« Les lecteurs des DNJ connaissent bien le Laurent CUGNY pianiste, chef d’orchestre (grande formation en particulier), arrangeur, directeur de l’ONJ (1994-1997), plusieurs fois lauréat de l’Académie du Jazz, mais peut-être un peu moins le Laurent Cugny historien du jazz, même si on lui doit « une histoire du jazz en France, du milieu du XIXème siècle à 1929 » (Editions Outre Mesure.2014), devenu un ouvrage de référence.
Professeur (aujourd’hui émérite) à la Faculté de Lettres de Sorbonne-Université, Laurent Cugny élargit son champ de vision avec « Une Histoire du Jazz, une Musique pour les XXème et XXIème siècle » (Frémeaux & Associés). En quelque 200 pages, dans un format de poche, voici retracée une épopée prenant ses racines dans les champs de coton du Sud profond des Etats-Unis et à la Nouvelle-Orléans et nous conduisant jusqu’à ces dernières années à l’ère de la mondialisation et de la dématérialisation.
Construite sur la base de son enseignement, cette histoire du jazz déclinée de manière chronologique (hormis un chapitre consacré à l’expression vocale), se présente, selon son auteur, comme « une histoire de la musique et des musiciens », n’évoquant que ponctuellement les aspects de l’histoire sociale et culturelle. Il n’empêche. Laurent Cugny enrichit son approche artistique et stylistique de propos personnels sur l’évolution du jazz en s’attaquant à des idées générales et hâtives. Il entend ainsi détruire les mythes selon lesquels l’improvisation ou l’engagement politique et social n’aurait débuté qu’avec le be-bop, ou encore que le hard bop serait uniquement « une réaction de musiciens noirs à un jazz cool affadi joué par des blancs ». Dans ce même ordre d’idée, l’auteur tient à affirmer la place « très présente » des femmes dans le jazz dès ses débuts (par exemple Lil Hardin, pianiste et première épouse de Louis Armstrong) même si elles ont été « largement invisibilisées ».
Où va le jazz ? Laurent Cugny se garde de tout pronostic. Il relève cette diversification du jazz qui se manifeste depuis 1975-1976 (époque de naissance du groupe VSOP d’Herbie Hancock), ère post-moderne, « nébuleuse sans réelle géométrie » (world jazz, fusion, musiques européennes improvisées, influences des musiques traditionnelles…). A la fin de ce premier quart du XXI ème siècle, « le jazz est plus vivant que jamais. Il se pratique, s’enregistre et s’enseigne ». La dématérialisation a fait des ravages certes conduisant, juge l’interprète-historien du jazz, à « une relative indigence économique » à laquelle toutefois échappe « un petit groupe d’artistes ». Constat autrement présenté : « le nombre d’albums produits n’a jamais été aussi grand alors que les ventes globales ont considérablement chuté ». Curieux (et explosif) cocktail alliant richesse de l’offre et pauvreté des revenus perçus par les créateurs.
Un ouvrage d’une lecture aisée (sans céder à la facilité), fortement conseillé, et qui renvoie à une large discographie puisée dans l’encyclopédique catalogue patrimonial de son éditeur, Frémeaux & Associés.
Jean-Louis LEMARCHAND – LES DERNIERES NOUVELLES DU JAZZ