinon une totale indifférence. Grâce à l’intérêt de Patrick Frémeaux, nous avons pu réunir dix témoignages enregistrés par notre regretté Pierre Guérin et ses collaborateurs, lesquels représentent un échantillonnage éloquent, souvent cruel et émouvant sur la diversité des situations. A l’audition de ces témoignages l’on peut constater une condition commune : aucun témoin n’était au courant de la véritable situation générale du pays, chacun ignorait ce qui se passait hors du champ de ses observations immédiates. La rétention d’informations des Autorités, aggravée de campagnes d’intoxications mensongères, ne laissait publier que des nouvelles triomphales et partiales. En outre le manque de perception des responsables politiques français concernant l’Algérie, ses réalités quotidiennes et l‘affectivité de ceux qui les vivaient, engendrait un épais voile d’incompréhension, de malentendus et d’ignorances qui ont toujours brouillé le dialogue entre les deux rives de la Méditerranée. La diplomatie française, bardée de ses suffisances, de sa traditionnelle arrogance, est constamment demeurée en retard de plusieurs années sur l’actualité.
Car, cette guerre d’Algérie a été un piège pour tout le monde, qui s’est resserré d’année en année. Les malentendus étaient multiples, énormes. Les illusions résistaient à tous les raisonnements. Et les mensonges, constamment diffusés dans les médias maintenaient la confusion. Les Appelés, envoyés d’office en Algérie, ne se doutaient pas de ce qui les attendait. Partis innocents et sans préjugés, ils pouvaient devenir de féroces tortionnaires s’ils n’avaient pas la volonté franche de ne pas se laisser gagner par la violence et l‘esprit de revanche. Des commandos de volontaires faisaient le «sale travail», c’est-à-dire la torture. Ceux qui ont quelquefois évoqué leur participation à ces scènes en gardent une grande gêne et restent assaillis par leurs souvenirs. Quand ils pouvaient échapper à ce piège, c’était souvent en contournant les ordres reçus. D’autres ont eu la chance d’être dans un secteur où il ne se passait rien. Ceux qui croyaient en leur mission de «pacification», dans les SAS par exemple, faisaient l’école aux enfants, jouaient au ballon avec eux, tout en vivant à l’ombre des fusils, constamment en alerte. La pire des situations a été celle des harkis, supplétifs de l’armée française qui s’étaient ralliés soit pour échapper au terrorisme et aux exactions de l’ALN, soit pour ne pas mourir de faim. En sorte que dans une même famille, il pouvait y avoir des combattants dans le maquis, appelés les «fellaghas», et des membres engagés dans l’armée française traquant ces fellaghas qui pouvaient être leurs parents. Ces harkis qui n’ont pu s’échapper après l’armistice, furent systématiquement égorgés par milliers dès l’indépendance de l‘Algérie, car considérés comme des traîtres. Ils étaient aussi des témoins à éliminer.
Car en France, le ministre d’Etat Louis Joxe avait adressé un télégramme, le 16 mai 1962, demandant au Haut Commissaire «de rappeler que toutes initiatives individuelles tendant à l’installation en métropole des Français musulmans sont strictement interdites». Une autre directive datant du 15 juillet 1962 énonça que «les supplétifs et leurs familles débarqués en métropole en dehors du plan général seront renvoyés en Algérie». (C’était quelques 150 000 supplétifs et leurs familles, soit 800 000 à 1 million de personnes, dont, cependant, environ 85000 personnes ont trouvé refuge en France.) Les officiers SAS qui s’étaient occupés de transférer ceux qui étaient menacés diront : «Nous avons perdu notre honneur avec la fin de cette guerre d’Algérie» (Cité par B. Stora 1992, p. 85). Du côté français, l’Algérie déclarée «départements français» était un mythe nourri de caricatures folkloriques. Localement, les Français d’Algérie, bien ancrés dans leur culture avec cette assurance très méditerranéenne (à la fois naïve et viscérale), ne pouvaient imaginer devoir partir, l’armée française, forte de tous ses pouvoirs, cherchait une revanche contre le communisme après Dien Bien Phu et jouait un rôle politique auquel elle n’était pas préparée. Les Appelés se trouvaient sans conviction en face de fellaghas qui se battaient pour une idéologie martelée par le FLN. Les parlementaires français qui n’ont jamais bien compris l’Algérie, n’avaient pas de politique et d’objectifs clairs. Les opposants à la guerre d’Algérie considérés comme des traîtres étaient traqués par la police ainsi que ceux qui aidaient les réseaux FLN en France. La confusion était générale d’autant plus que les dissensions au sein du FLN étaient violentes, mais gardées le plus souvent secrètes, et que celui-ci s’imposait par la terreur dans la population civile.
Après la déconfiture de la SFIO et de Guy Mollet (Président du Conseil), le 1er juin 1958, l’Assemblée nationale consacra le général de Gaulle, président du Conseil, avec les pleins pouvoirs. Dès 1957, de Gaulle avait répondu à Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères : «Il n’y a qu’une solution : l’indépendance.» Autrement dit, de Gaulle savait ce qu’il voulait – mais pourquoi avoir tant tardé à mettre en œuvre sa politique ? Alors qu’en 1959, l’ALN était effondrée, que l’opération «Jumelles» du général Challe avait été un succès, pourquoi avoir tergiversé encore quatre années qui ont été les plus cruelles et les plus désastreuses : révolte de l’armée, création de l’OAS, exaspération des combats des deux côtés, augmentation des victimes, gâchis du plan de Constantine, rapatriement massif et dans le désordre des Français d‘Algérie, risque de guerre civile en France, pour aboutir à des accords d’Evian plutôt désastreux face à des négociateurs algériens pugnaces et obstinés ? C’est le plus grand reproche que l’on pourra faire au général de Gaulle et à son «machiavélisme» parce qu’il savait ce qu’il voulait mais, se gardait bien de le dire car ses ambitions dépassaient la guerre d’Algérie. Après s’être débarrassé de ce «fardeau», il voulait remodeler une Vème République à sa taille, abolir les pratiques politiciennes et parlementaires, s’assurer d’un pouvoir quasiment absolu pour plusieurs années, redonner à la France son rang sur le plan international. Son regard portait plus loin, mais il n’avait pas prévu les réticences des Français, leur révolte et leur désaccord.
Marceau Gast
Docteur en ethnologie, spécialiste du Sahara et des Berbères ; Directeur de recherche honoraire au CNRS ; Ancien directeur du laboratoire d’Anthropologie et de Préhistoire des Pays de la Méditerranée (LAPMO) à l’Université d’Aix-en-Provence
Marceau GAST (CD1)
Présentation
-Né le 1er juin 1927 à la Trappe de Staouéli 20 km à l’ouest d’Alger (Domaine Borgeaud)
-3 générations en Algérie
-Elève de l’école Normale d’instituteurs de Bouzarea
-1948 à 1956 : Instituteur dans diverses oasis sahariennes dont trois ans (1951 à 1954) chez les nomades touaregs
-1956 à 1960 : Responsable de la formation audiovisuelle au service des Centres Sociaux créés par Germaine Tillion
-1962 à 1969 : Ethnologue au CNRS à Alger
-Après 1970 : Anthropologue. Maître de Recherche au CNRS à Aix-en-Provence
-Directeur de recherche honoraire au CNRS
-Enregistrement 20 06 1994
Bibliographie
AMG (Arts et Métiers Graphiques), Collections ethnographiques, Touareg Ahaggar, 1959
AMG avec Jean Adrian, Mils et sorghos en Ahaggar, étude ethnologique et nutritionnelle, 1965
AMG, Alimentation des populations de l’Ahaggar, étude ethnographique, 1968
AMG avec J. L. Maubois et J. Adda, Le lait et les produits laitiers en Ahaggar, 1969
CHRPAH, Des Huwwara aux Kel Ahaggar, La saga d’une tribu nomade au Sahara central, Ministère de la culture, Alger, 2008
CNRPAH, Tikatoûtin, Un instituteur chez les Touaregs, Itinéraire d’un apprenti ethnologue, La Boussole, 2004 (édition algérienne, Alger, 2004)
CNRS Y. ASSIE (collab.), Des coffres puniques aux coffres kabyles, Paris, 1993
Moissons du désert, Utilisation des ressources naturelles au Sahara central, Paris, IBIS Press, 2000
CNRS M. GAST (sous la dir. de), Hériter en pays musulman, habus, lait vivant, manyahuli, Paris, 1987
CNRS avec François Sigaut et collab., Les techniques de conservation des grains à long terme, Leur rôle dans la dynamique des systèmes de culture et des sociétés, 1979 - 1981 - 1985
FOUCAULD Charles de et DE CALASSANTI-
MOTYLINSKI A., Textes touareg en prose, Edisud, Aix-en-Provence, 1984 (réédition critique avec traduction de S. Chaker, H. Claudot, M. Gast)
M. GAST M. et C. GUERIN (sous la dir. de) Pierre Guérin sur les pas de Freinet, IBIS Press, 2008
M. PANOFF (collab.), L’accès au terrain en pays étrangers et outre-mer, l’Harmattan, 1986
UNIVERSITE DE PROVENCE avec G. Camps, Les chars préhistoriques du Sahara, archéologie et techniques d’attelage, 1982
Compléments
«On ne s’est pas entrelacés pendant cent trente ans sans que cela descende très profondément dans les âmes et dans les corps. La profondeur de l’impact français a dépassé ici de loin les aliénations habituelles du colonialisme, de l’exploitation coloniale et du mercantilisme. Grande chance et grand malheur. Ici l’être a été touché dans ses propres moelles. D’où la violence de ce ressentiment. [...] Je crois que pour l’avenir la solution franco-maghrébine ne réside pas dans la transaction mais dans l’expiation double et partagée.»
