« Belles de nuit, c’est la bande originale du spectacle musical qui évoque le crépuscule des maisons closes au lendemain de 39-45. La bande son de la fin d’une époque.
Il faut une certaine audace en pleine époque du mouvement (pleinement justifié) #MeToo pour signer un spectacle musical, Belles de nuit, en souvenir du vieux temps des maisons closes. Ou plutôt d’une période charnière et cette année 1946 où ces lieux sont vite menacés de fermeture par la loi Marthe-Richard, votée en avril. Cette loi qui abolit le régime de la prostitution réglementée en France depuis 1804.
Auteur et compositeur de l’ensemble des chansons de ce spectacle musical, Jonathan Kerr raconte pourtant en onze titres le destin de Jacotte, Lucienne, Jeanne, Yvonne et Momo à la veille de la fermeture des bordels. Accompagné d’un trio de jazz, le spectacle met l’accent sur la vie de ces femmes dans laquelle si la vie n’avait pas sa place, les rêves ne manquaient pas.
S’il manque au disque, la chaleur d’une prestation scénique, il témoigne bien de l’ambition d’une création dans laquelle l’humour n’est pas absent pour raconter ces tranches de vie de ces « filles de joie » , hier célébrées par Brassens dans une chanson célèbre de son répertoire. On le voit notamment dans Nuit et Jour où il est question d’une de ces dames qui reçoit un ministre et lui lance : « Si m’sieur de ministre veut condescendre/ À se défaire de son habit/ J’suis sûre que son joli membre/ S’ra l’meilleur de notre académie. »
Et il fallait oser encore se jouer de la mélodie de l’hymne pétainiste pour accompagner les couplets de Marthe Richard dans laquelle le quatuor de chanteuses lance : « Marthe Richard te voilà/ Tu es bien quelques part la patrie/ En tout point renégate nationale et impie/ Marthe Richard te voilà/ La Jeanne d’Arc née des bordels de Nancy/ Marthe Richard te voilà : tu es bien quelque part la patrie ! »
Bien sûr, le souteneur n’est pas loin et ce Momo, qui revient relever les compteurs après trente ans de bagne et se demande comment rebondir, symbolise une figure incontournable dans le tableau d’un monde promis à la disparition (Quand on revient). Quant aux tendances sado-masochistes, elles donnent le « la » à la surprenante chanson, La Reine perversité.
Sur un livret inventif, qui fleure bon la chanson française dans la lignée d’Yvette Guilbert, les musiques ont un doux parfum nostalgique avec des mélodies qui renvoient aux mélodies dansantes et pleines de swing de Stéphane Grappelli, Django Reinhardt ou encore Glenn Miller. Avec, pour le final, une chanson qui se joue du mot Close et qui marque la fin de toute une époque. Un album tonique et inventif. »
Par François CARDINALI – CHANT…SONGS