« Se livrer sans filet sur quasiment un siècle de musique » par LDNJ

« On croyait tout connaître de Martial Solal, sa vie, ses œuvres, depuis deux ouvrages de référence* ... Que nenni ! Le pianiste-compositeur, qui vient de souffler ses 97 bougies (il est né le 23 août 1927 à Alger), s’est mis à son clavier d’ordinateur pour se livrer sans filet sur quasiment un siècle de musique. Sans ordre chronologique, laissant son esprit vagabonder, évoquant ses souvenirs personnels (sa vie privée, sa passion pour le jeu, le train électrique…) et professionnels (ses rencontres, ses coups de cœur, ses coups de griffe aussi). Une autobiographie qui nous donne quelques clés pour élucider « le mystère Solal ».  
L’auteur nous facilite la tâche et avance cette explication : « Mes auditeurs auront admis mon amour démesuré de la « bougeotte » que j’attribue à mon impérieuse nécessité de changement. Mon excuse ; je m’ennuie très vite. Passer au cours d’une même mesure d’une tonalité à une autre, mélanger, complexifier sans même m’en apercevoir est chez moi depuis toujours ma marque de fabrique ».
Parcourir cette autobiographie au style alerte, spontané, où fait merveille l’humour solalien -fortement teinté d’autodérision- c’est aussi l’occasion de plonger dans la carrière prolifique d’un artiste aux multiples facettes. Martial Solal revendique d’ailleurs la médaille du « musicien le plus actif » : 70 ans de métier, 30 musiques de films, et en premier chef A bout de souffle, des centaines de compositions, et, ce qui n’est pas la moindre de ses particularités, plus de dix ans comme pianiste attitré en club à Paris dans les années 50-60 (le Club Saint Germain et le Blue Note où il joua 3 ans sans un jour de repos !).
Au fil des pages, on retrouve ses plus belles rencontres (Eric Le Lann, Lee Konitz, Stéphane Grappelli, Joachim Kühn, Michel Portal, Toots Thielemans, Didier Lockwood, Johnny Griffin, Jean-Michel Pilc, Manuel Rocheman…) ses plus imprévues aussi (une soirée au château de Rambouillet avec des ministres des Finances à l’invitation d’un fan de jazz devant l’éternel, Jacques Delors), ses récits de tournée (en costume de velours rouge côtelé signé Yves Saint Laurent au sein d’un big band mené par Jean-Louis Chautemps), ses années de galère également, ses déboires personnels, son infinie reconnaissance enfin à André Francis (1925-2019) producteur et l’un des fondateurs de l’Académie du Jazz qui lui fit signer un contrat de 8 ans chez Vogue en 1953 et auquel il dédia « A San Francisco sans Francis ».
On l’aura compris, « Mon siècle de jazz » nous invite à découvrir une personnalité rare qui, selon ses propres termes, « ne voulait ressembler à personne ». »
Par Jean-Louis LEMARCHAND – LE DERNIERES NOUVELLES DU JAZZ