Jacques Berque
(cité par Jean Daniel dans la préface de L’Algérie algérienne, Jean Lacouture, Témoins Gallimard, 2008)
Souvenirs de la vie chez les Touaregs
Extraits de Tikatoûtîn - un instituteur chez les Touaregs, itinéraire d’un apprenti ethnologue, Marceau Gast, La Boussole, 2004
C’était toujours pour moi un exercice très subtil de savoir quand il fallait décrocher, combien de temps il fallait rester, quelles paroles il fallait dire, et quelles limites il fallait donner à la conversation quand j’attendais une réponse afin que l’information me soit offerte, avec courtoisie et élégance, car c’était affirmer sa marque de compréhension, de distinction en phase avec la culture touarègue et ses raffinements. Si j’avais enfreint le protocole, personne n’aurait rien dit, mais chacun aurait compris que l’étranger que j’étais, n’était pas en phase avec eux, qu’il était indifférent, maladroit ou insensible à leur culture. Mon rôle était d’être patient et tout à l’écoute silencieuse de ces subtilités. Je voulais comprendre au plus profond cette société. Ce n’est pas parce que je voulais leur enseigner ma langue, le calcul et des ouvertures sur le monde que je m’octroyais aussi la tâche d’imposer ma culture et ses règles. Je sentais qu’il me fallait tout apprendre de ce petit monde raffiné, malgré l’apparence rustique de cette vie, car c’était aussi cela que j’étais venu chercher. Leurs différences m’apprenaient à mieux me définir moi-même, à mieux me situer et me comprendre. Tout cela était implicite en moi, instinctif, et préfigurait déjà l’attitude, le comportement moral que j’ai tout naturellement pratiqué bien plus tard en tant qu’ethnologue. (p. 75) […] je découvrais chez les Issendan la pauvreté, la dureté de la vie des nomades dans les vallées glacées autour de 2 500 mètres d’altitude en montagne, et la sécheresse des pâturages. Les gens, comme les troupeaux, étaient à la limite de la survie. Un orage violent s’abattant sur un troupeau de chèvres non abritées, en faisait mourir facilement un tiers. Une épidémie de rougeole ou de coqueluche atteignant les enfants, ceux-ci mouraient en série. Cette année 1952 fut une année exceptionnellement pluvieuse et le froid en montagne fut particulièrement dur. Nous campions au pied du plateau de l’Assekrem sur les terrasses étroites bordant l’oued Taroumout qui, sorti de l’Atakor, change de nom et devient l’oued Tamanrasset. En cette année 1952-53 les crues de l’oued furent violentes et particulièrement spectaculaires ; chacun se félicitait des promesses de bons pâturages à venir, mais dans cette attente tout le monde grelottait de froid et de faim, particulièrement la nuit où le thermomètre marquait parfois - 8° et jusqu’à - 12° à l’Assekrem.
J’avais comme abri une tente militaire de quatre mètres sur quatre à mât central (de style «marabout»), peu protectrice du froid et du chaud, traversée par les vents, un maigre matelas de coton et deux duvets très peu efficaces avec deux couvertures qui ne m’empêchaient pas de grelotter toutes les nuits. Les enfants qui venaient à l’école n’avaient qu’une tunique de coton indigo, très légère à même la peau et se partageaient la nuit une couverture en piqué (la danfassa), faite de vieux morceaux de tissus matelassés les uns sur les autres, en se blottissant auprès d’un petit feu de bois. (p.93) Les jeunes enfants de ce campement (une dizaine environ) étaient attentifs, respectueux et dociles. N’ayant aucune supériorité de classe, leur modestie et leur curiosité me permettaient d’aller vite dans l’apprentissage de la langue française, l’écriture et le calcul. Mon expérience précédente avait enrichi mes techniques pédagogiques, mais j’avais eu par ailleurs l’audace d’aller au siège de l’UNESCO à Paris durant les vacances scolaires, d’y présenter un rapport illustré sur l’école nomade, lequel avait été bien reçu. Après une campagne publicitaire auprès des écoles de France, je reçus donc des bons de l’Unesco offerts par les écoles sensibilisées par notre demande, qui me permirent d’acheter les outils et matériels dont j’avais besoin pour pratiquer les techniques Freinet avec efficacité. J’avais sollicité un budget de trente mille francs de l’époque pour acquérir un limographe (appareil à stencil), une imprimerie manuelle afin d’éditer un journal scolaire, des gouaches, du papier, etc., toutes choses que l’école ne pouvait m’offrir faute de quelque effort d’entreprise et d’imagination.[…] Pour gérer administrativement mes budgets, je créai une coopérative scolaire dont les enfants étaient les principaux animateurs et gestionnaires. L’édition de cartes postales sur les plus beaux paysages du pays, achetées par les touristes, fut un complément financier important à une époque où celles-ci n’existaient pas dans le commerce. Donc, avec ces nouveaux moyens, les enfants dessinaient des petites scènes reportées sur un stencil, illustré de textes de leur cru et, au bout de quelques pages d’histoires vécues au quotidien, ceux-ci devenaient, grâce à un appareil spécialement conçu par Célestin Freinet (le limographe), notre petit journal à la fois livre de lecture (appelé «Livre de vie» par Freinet), exercice de langage et d’orthographe. Mais tout ceci était précédé d’exercices au tableau noir (ensemble de quatre panneaux qui s’emboîtaient), d’écriture au brouillon, puis sur leur cahier individuel. Le même type de démarche pédagogique était pratiqué pour le calcul que les enfants assimilaient très vite et grâce à des fichiers autocorrectifs créés par la coopérative de l’École Moderne (CEL de Freinet). (p.97)
Germaine Tillion et l’Algérie
Ethnologue de formation Germaine Tillion (1907-2008) a étudié la population berbère des Aurès de 1934 à 1940, au cours de quatre séjours sur un terrain d’accès très difficile. Résistante de la première heure dans le «Réseau du Musée de l’Homme», elle est arrêtée en 1942 et, après un an de prison, est envoyée dans le camp de concentration de Ravensbrück où elle reste jusqu’en avril 1945. Après la guerre, elle oriente ses recherches vers l’étude des systèmes concentrationnaires allemand et soviétique sur lesquels elle réunit une vaste documentation. En 1955, meilleure spécialiste française des Aurès, elle est appelée par Jacques Soustelle à enquêter sur la situation des populations de la région où la rébellion se développe, elle constate la «clochardisation» des populations qu’elle avait étudiées dans les années trente, et elle l’explique, non par la faute des Français, qui sont absents de la région, mais par la simple expansion démographique. «La clochardisation, c’est le passage sans armure de la condition paysanne (c’est à dire naturelle) à la condition citadine (c’est-à-dire moderne). J’appelle «armure» une instruction primaire ouvrant sur un métier. En 1955, en Algérie, j’ai rêvé de donner une armure à tous les enfants, filles et garçons.» (La traversée du mal, p.97) Elle obtient de Jacques Soustelle, la création des Centres sociaux qui doivent offrir aux jeunes et aux adultes, femmes et hommes, des services concrets (dispensaire, secrétariat social, coopérative...) articulés à des actions éducatives (alphabétisation, formation professionnelle, sanitaire...). «Pour moi, les Centres sociaux en Algérie devaient être un escalier bien large pour que toutes les générations puissent y monter ensemble... De toutes les choses que j’ai faites dans ma vie, ce qui me tient le plus à coeur, c’est d’avoir créé les Centres sociaux en Algérie.» (Message pour l’inauguration de la Maison de quartier Germaine Tillion, à Valvert, au Puy-en-Velay, le 4 octobre 2003) A partir de 1957, l’intensité des combats est telle qu’elle cherche surtout à empêcher des exécutions, essayer de dissuader le FLN de commettre des attentats, dénoncer la torture… (Voir son livre L‘Algérie en 1957, réédité en 1961 sous le titre L’Afrique bascule vers l’avenir) «Je n’ai pas «choisi» les gens à sauver : j’ai sauvé délibérément tous ceux que j’ai pu, Algériens et Français de toutes opinions. Je n’ai ni cherché, ni (certes) désiré les périls représentés par l’entreprise qui me fut proposée en juillet 1957 : exactement, c’est l’entreprise qui est venue me tirer par la main. «Il se trouve» que j’ai connu le peuple algérien et que je l’aime ; «il se trouve» que ses souffrances, je les ai vues, avec mes propres yeux, et «il se trouve» qu’elles correspondaient en moi à des blessures ; «il se trouve», enfin, que mon attachement à notre pays a été, lui aussi, renforcé par des années de passion. C’est parce que toutes ces cordes tiraient en même temps, et qu’aucune n’a cassé, que je n’ai ni rompu avec la justice pour l’amour de la France, ni rompu avec la France pour l’amour de la justice.» (Lettre ouverte à Simone de Beauvoir, 1964, A la recherche du vrai et du juste, p.259)
