« Un coffret en trois disques rend enfin justice à l’œuvre du musicien congolais, militant assassiné en 1972, pionnier et rénovateur de la rumba congolaise.
C’est une œuvre exceptionnelle que nous donne à découvrir ce coffret édité par la maison Frémeaux et Associés. Une œuvre et un destin, fondus dans l’histoire révolutionnaire du continent africain. Commençons par la fin, triste et tragique. Au début des années 1970, la République du Congo est en proie à une instabilité chronique et des factions rivales s'affrontent. Arrêté puis emprisonné, Franklin Boukaka, réputé engagé dans le combat socialiste et panafricain, est sommairement abattu en février 1972, des circonstances toujours non élucidées.
Pendant près de vingt années d’activisme musical, cet artiste majeur a indissociablement lié ses engagements artistiques et politiques. Auteur d’un album devenu mythique, le Bûcheron, enregistré en 1971 et arrangé par le jeune saxophoniste camerounais Manu Dibango, il lègue une œuvre foisonnante, riche d’influences qui laissent entendre les évolutions de la scène africaine vers de nouvelles sonorités empruntées au funk ou à la soul.
Franklin Boukaka est né en 1940 à Brazzaville, capitale du Congo français et épicentre de la rumba congolaise. Musique métisse et chaloupée d’anciens esclaves, la rumba a transité par l’Atlantique, depuis Cuba, pour revenir prendre racine sur les rives du Congo. Juste retour des choses.
Dès 1955, François Boukaka de son vrai nom est engagé dans quelques-uns des orchestres qui rythment la vie de Léopoldville, de l’autre côté du fleuve. À la fin de la décennie, il monte son propre ensemble, le Negro Band, côtoie la future icône Tabu Ley Rochereau et ratisse une scène musicale en pleine effervescence. Après Léopoldville, retour à Brazzaville.
Il y rencontre la pensée de Patrice Lumumba et intègre l’Union de la jeunesse congolaise, d’obédience communiste, puis devient fer de lance de l’Union des musiciens congolais. Au milieu des années 1960, avec le Cercul Jazz, il jette des ponts entre la musique traditionnelle et les rythmes urbains. Des audaces qui lui valent de participer à la Commission culturelle de la jeunesse et de représenter son pays au festival panafricain d’Alger, en 1969.
Ce coffret de trois disques, fruit d’un travail d’exhumation et d’édition scrupuleux opéré par le producteur Claude Blanchard Ngokoudi, fait entendre l’artiste de 1965 à 1971. On y découvre tout un patrimoine de chansons politiques, d’odes à l’unité africaine et à la solidarité internationale, emmenées par des rythmes cubains dont le musicien s’était amouraché à la faveur des relations nouées entre les deux nations révolutionnaires.
Dans les Immortels, il rend hommage, en lingala, à Mehdi Ben Barka, fraîchement assassiné, avant de convoquer, pêle-mêle, Guevara, Boganda, Camilo Torres, Abdelkader, Ruben Um Nyobe, et tant d’autres combattants de la liberté réduits au silence par l’impérialisme. Entre deux couplets, il entonne en français, comme un manifeste : « Tout homme doit mourir un jour, mais toutes les morts n’ont pas la même signification. »
Par Clément GARCIA – L’HUMANITE