« On ne peut qu’être bluffé » par Chant… Songs

« En un coffret de 6 CD, L’Intégrale Aznavour – J’me voyais déjà 1948-1962 retrace la jeune carrière d’un artiste qui ne connut pas d’emblée le succès. Lors d’une interview, Jacques Canetti, le découvreur de toute une génération d’artistes, m’avoua qu’il avait « raté » Aznavour car il n’aimait pas « son timbre de voix. » Il ne fut pas le seul à ne pas donner d’emblée sa confiance à l’interprète de Sur ma vie. Il faudra tout le pouvoir d’une Edith Piaf pour le faire monter en première ligne. C’est elle qui lui offrit le surnom de « génie con ». Dans L’Intégrale Aznavour – J’me voyais déjà 1948-1962, on retrouve les débuts de l’artiste en duo avec Pierre Roche, qui composait les musiques, et avec lequel il fera vraiment ses armes et débutera sa carrière au Québec. Déjà le coup de griffe est là avec J’ai bu, un texte ciselé sur les dérives alcoolique et amoureuses ; l’étonnant Feutre taupé, qui est un rap avant l’heure, et qu’ils donneront à la radio pour la première fois en 1948, ou encore Il pleut.
Après la séparation avec Pierre Roche qui s’était mariée au Canada, c’est encore poussé par Piaf que Charles Aznavour revient en France pour, à force de travail, faire entendre sa voix et imposer son style. Avec Piaf, il va apprendre les ficelles du métier, embarqué qu’il fut dans la tournée 1950 comme secrétaire et homme à tout faire avant d’assurer sa première partie. C’est elle encore qui le poussera à refaire son nez dans une clinique de Manhattan lors de leur passage aux États-Unis lui lançant un rien cruelle, selon le propre témoignage d’Aznavour, quand elle le retrouva opéré : « Tu étais mieux avant… ». Après avoir rencontré Gilbert Bécaud et écrit une douzaine de chansons avec lui, après ne pas avoir été accepté chez les Compagnons de la chanson, Aznavour va petit à petit comprendre qu’il faut compter avec son propre talent et devient assez confiant, comme le rappelle le livret du coffret, pour composer ses propres musiques. Dès l’écoute de ces chansons, on ne peut qu’être surpris par la riche palette d’un auteur-compositeur-interprète qui marque de sa voix les ondes avec aussi bien des rythmes brésiliens (Dolorès, une chanson d’amour un brin misogyne) que signer une chanson aussi ciselée que Trousse-chemise. Déjà l’aura d’Aznavour dépasse les frontières de l’Hexagone et un disque en témoigne où l’on retrouve aussi bien un classique tzigane (Two Guitars) qu’un autre classique à l’accent martial (March of the Angels) que des adaptations de ses chansons en espagnols (Vivir junto a ti; Esto es formidable) en italien ou en allemand (avec des versions étonnantes).
Travailleur infatigable, Aznavour fait aussi ses premiers pas au cinéma avec, en 1960, Tirez sur le pianiste, devenu un classique signé François Truffaut. Un an plus tard, Un taxi pour Toubrouk, de Denys de la Patelière lancer définitivement sa carrière cinématographique qu’il gérera jusqu’à la fin de sa vie avec une grande intelligence et une grande perspicacité. Certaines chansons présentes dans ce coffret témoignent aussi de son implication dans les musiques de film comme Pourquoi viens-tu si tard ? du film éponyme de Henri Decoin. In fine, on ne peut qu’être bluffé par le souffle d’un artiste qui se bat pour être en haut de l’affiche. L’avenir a prouvé qu’il avait le souffle et l’énergie créatrice pour durer. »
Par François CARDINALI – CHANT… SONGS