L’assassinat des responsables des Centres sociaux par l’OAS
Article de Germaine Tillion, Le Monde, 18 mars 1962 La bêtise qui froidement assassine : «Mouloud Feraoun était un écrivain de grande race, un homme fier et modeste à la fois, mais quand je pense à lui, le premier mot qui me vient aux lèvres c’est le mot : bonté... C’était un vieil ami qui ne passait jamais à Paris sans venir me voir. J’aimais sa conversation passionnante, pleine d’humour, d’images, toujours au plus près du réel - mais à l’intérieur de chaque événement décrit il y avait toujours comme une petite lampe qui brillait tout doucement : son amour de la vie, des êtres, son refus de croire à la totale méchanceté des hommes et du destin. Certes, il souffrait plus que quiconque de cette guerre fratricide, certes, il était inquiet pour ses six enfants - mais, dans les jours les plus noirs, il continuait à espérer que le bon sens serait finalement plus fort que la bêtise... Et la bêtise, la féroce bêtise l’a tué. Non pas tué : assassiné. Froidement, délibérément ! ... Cet honnête homme, cet homme bon, cet homme qui n’avait jamais fait de tort à quiconque, qui avait dévoué sa vie au bien public, qui était l’un des plus grands écrivains de l’Algérie, a été assassiné... Non pas par hasard, non pas par erreur, mais appelé par son nom, tué par préférence, et cet homme qui croyait à l’humanité a gémi et agonisé quatre heures - non pas par la faute d’un microbe, d’un frein qui casse, d’un des mille accidents qui guettent nos vies, mais parce que cela entrait dans les calculs imbéciles des singes sanglants qui font la loi à Alger... Entre l’écrivain Mouloud Feraoun, né en Grande-Kabylie ; Max Marchand, Oranais d’adoption et docteur ès lettres ; Marcel Basset, qui venait du Pas-de-Calais ; Robert Aimard, originaire de la Drôme ; le catholique pratiquant Salah Ould Aoudia et le musulman Ali Hammoutène, il y avait une passion commune : le sauvetage de l’enfance algérienne - car c’était cela leur objectif, l’objectif des Centres sociaux : permettre à un pays dans son ensemble, et grâce à sa jeunesse, de rattraper les retards techniques qu’on appelle «sous-développement». Dans un langage plus simple cela veut dire : vivre. Apprendre à lire et à écrire à des enfants, donner un métier à des adultes, soigner des malades - ce sont des choses si utiles qu’elles en paraissent banales : on fait cela partout, ou, à tout le moins, on a envie de le faire. [...] Et c’était de quoi s’entretenaient ces six hommes, à 10 heures du matin, le 15 mars 1962...» Germaine Tillion
Mme GAUDIOSO (CD 2 - n° 1)
Française d’Algérie est témoin du massacre d’El Halia, le 20 août 1955
Présentation
-Née en 1913, en Corse
-En Algérie depuis l’enfance (père gendarme)
-Installée à El Halia où son mari était boulanger
-Rapatriée en France après le massacre d’El Halia en 1955
-Enregistrement 1993 par André Baur
Compléments
Les souvenirs de Loulou, le fils de Mme Gaudioso
«Ma mère évoquait toujours notre terrible histoire d’El Halia en se signant de la croix. Non pas pour bénir spécialement les morts avec sa croyance, mais parce qu’elle avait, en racontant, passé la frontière de la vie. Parce qu’elle avait, encore une fois, soulevé le rideau où, sans jamais s’arrêter, l’éternité et la mort poursuivaient notre terrifiante histoire. Puis elle lâchait, d’un coup, le rideau sur ce qu’elle venait de revoir, et se signait d’une croix comme on appuierait sur un bouton de télévision par peur de voir le reste, d’avoir osé en venir jusque-là. Nous ne cessons de refaire le voyage où est passée notre tragédie, lavant des escaliers géants, poursuivis par un torrent rouge sombre. La mort d’El Halia est devenue notre mémoire, notre parole. Nos conversations de voisinage et d’amitié se terminent depuis toujours - parmi le café, le thé, les gâteaux et les bonbons - par la gloire de notre vécu. Par la terreur d’avoir vu, d’avoir été charnellement coupés, torturés, abattus. D’avoir été empoisonnés par le mets injuste de l’histoire et d’en avoir fièrement, par pudeur, gardé l’addition. Doit-on fatalement brandir cette addition devant les yeux de ceux qui sont nés dans un pays normal et qui posent toujours cette question : Vous êtes originaire d’où ? Faut-il ne pas répondre ? Ne jamais en parler ? Se taire, se terrer dans cette morve coagulée sans surtout accuser personne ? Faut-il oublier ou s’oublier ? Mon père fut tué. Ma mère reçut un coup de couteau au bras droit. Mon village fut brûlé. Les bébés furent écrasés contre les murs. Les souvenirs s’écrasent aussi dans ma tête comme des oranges. La mort fut omniprésente. À part quelques chanceux comme moi, tous les européens d’El Halia furent massacrés ce jour-là.
Quelle est la bonne réponse, la plus simple, la moins choquante ? Car il nous faut répondre, puisqu’on nous demande d’où nous venons. Le 20 Août 1955, à midi précise, a été déclenchée une opération paramilitaire dont le but était de massacrer le plus de monde possible. Sans distinction de sexe ni d’âge, femmes, enfants, personnes âgées, devaient être tués. La première fois que je vis la machine révolutionnaire en marche - en rêve, elle représente une justice magnifique, et en chansons une poésie fraternelle, où l’autre finit toujours par devenir notre ami - la première fois que je vis la révolution, elle nous tua... Elle tua le boulanger, que la photo jaunie sur mon bureau montre en homme jeune, habillé d’une chemise grossière, d’un pantalon usé, et portant des savates. Mon père. Cette révolution tua le mineur de fer bassement payé à la journée, à la semaine ou à la quinzaine. Elle tua l’enfant qui mangeait des tartines beurrées au tube de lait concentré-Nestlé. Elle tua l’innocence, cette révolution ; et en tuant l’innocence, elle tuait le temps. Si les fellagas s’étaient attaqués à la bourgeoisie, aux riches grands propriétaires du dernier Empire français... Si le sang de la banque d’Algérie avait coulé dans le sable... La France aurait fait le nécessaire pour tuer la Révolution algérienne dans l’œuf. Les précédents ne manquent pas, du premier génocide du début de la colonisation aux fusillés de 1942 !... À El Halia, la France nous a laissés nous faire assassiner. Nous n’étions rien pour elle qu’une poignée d’hommes, de femmes et d’enfants. Je pense à un nom qui a ébloui et interpellé le petit algérien que j’étais, à mon arrivée en France : Couve de Murville ! Encore aujourd’hui, quand je le prononce, j’ai un froid qui souffle le long de ma colonne vertébrale. Interrogeant ma certitude française, j’examine ma photo sur la carte jaune marquée RF. - Couve de Murville ! La maison de France... Et moi : Gaudioso!... Petit Gaudioso... Français ? Un éclat de rire me pète au nez :
- Bâtard, va ! Me lance François 1er...
