« À l’opposé de la diplomatie étatique » L’Humanité

« Les guerres font depuis longtemps l’objet d’études considérables en sciences humaines et sociales (« war studies »), notamment celles de « prospective » et d’anticipation. Édouard Jourdain, dans Maîtriser les conflits par les communs. Contribution à une théorie politique de l’anticipation et de la conjuration des guerres (Frémeaux & Associés Éditions, 2024) revient sur la complexité de l’anticipation des conflits armés, et des modélisations.
Le Joint Research Centre de la Commission européenne, le Global Conflict Risk Scan, le modèle théorisé par Barbara Harff et Ted Robert Gurr, le modèle de l’université du Queensland, ou encore celui du Heidelberg Institute for International Conflict Research, pour ne citer que les principaux, tous élaborent une liste de critères/indicateurs pour définir une science prédictive des conflits : historique des génocides, domination du pays par une minorité ethnique, existence d’une idéologie d’exclusion, nature du régime/instabilité politique, ouverture commerciale du pays, minorités discriminées, historique des mouvements de rébellion, taux de mortalité infantile, États voisins en conflit…
L’hypothèse proposée par l’auteur est d’intégrer à ces modèles la question des communs : « Les communs permettent une meilleure anticipation des risques de guerre et facilitent les sorties de conflit pour aller vers une paix positive qui permet de conjurer au mieux les guerres. »
Les communs, selon Elinor Ostrom, reposent sur une polycentricité (plusieurs centres de décision), avec des individus qui s’auto-organisent, s’appuyant sur la confiance, la réputation, la réciprocité, pour mieux répondre à des enjeux de soutenabilité desdites ressources à préserver, et des conflits à éviter.
En s’inspirant des communs, on s’éloigne à juste titre des modèles paternalistes de justice ou de peacebuilding (consolidation de la paix – NDLR) excluants parce que trop top-down (du haut vers le bas – NDLR), on cherche à privilégier une justice transitionnelle inclusive, plus bottom-up (de bas en haut – NDLR), plus à même de cerner les tensions locales, donc plus alerte sur les problématiques de corruption, de rétention d’information et autres formes de déstabilisation.
Les communs sont un modèle de gestion des ressources tout autant qu’un modèle de gestion des conflits. À l’opposé de la diplomatie étatique, on trouve l’institution de communs diplomatiques qui cherchent à mettre en place des dispositifs endogènes plus équitables pour les populations plus vulnérables. Independent Diplomat est une ONG, créée en 2004 par Carne Ross, qui tente de corriger les failles de la diplomatie traditionnelle.
Les communs n’existent pas seulement dans les sociétés communautaires, ils sont de « fait » dans quantité d’endroits, prenons la Station spatiale internationale qui fonctionne ainsi. La géopolitique de la paix – « positive » et pas seulement « négative » – suppose de passer à des « communs institués » (Dardot, Laval). »
Par Cynthia FLEURY – L’HUMANITE