- Bâtard, me souffle tendrement la Pompadour... Seul le Gilles de Fragonard me semble prêt à venir jouer avec moi à El Halia, à chanter Colchiques dans les prés devant ma maîtresse d’école. Mais le sirocco, ce vent aride, prend la parole de sa voix de sable :
La plage de l’enfer à 10 ans du matin
Où l’homme m’a bien montré qu’il savait couper l’homme
Moi j’enjambais des cadavres et derrière un ventre frais
Je trouvais un vélo et un harmonica
J’sais pas jouer l’adulte
Depuis qu’j’ai vu tout ça...»
(El Halia ; Le sable d’El Halia, ARTI Louis, Editions comp’act, 1997, p. 19)
Sur le procès des Algériens accusés d’avoir participé aux assassinats lire absolument : Le lait de l’oranger, HALIMI Gisèle, Folio Gallimard, 1988
Robert BOTELLA (CD 2 - n° 2)
Pied-noir d’origine espagnole évoque la vie à Oran jusqu’à son départ en juillet 1962
Présentation
-Né en1931 à Oran
-3ème génération d’une famille de Pieds-Noirs d’Oran
-Instituteur
-Rapatrié à l’été 1962
-Instituteur en France
-Enregistrement septembre 2001
Compléments
Les Pieds-Noirs : une communauté ? Un peuple ?
«Une communauté historique. Je veux dire créée par l’histoire, sans unité ethnique ou culturelle au départ. Elle a développé des caractéristiques culturelles, morales, communes. C’est un peu un patchwork plus ou moins synthétisé de toutes les cultures méditerranéennes. Plus un patchwork qu’une synthèse et c’est ce qui fait la richesse de cette diversité. Cet orientalisme à l’européenne est évidemment unique.» (BT2 «Pieds-Noirs», Henri A. natif d’Aïn-Temouchent in Marie-Claude San Juan, PEMF, 2004, p. 6) Le «peuple pied-noir» d’Algérie était en fait un peuple-mosaïque : par la diversité de ses origines sociales (déclassés en tout genre par la révolution industrielle du XIXème siècle, paysans du sud de la France chassés par le phylloxéra...) ; par la variété de ses origines géographiques (Méditerranéens venant de l’Italie, de Malte, de l’Espagne, ayant accédé à la nationalité française à la fin du XIXème siècle) ; par le foisonnement de ses idées politiques (les républicains fortement imprégnés de l’idéologie laïque de la IIIe République s’opposant aux droites conservatrices) ; par l’opposition qui s’instaure entre gens des villes — les plus nombreux — et gens des campagnes ; par l’importante hiérarchisation sociale (en 1954, à peine 3 % des Français d’Algérie disposent d’un niveau de vie supérieur au niveau moyen de la métropole ; 25 % ont un revenu sensiblement égal ; 72 % ont un revenu inférieur de 15 % à 20 % alors même que le coût de la vie en Algérie n’est pas inférieur à celui de la France). Le mot le plus approprié qui sert donc à caractériser au plan historique les «pieds-noirs» est celui de contrastes. Mais les Français d’Algérie, parce qu’ils disposent du droit de vote leur permettant d’être intégrés dans la nation française, se distinguent dans le temps colonial de la masse des Algériens musulmans, privés des droits du citoyen. Cette inégalité fondamentale est la clé qui permet de comprendre comment tous les contrastes ont pu s’effacer brutalement dans le cours de la guerre d’Algérie, situation nouvelle qui favorisa l’émergence d’une forte logique communautaire (de part et d’autre), débouchant sur une dynamique de départ au moment de l’indépendance algérienne. (La gangrène et l’oubli, Benjamin Stora, La Découverte, 2007, p. 258)
La débâcle du premier semestre de 1962 et la politique de la terre brûlée de l’OAS…
«Les ratonnades se poursuivaient à Oran, où la communauté musulmane était impuissante contre l’OAS surarmée […] La population d’Alger et d’Oran qui s’entassait sur les quais […] avait vécu un enfer. Otage de l’armée secrète comme la foule de la Casbah l’était du FLN, elle avait d’abord accueilli favorablement, dans son désespoir, l’insurrection armée et la création d’un mouvement de résistance. Mais une fois les chefs de l’organisation arrêtés ou disparus… les Français avaient assisté à la reprise de l’action terroriste.»
(La guerre d’Algérie, Miquel Pierre, Le Chêne, 1993, p. 505)
Sur l’OAS voir : L’OAS Histoire d’une guerre franco-française, KAUFFER Rémi, Seuil, 2002
Mers-El-Kebir en mars 1962 (Photo Jacques Brunet)
Le «Rocher Noir»
Cité administrative de la région d’Alger où s’est installé Abderrahmane Farès, président de l’Exécutif provisoire algérien, après la signature des Accords d’Evian. C’est là que des négociations auraient eu lieu entre des membres de l’OAS et des représentants du FLN, confirmées par les premiers et démenties par le second.
Jacques TIXIER (CD 2 - n° 3)
Arrivé en Algérie en 1947, instituteur pacifiste, assiste impuissant à l’engrenage de la violence
Présentation
-Né en 1925. Parti de France en 1947 pour l’Ecole Normale de Bouzarea
-Instituteur de 1948 à 1961 dans l’Algérie profonde (Bou Saâda) puis dans la banlieue d’Alger
-Entré au CNRS (Musée du Bardo d’Alger)
-Quitte l’Algérie en novembre 1961 sous les menaces de l’OAS
-Devient Maître de Recherches au CNRS
-Enregistrement 1998
Compléments
L’enseignement en Algérie dans les années 50
«En 1954, on estimait que, parmi les musulmans, un garçon sur cinq allait à l’école et une fille sur seize. Le taux d’analphabétisme (en français) était estimé à 94 % chez les hommes et à 98 % chez les femmes.
Parfois aussi, les priorités dans l’emploi des fonds destinés à l’éducation paraissaient étranges : en 1939, Camus critiquait avec une certaine amertume la construction en Kabylie de magnifiques bâtiments scolaires, coûtant aux contribuables jusqu’à un million de francs chacun, destinés, semble-t-il, à faire leur effet sur «les touristes et les commissions d’enquête», mais dans lesquels, faute de place, on devait refuser un candidat sur cinq.» […]
En des termes qui auraient pu s’appliquer à d’autres sujets que l’éducation, un vieux Kabyle se plaignait tristement à Germaine Tillion : «Vous nous avez conduits au milieu du gué, disait-il, et vous nous y avez laissés...»
(Histoire de la guerre d’Algérie, Alistair Horne, Albin Michel, 1987, p. 62)
Les enfants à l’entrée de l’école primaire d’El-Hamel 1953 (Photo Jacques Tixier)
Henri Borgeaud 1895 - 1964
«Ce Français d’origine suisse cultive 1000 hectares dans son domaine de La Trappe [créé par les Pères Blancs cisterciens] et produit 4 millions de litres de vin par an. Il possède en partie les moulins du Cheliff, les distilleries d’Algérie, les usines de bouchons qui transforment le liège des forêts, les cigarettes bastos. Il a des parts dans les cimenteries Lafarge et les cargos algériens.» (La guerre d’Algérie, Miquel Pierre, Le Chêne, 1993, p. 29)
Georges Blachette 1900 - 1980
Avec Borgeaud et Schiaffino, l’un des hommes les plus puissants d’Algérie. D’une famille originaire de l’Ardèche et installée en Algérie depuis la conquête, il est connu comme «le roi de l’alfa». Au sud d’Oran il exploitait des milliers d’hectares, «la mer d’Alfa». Transportée à la côte par une voie ferrée que son père avait fait construire, la récolte était en grande partie destinée aux fabriques de papier britanniques et certaines années représentait 20 % de toutes les rentrées de l’Algérie en devises. L’alfa est une plante qui pousse spontanément. Il suffisait de payer une redevance aux communes sur le territoire desquelles on la récoltait. Redevance dont le montant n’a jamais été réévalué entre 1873 et 1956 ! Les ouvriers et ouvrières des champs d’alfa étaient, par ailleurs, parmi les plus mal payés et les plus misérables d’Algérie. Propriétaire de nombreuses entreprises industrielles et commerciales (Président Directeur Général de la Société algérienne des eaux, société qui assurait notamment le service de distribution des eaux de la ville d’Oran), il acheta en 1949 le «Journal d’Alger», et se fit élire à la Chambre de Députés en 1951 sous l’étiquette «Républicain indépendant» en se positionnant dans le camp des libéraux. Le «poids» de Georges Blachette en Algérie, allié à sa sensibilité de libéral, voire de progressiste, font que Pierre Mendès France voulut en 1954 lui confier le poste de secrétaire d’Etat à la Défense nationale. Il ne se représenta pas aux élections de 1956 mais resta un membre très influent du lobby algérien.
Les inégalités sociales entre quelques grandes dynasties coloniales et les «petits Blancs»
«Les 984 000 «Européens» vivant sur le sol algérien en 1954 constituaient, pour plus des trois-quarts, une population urbaine, comptant peu d’ouvriers (90 000) et une majorité de salariés, d’artisans, de commerçants, de fonctionnaires, de membres des professions libérales, dont le niveau de vie moyen était inférieur de 20 % à celui de la métropole. Les petits Blancs propriétaires de moins de 10 hectares, découragés par les épidémies dès les débuts de la colonisation, avaient été éliminés par la crise de 1929. Ils détenaient seulement 1 % des terres coloniales.» (La Guerre d’Algérie, Histoire d’une déchirure, SLAMA Alain-Gérard, Poche, 1996 p. 26)
Entre «ultras» de l’Algérie française et «révolutionnaires» du FLN, le point de vue de Jean Daniel* sur l’avenir de l’Algérie en 1957
Le colonialisme français a commis tous les crimes et nous ne cesserons jamais de les dénoncer. Mais le colonialisme est aussi un fait historique et sociologique qui engendre des réalités nouvelles. Nier ces réalités au nom de l’anti-colonialisme est non seulement une erreur primaire, mais peut devenir une tragique injustice. L’Algérie a mérité son autonomie ou, si l’on veut, son indépendance. Elle n’a pas conquis pour autant des droits à la revanche ou à la régression. Si les révolutionnaires algériens prenaient conscience de la spécificité de leur situation, de l’originalité algérienne, s’ils consentaient à reconnaître eux, enfin, à leur tour, le vrai fait national algérien, ils se rallieraient une partie surprenante des Français d’Algérie et surtout ils dissiperaient le malaise qui pèse en France sur une opinion de gauche dont ils ont tant besoin.
(Esprit «Ecrire contre la Guerre d’Algérie», Hachette Littératures, P. 218)
J. Jacques DENOT (CD 2 - n° 4)
Appelé du contingent, brigadier-chef affecté à un groupe de transport de troupes aéroportées, témoigne de l’âpreté des combats en 1961
Présentation
-Né le 06/12/1939 dans la Manche
-Appelé du contingent
-6 mois en Algérie au Groupe de Transport GT 513 affecté aux déplacements des régiments parachutistes de la 25e DP
-Instituteur dans l’est de la France
-Enregistrement 1998 par André Baur
Compléments
Les accidents dans l’armée française pendant la guerre d’Algérie
Attardons-nous sur un chiffre : celui des «morts par accident». D’après les chiffres officiels, un tiers des militaires français tués pendant la guerre d’Algérie l’a été par accident, et non au combat. Les blessés par accident représentent les deux tiers des blessés. Il s’agit ici d’accidents en tout genre : erreur de manipulation des armes, sentinelles endormies, tir à l’aveuglette, erreur de cible, et surtout accidents de la route. Plusieurs campagnes sont menées en particulier par les journaux militaires pour tenter de ralentir l’hécatombe : «De mai 1956 à avril 1957, les pertes militaires dues à des accidents divers s’élèvent à 787 tués et 9 000 blessés. Cela signifie qu’en un an, la puissance de feu de l’armée a diminué d’un bataillon et que la valeur d’une division a été immobilisée. Le chauffard est l’allié du fellagha. Le maladroit qui ne connaît pas son arme est le complice de l’ennemi.» (La gangrène et l’oubli, Benjamin Stora, La Découverte, 2007)
Bilan des pertes de la guerre d’Algérie
Dans un article du Nouvel Observateur du 28 février 2002, Jean-Paul Mari évalue à 250 000 Algériens et à 30 000 Français le nombre des morts de cette guerre meurtrière et cruelle.
Les pertes françaises
Les pertes militaires françaises - Français de métropole et d’Algérie, «Français musulmans», légionnaires - sont les mieux connues : 27 500 militaires tués et un millier de disparus. Pour les civils français d’Algérie, 1e nombre est de 2 788 tués et 875 disparus jusqu’au cessez-le-feu. Il faut y ajouter 2 273 disparus entre le 19 mars - date de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu et le 31 décembre 1962, dont plus de la moitié sont officiellement décédés.
Les pertes de la population algérienne
Elles sont très difficiles à évaluer, car les sources sont divergentes. Le général de Gaulle parlait de 145 000 victimes en novembre 1959, et de 200 000 en novembre 1960. Du côté algérien, le FLN compte en 1964 «plus d’un million de martyrs». Guy Pervillé s’est appuyé sur des données démographiques - notamment les recensements de 1954 et 1966 - pour conclure à une fourchette de 300 000 à 400 000 victimes. Xavier Yacono, dans un article paru en 1983, estime les pertes algériennes à 250 000 morts environ. Enfin, le chiffre le plus difficile à établir est celui des supplétifs musulmans - les «harkis» – dont la plupart ont été tués après le cessez-le-feu ; pour eux, les estimations varient entre 30 000 et 100 000 personnes.
Joseph PORTIER (CD2 - n° 5)
Instituteur, évoque les opérations auxquelles il a participé en Petite Kabylie et dans les Aurès et ses problèmes de conscience.
Présentation
-Né en 1934
-Appelé parachutiste, sergent 1955-1957
-Instituteur en Algérie après sa démobilisation, puis en Normandie
-Enregistrement 1992
Compléments
Les effectifs engagés en Afrique du Nord (Maroc et Tunisie compris)
Les chiffres qui suivent concernent l’AFN : l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. En 1954, les effectifs militaires représentent environ 50 000 hommes, 38 % sont des appelés pour 18 mois de service. En 1955, ces effectifs passent à 100 000 hommes, du fait de la guerre d’Algérie. En 1956, le rappel sous les drapeaux monte les effectifs militaires à 200 000 hommes. En 1957, le maintien sous les drapeaux de 18 à 30 mois permet un effectif militaire de 400 000 hommes, 57 % sont des appelés. Entre 1952 et 1962 ce sont 1 343 000 appelés ou rappelés et 407 000 militaires d’active (soit 1 750 000 militaires) qui participeront «au maintien de l’ordre en Afrique du Nord», opérations qui seront reconnues «Guerre d’Algérie» le 5 octobre 1999. Sources : Jean-Pierre Masseret secrétaire d’Etat à la défense et ONAC (Office national des anciens combattants) Les désertions demeurent fort rares en Algérie, à peine 379 entre novembre 1954 et février 1962 pour les hommes du contingent, pour 6055 Nord-Africains et 3135 légionnaires ayant déserté. (d’après Soldats en Algérie, Autrement, 2000, p. 42)
Témoignage d’Etienne Boulanger qui refuse de servir en Algérie
«Je n’étais pas antimilitariste ni objecteur de conscience. Après avoir pris ma décision, j’en ai parlé à des responsables du parti [communiste]. Ils m’ont demandé si j’aurais le courage d’aller jusqu’au bout. C’était difficile de s’engager dans cette voie en sachant qu’on allait faire deux ans de prison, plus les vingt-huit mois de service dont on n’était pas dispensé. Le Parti communiste n’a jamais encouragé à l’insoumission, à la désertion. Il a toujours dit que la place des soldats, ce devait être dans l’armée. Malgré tout, le Parti soutenait les jeunes qui s’opposaient pour des raisons de conscience à la guerre d’Algérie. A l’époque, mon opinion sur le FLN était qu’ils avaient raison. Ils se battaient pour leur indépendance et on ne pouvait que les approuver.» (La Guerre sans nom, Rotman, Tavernier, p. 210)
L’affaire Iveton
D’après Gisèle Halimi «Le lait de l’oranger» Le 14 novembre 1956, Fernand Iveton, jeune tourneur à l’Electricité et Gaz d’Algérie, est arrêté dans l’usine du Hamma où il travaille, alors qu’il règle un engin explosif à retardement. La minuterie marque dix-neuf heures trente, une heure où les locaux sont à coup sûr déserts. Membre du Parti communiste algérien dissous, Iveton explique devant le Tribunal militaire qu’il se bat pour l’indépendance du peuple colonisé, qu’il a pris, comme chacun dans son groupe, l’engagement de ne jamais faire un geste fatal à une vie humaine, que son acte est destiné à attirer l’attention et cela seulement. Le Parti Communiste français, qui condamne «l’aventurisme politique», refuse de le défendre à son procès. Maître Lainé, avocat au barreau d’Alger, par ailleurs partisan de l’Algérie française, a beau faire valoir qu’on n’a jamais, de mémoire d’annales judiciaires, infligé de peine capitale pour celui qui ne blessa, ne tua, ni ne voulut le faire, Ferdinand Iveton est condamné à mort et guillotiné à Alger le 11 février 1957.
Pierre LEGOT (CD 3 - n° 1)
Rappelé en 1956, tente d’échapper à la logique de la guérilla.
Présentation
-Né en 1931
-Officier de réserve rappelé en Algérie en 1956
-Passe 6 mois en Kabylie
-Instituteur
-Enregistrement mai 1992
Compléments
(Photo Pierre Legot)
Le mouvement des rappelés 1955 - 1956
Les décrets du gouvernement Edgar Faure (21mai 1955 puis 24 et 28 août) rappellent sous les drapeaux les hommes de la classe 1953-2 (appelés au service actif au second semestre 53) et maintient sous les drapeaux, au-delà des 18 mois, le contingent 1954-1. Au 1er décembre 1955, les effectifs de l’armée de terre sur le terrain passent de 100 000 hommes à 160 600. En 56, le gouvernement Guy Mollet généralise le maintien sous les drapeaux. «Commence alors un mouvement de contestation spontané. Il surprend à la fois l’opinion et l’Etat, et évoque, en mineur, les mutineries de 1917, bien qu’il s’agisse avant tout d’actes d’insubordination temporaires. […] Cette grave crise du moral correspond à un rejet de cette nouvelle épreuve coloniale sans ennemi désigné. […] Seuls les Français qui résident [en Algérie] ont en majorité le sentiment de défendre leur foyer, à l’inverse des métropolitains casaniers, héritiers d’une longue tradition paysanne, qui considèrent l’envoi en Algérie comme une corvée. Les rappelés de 1955 sont les premiers à exprimer leur mauvaise humeur.» (Harbi-Stora, p. 136) Manifestations de 600 disponibles à la gare de Lyon (11 sept 55), de 300 soldats à Biscarrosse (Landes), de 3 compagnies à Rouen. Les convois par train jusqu’à l’embarquement entraînent des incidents plus graves : en gare de Valence, en gare de Grenoble, avec le soutien de la population (le 18 mai)… Une partie de la presse et les cadres retiennent les explications toutes faites : abus de boisson, rôle du Pari communiste, du Mouvement pour la paix. En réalité on constate une «absence de manipulation venue de l’extérieur. Les sympathisants accompagnent et ne précèdent pas ces gestes d’humeur qui, par leur spontanéité, échappent à toute logique» (La guerre d’Algérie - la fin de l’amnésie 1954-2004, Mohamed Harbi – Benjamin Stora, Robert Laffont, 2004)
Témoignage de Jean Manin, rappelé en novembre 1954
«On nous a fait prendre le bateau à Port-Vendres, car il y avait beaucoup de manifestations à Marseille. On a embarqué dans un endroit désert. Jusqu’à l’embarquement, on a manifesté. Je me rappelle la prise d’armes dans la cour de la caserne : les gars chantaient Le Déserteur, je ne connaissais pas encore ce chant à l’époque. L’hostilité des rappelés était totale. Lors de la prise d’armes, les gars refusaient de présenter les armes, j’étais de ceux-là ; d’autres montaient la crosse en l’air. On hurlait contre la guerre. C’’était énorme. Les officiers ne disaient rien, ou plutôt je me souviens de l’un d’eux qui disait : «faut le laisser faire. Quand ils auront eu un des leurs tué, à ce moment-là ils se mettront à faire la guerre.» (La guerre sans nom : les appelés d’Algérie (1954-1962), Patrick Rotman et Bertrand Tavernier, Poche, 2001, p. 44)
Ce mouvement de révolte s’apaise peu à peu
«Découverte des rudes contingences de la guerre et isolement sur une terre exotique» (p.156, Harbi-Stora) «La Patrie est au combat. Le devoir est simple et clair» affirme René Coty, président de la République, à Verdun, le 23 juin 56. «L’absence de tout soutien politique d’envergure pour ces manifestations spontanées et incontrôlées les voue à l’échec. Le premier appel à l’insoumission, dans le dernier quart d’heure de la guerre d’Algérie, date seulement du 6 septembre 1961, signé par 121 intellectuels. En 1955-56, aucun grand parti ne prend ouvertement le risque d’appeler des soldats de France à la désobéissance. Le PCF encourage seulement les protestations de civils, tout en favorisant le noyautage des unités formées d’hommes du contingent. Nombre de rappelés nous ont confié qu’ils gardaient l’impression, pour les plus radicaux d’entre eux, engagés dans une démarche contestataire, d’avoir été lâchés par les politiques mais aussi par la presse [...] De plus la désertion est un acte aux graves conséquences, un saut vers l’inconnu conduisant à une vie de paria. Elle mène généralement en Suisse via le réseau des « porteurs de valises ». Même en temps de paix, ce qui évite le peloton d’exécution puisqu’il ne s’agit officiellement en AFN que du maintien de l’ordre, la désertion implique l’impossibilité d’être amnistié.» (Harbi-Stora, p. 158)
Aimé LECLERC (CD 3 - n° 2)
Appelé, officier dans le sud oranais, considère qu’en 1959 l’armée a mené à bien la pacification
Présentation
-Né en 1933 à Loupiac (Aveyron)
-Incorporé à Castres en 1957
-EOR à Saumur
-Sous-lieutenant à Nîmes
-Du 01/07/59 au 01/02/60 dans un régiment de Blindés Coloniaux à Eugène Etienne dans la région de Tlemcen
-Instituteur en Aveyron puis directeur d’école à Nevers de 1978 à 1989
-Enregistrement 2001
Compléments
Les SAS, sections administratives spécialisées
La SAS, puisque ainsi on la désignera, est d’abord et surtout le chef de SAS. Son rayonnement et son succès seront très largement tributaires de la personnalité de ce jeune officier, lieutenant ou capitaine. La mission de celui-ci est double : administrer et renseigner. Désormais, les populations, souvent regroupées près de lui par la suite, trouvent à proximité les services qu’elles devaient souvent aller chercher très loin : un dispensaire avec un médecin, une école jouxtant ses locaux. Une action humanitaire plus localisée et plus poussée peut ainsi être engagée. Soldat, le chef de SAS a une seconde mission militaire. Au contact de la masse musulmane, il doit pouvoir collecter renseignements et informations. Son petit groupe de supplétifs musulmans, le maghzen, lui permet de mener des actions de police et de sécurité. Les officiers SAS, venus pour beaucoup de l’arme blindée de cavalerie, seront, dans l’ensemble, de qualité. 73 officiers SAS paieront de leur vie leur rayonnement. (La guerre d’Algérie, Pierre Montagnon, Pygmalion, 1984)
La politique de regroupement, à partir de 1957, témoignage de François Sikirdji, sous-lieutenant médecin, 1961 - 1962
«Mon poste était accolé à un camp de regroupement où l’on avait fixé une tribu nomade, les Ouled Nea Geraba. Le camp était entouré de barbelés, on interdisait à ces gens de bouger, puisque nous étions en zone interdite. Ils étaient là, sans possibilité de travailler : avant ils avaient des troupeaux de moutons. Il en mourait beaucoup, car l’aide sanitaire était très insuffisante. Je n’avais pas la possibilité de pratiquer des soins lourds. Donc la mortalité infantile était catastrophique. Des accouchements, j’en ai pratiqué beaucoup sous la tente – la «raïma». Les résultats étaient catastrophiques, les mortalités maternelles et infantiles étaient importantes. L’isolement était total et je n’avais pas droit aux évacuations sanitaires – On m’a toujours refusé les évacuations civiles. C’était horrible ; ces gens étaient obligés de rester et de mourir sur place, sans soins intensifs.» (Rotman-Tavernier, p. 242) En février 1959, un rapport est remis par Michel Rocard, jeune inspecteur des finances à Paul Delouvrier délégué général du gouvernement en Algérie. Il dénonce la situation de «un million de personnes, dont énormément de femmes et d’enfants, parquées dans des conditions innommables.» La mortalité y est effrayante. Publiés dans «France Observateur» et dans «Le Monde», à la suite d’une fuite provenant du cabinet du garde des Sceaux des extraits du rapport font un tel scandale que 100 millions de francs de l’époque sont débloqués pour nourrir les populations déplacées. Tout nouveau regroupement de population est interdit, sauf autorisation du délégué général. Le regroupement rendait indéniablement la vie beaucoup plus difficile pour l’A L N. mais comme souvent dans la guerre d’Algérie, la politique française se trouvait prise dans une situation paradoxale et insoluble : ce qui était bon sur le plan militaire était mauvais sur le plan politique et vice versa.
Pierre BUISSON (CD 3 - n° 3)
Dans le génie, en 1957, à la frontière algéro-marocaine
Présentation
-Appelé en Algérie de 1957 à 1958 (Génie militaire)
-Referendum de septembre 1958
-Enregistrement 1995
Compléments
La ligne Morice
C’est d’abord à la frontière marocaine que fut expérimenté le premier barrage, sous l’autorité du général Pédron, commandant le corps d’armée d’Oran. Dès le mois de juin 1956, un simple réseau de barbelés fut construit entre la frontière et la route nationale n° 7, dans le secteur côtier tenu par la demi-brigade de fusiliers marins (DBFM) près de Nemours. Renforcé à partir de novembre 1956, il fut perfectionné par le minage et par l’électrification (réalisée sur 10 km en janvier 1957). Le ministre de la Défense nationale du gouvernement Bourgès-Maunoury, André Morice, décida le 26 juin 1957 de généraliser cette expérience de façon à réaliser en quelques mois le bouclage des deux frontières. A l’Ouest, la «ligne Pédron» s’éloignait de la frontière marocaine sur les hauts plateaux arides couverts d’une steppe d’alfa, pour aller protéger la route et la voie ferrée reliant Oran à Colomb-Béchar dans leur traversée de l’Atlas saharien. A l’Est, où tout était à faire, la « ligne Morice » suivait et protégeait également la route et la voie ferrée de Bône à Souk-Ahras et Tébessa, ce qui permit sa réalisation en trois mois. Les espaces qui s’étendaient entre les barrages et les frontières furent transformés en «zones interdites», dont les habitants étaient regroupés autour des postes militaires ou évacués. («La ligne Morice en Algérie, 1956-1962», Des murs et des hommes, Guy Parvillié, Panoramiques 67, 2004)
Jacques BRUNET (CD 3 - n° 4)
Sursitaire, arrivé en Algérie à la fin de 1961
Présentation
-Né le 18 avril 1933
-Sursitaire jusqu’à 27 ans Titulaire du CAPES en mars 1960
-Incorporé à Toul le 4 mai 1960
-Secrétaire d’Etat-Major au CIT de Toul (Maréchal des Logis)
-Maintenu sous les drapeaux du 1er novembre 1961 au 7 juillet 1962 (Total 27 mois)
-En Algérie au Groupe de Transport 509, à Legrand (30 km d’Oran) du 25 octobre 1961 au 8 mars 1962
-Du 9 mars 1962 au 7 juillet 1962 : camp de Sissonne, toujours dans une unité du Train, mission prioritaire : accueil en gare des premiers régiments ramenés d’Algérie en France (opération «Cigogne»)
-Professeur de Lettres classiques
-Enregistrement 1997
Compléments
Stupéfaction d’Etienne Boulanger
«Moi, j’ai vu un de mes camarades dans mon régiment ; il était aux Jeunesses communistes, marié, père d’un enfant… Un jour, je l’ai surpris à pratiquer la torture avec le capitaine […] C’était la baignoire […] Je savais que les troupes spécialisées le faisaient, mais je ne croyais pas qu’un jeune du contingent puisse faire cela […] (Il essaie d’expliquer) On avait vingt ans. Le fait d’avoir une arme, d’avoir la force, ça le valorisait peut-être. Il se sentait un homme parce qu’il avait le pouvoir.» (Rotman-Tavernier, p. 215)
Tout le monde savait
«Personne, à mon avis, n’ignore dans l’armée l’existence de tortures et qu’il se passe des choses lamentables. Il en a qui l’acceptent consciemment et qui y ont recours, parce que pour eux c’est quelque chose d’efficace et de pratique : le problème de la torture se pose en effet, pour beaucoup, sous l’angle du rendement.» (Témoignages de 4 officiers recueillis par Robert Barrat pour Témoignage chrétien, 18 décembre 1959) Pourtant, à part de très rares exceptions, les pouvoirs publics ont régulièrement nié les faits dénoncés. «Le ministre de la Défense nationale [Maurice Bourgès-Maunoury] a prescrit systématiquement des enquêtes à l’égard de tous les faits portés à sa connaissance directement ou indirectement par la voie de la presse. Toutes les enquêtes ont démontré que les faits étaient inexistants ou considérablement grossis ou déformés.» (Les crimes de l’armée française, Algérie 1954-1962, réuni par Pierre Vidal-Naquet, Le Monde - dossier, 15 mars 1957) On n’était pas d’accord, moi en particulier, pour la «soumission à l’autorité», parce que dans la plupart des cas de tortures, il n’y a pas eu de pression de l’autorité, ni d’ordre donné, mais un engrenage : la propagande + l’absence de réflexion politique et morale + racisme etc. C’est beaucoup plus vicieux qu’un «ordre donné».
Jacques Brunet
© 2010 Paroles Images et Sons / 2011 Frémeaux & Associés
CD1
1 Marceau Gast 1 3’44
2 Marceau Gast 2 10’36
3 Marceau Gast 3 7’10
4 Marceau Gast 4 12’03
5 Marceau Gast 5 14’34
6 Marceau Gast 6 10’48
CD2
1 Madame Gaudioso 8’18
2 Robert Botella 8’07
3 Jacques Tixier 15’04
4 Jean-Jacques Denot 8’03
5 Joseph Portier 6’04
CD3
1 Pierre Legot 14’10
2 Aimé Leclerc 15’28
3 Pierre Buisson 9’15
4 Jacques Brunet 14’15
Chronologie indicative
1954
Octobre : Création du Front de Libération Nationale (FLN)
1er novembre : 70 attentats marquent le début de la guerre
5 novembre : Envoi de renforts, François Mitterrand : «contre les séparatistes, ça ne peut être que la guerre»
1955
26 janvier : Jacques Soustelle est nommé gouverneur général d’Algérie
31 mars : état d’urgence dans les Aurès et la Grande Kabilie
18-24 avril : La conférence de Bandoeng exprime sa solidarité avec l’Algérie combattante
16 mai : Les effectifs de l’armée française en Algérie sont portés à 100 000 hommes. L’Assemblée générale de l’ONU vote l’inscription de l’affaire algérienne à l’ordre du jour
20 août : Massacre d‘El Halia et répression
30 août : état d’urgence dans l’ensemble de l’Algérie
Novembre : Création des SAS, Sections administratives spécialisées
1956
11 mars : Pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet
11 avril : Le service militaire est porté à 27 mois, 70 000 «disponibles» du contingent de 1953 sont rappelés
18 mai : 19 appelés français, tués à Palestro
20 août : Congrès du FLN à la Soummam (Kabylie)
Septembre : Les effectifs militaires sont portés à 600 000 hommes en Algérie.
2 - 5 novembre : Expédition de Suez.
1957
7 janvier : Début de la bataille d’Alger
26 février : Le journal l‘Humanité dénonce l’utilisation de la torture par l’armée française. Un mois plus tard, le général Jacques de La Bollardière demande à être relevé de son commandement en Algérie
28 mai : Massacre de la population civile du douar Melouza par le FLN : 301 morts et 14 blessés
1958
8 février : Bombardement par l’aviation française de Sakhiet-Sidi-Youssef en Tunisie : 70 morts dont 21 enfants d’une école
15 avril : Crise ministérielle en France
13 mai : Insurrection à Alger. Un Comité de salut public est créé sous la présidence du général Massu. Appel au général de Gaulle
4 juin : Discours de de Gaulle aux Européens d’Alger : «Je vous ai compris»
28 septembre : Approbation par référendum de la constitution de la Vème République (79 % de oui en métropole, 95 % en Algérie)
1959
6 février : Début du «plan Challe» de pacification
16 septembre : De Gaulle proclame le droit des Algériens à l’autodétermination par référendum, propose sécession, francisation, association
1960
5 septembre : Discours de de Gaulle, «L’Algérie algérienne est en route»
6 septembre : Publication du «Manifeste des 121» sur le droit à l’insoumission en Algérie
9/12 décembre : Manifestations de soutien au FLN et au GPRA, à l’occasion d’une visite de de Gaulle en Algérie
1961
8 janvier : Référendum sur le droit à l’autodétermination du peuple algérien (75 % de oui)
Fin janvier : Création de l’Organisation armée secrète (OAS)
26 avril : échec du putsch des généraux à Alger
17 octobre : Répression sanglante d’une manifestation pacifique de plusieurs dizaines de milliers d’Algériens dans les rues de Paris : des dizaines de morts et des centaines de blessés
Automne : Multiplication des attentats de l’OAS en Algérie
1962
8 février : Manifestation et répression à Paris : 8 morts et plus de cent blessés au métro Charonne
15 mars : Assassinat par l’OAS de six responsables des Centres sociaux
16 mars : Signature des accords d’Evian
19 mars : Cessez-le-feu en Algérie
26 mars : à Alger, les troupes françaises ouvrent le feu sur une foule d’Européens qui manifestent contre les accords d‘Evian : 46 morts et 200 blessés
5 juillet : Proclamation de l’indépendance de l’Algérie
Eléments de bibliographie
ARTI Louis, El Halia, Le sable d’El Halia, L’ActMem /Comp’act, 1997
Bachaga BoualAm, Mon pays, la France, France-Empire, 1962
BECARRIA Laurent, Hélie de Saint-Marc, Perrin, 1989 (rééd. «Tempus», 2008)
Brana Pierre, Mémoires d’un appelé en Algérie, Sud Ouest, 2008
Courrière Yves, La guerre d’Algérie, Fayard, 2001
Dard Olivier, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2005
Duquesne Jacques, Pour comprendre la guerre d’Algérie, Poche, 2003
GAST Marceau, Alimentation des populations de l’Ahaggar : étude ethnographique, Arts et métiers graphiques, 1968
GAST Marceau (sous la dir. de), Hériter en pays musulman : Habus, lait vivant, manyahuli, CNRS, 1987
GAST Marceau, Tikatoûtîn - un instituteur chez les Touaregs, itinéraire d’un apprenti ethnologue, La Boussole, 2004
GAST Marceau, Moissons du désert : Utilisation des ressources naturelles en période de famine au Sahara central, Ibis Presse, 2005
GAST Marceau, PIERRE GUERIN sur les pas de Freinet, + un cd audio (avec Madeleine et Claudie Guérin), Ibis Presse, 2007
HALIMI Gisèle, Le lait de l’oranger, Gallimard, 1988
Harbi Mohammed et Stora Benjamin (sous la dir. de), La guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie, Robert Laffont, 2004
Horne Alistair, Histoire de la guerre d’Algérie, Albin Michel, 1987
JAUFFRET Jean-Charles, Soldats en Algérie 1954-1962, Expériences contrastées des hommes du contingent, Autrement, 2000
Lacouture Jean, L’Algérie algérienne, fin d’un empire, naissance d’une nation, Gallimard, 2008
MAYER René, Algérie, Mémoire déracinée, L’Harmattan, 1999
Montagnon Pierre, La guerre d’Algérie, Pygmalion/Gérard Watelet, 1984
Miquel Pierre, La guerre d’Algérie, Fayard, 1993
MUSSO Frédéric, L’Algérie des souvenirs, La Table ronde, 1976
Planche Jean-Louis, Sétif 1945, histoire d’un massacre annoncé, Perrin, 2006
Reggui Marcel, Les massacres de Guelma, La Découverte, 2008
Rotman Patrick et Tavernier Bertrand, La guerre sans nom : les appelés d’Algérie (1954-1962), Poche, 2001
Saint-Marc (Hélie Denoix de), Les Champs de braises, Mémoires (avec Laurent Beccaria), Perrin, 1995
Saint-Marc (Hélie Denoix de), Les Sentinelles du soir, Les Arènes, 1999
Saint-Marc (Hélie Denoix de), Indochine, notre guerre orpheline, Les Arènes, 2000
SLAMA Alain-Gérard, La Guerre d’Algérie, Histoire d’une déchirure, Poche, 1996
Stora Benjamin, Appelés en guerre d’Algérie, Découverte Gallimard, 1997
STORA Benjamin, Histoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, 2004
STORA Benjamin, La gangrène et l’oubli, La Découverte, 2007
TILLION Germaine, L’Afrique bascule vers l’avenir, Tiresias, 1999
Le livre blanc de l’armée française en Algérie, ouvrage collectif, Contretemps, 2001
De très nombreux témoignages individuels ont paru (voir un recensement dans Pierre Miquel, op.cit.)
Quelques œuvres romanesques
Albert Bensoussan, Georges Buis, Maurice Clavel, Mohammed Dib, Malek Haddad, Mouloud Mammeri, Marcel Moussy, Algérie, les romans de la guerre, Omnibus, 2002
Maïssa Bey, Entendez-vous dans les montagnes, L’Aube, 2002
Daniel Zimmermann, Nouvelles de la zone interdite, Le Cherche Midi, 1988 (souvent réédité et adapté au théâtre)
Le passé n’est ni mort ni enterré,en fait il n’est même pas passé. William Faulkner
Ecouter ALGÉRIE 1954-1962 TÉMOIGNAGES SUR UNE GUERRE (livre audio) © Frémeaux & Associés / Frémeaux & Associés est l'éditeur mondial de référence du patrimoine sonore musical, parlé, et biologique. Récompensés par plus de 800 distinctions dont le trés prestigieux Grand Prix in honorem de l'Académie Charles Cros, les catalogues de Frémeaux & Associés ont pour objet de conserver et de mettre à la disposition du public une base muséographique universelle des enregistrements provenant de l'histoire phonographique et radiophonique. Ce fonds qui se refuse à tout déréférencement constitue notre mémoire collective. Le texte lu, l'archive ou le document sonore radiophonique, le disque littéraire ou livre audio, l'histoire racontée, le discours de l'homme politique ou le cours du philosophe, la lecture d'un texte par un comédien (livres audio) sont des disques parlés appartenant au concept de la librairie sonore. (frémeaux, frémaux, frémau, frémaud, frémault, frémo, frémont, fermeaux, fremeaux, fremaux, fremau, fremaud, fremault, fremo, fremont, CD audio, 78 tours, disques anciens, CD à acheter, écouter des vieux enregistrements, cours sur CD, entretiens à écouter, discours d'hommes politiques, livres audio, textes lus, disques parlés, théâtre sonore, création radiophonique, lectures historiques, audilivre, audiobook, audio book, livre parlant, livre-parlant, livre parlé, livre sonore, livre lu, livre-à-écouter, audio livre, audio-livre, lecture à voix haute, entretiens à haute voix, parole enregistrée, etc...). Les livres audio sont disponibles sous forme de CD chez les libraires et les disquaires, ainsi qu’en VPC. Enfin certains enregistrements de diction peuvent être écoutés par téléchargement auprès de sites de téléchargement légal.