« Considérée à juste titre dans son Brésil natal comme un authentique trésor national, l’œuvre de Heitor Villa-Lobos (1887-1959) est aussi l’une des plus foisonnantes de la musique classique du XXème siècle. Fils d’un écrivain et modeste musicien amateur qui l’initie très tôt à la pratique du violoncelle et de la clarinette, il est recueilli par son grand-père bibliothécaire, quand son père disparaît alors que le jeune Heitor n’est âgé que de douze ans. Mélomane d’une grande culture, son aïeul lui permet de poursuivre son apprentissage musical, en y ajoutant la pratique du piano et celle de la guitare. Tout en se produisant en amateur au sein d’orchestres de chôros (genre brésilien populaire et dansant, préexistant à la samba et la bossa) dans la rue, les cafés et les restaurants. Fugueur impénitent, le jeune Villa-Lobos part à seize ans découvrir son vaste pays de long en large, pour un voyage initiatique qui durera huit ans. Alors que sa famille le donne pour mort, il s’active au contraire à recueillir à la source, tel un ethno-musicologue empirique, la grande diversité des musiques vernaculaires des régions qu’il traverse (de chants traditionnels en danses folkloriques, relevant tous jusqu’alors d’une transmission strictement orale). À son retour, il est déjà un musicien et un compositeur largement accompli (bien qu’en partie autodidacte). Réfutant le conditionnement des conservatoires, il prône à contrario l’ouverture et l’interpénétration des musiques savantes et populaires. Admirateur de Bach et de ses constructions harmoniques, comme de sa science du contrepoint, il n’en hiérarchise pas pour autant l’apport au regard de la richesse du patrimoine culturel dont il est devenu le défenseur et le témoin privilégié. Composées entre 1932 et 1945, ses neuf “Bachianas Brasileiras” (que l’on pourrait traduire par “Brésiliennes à la manière de Jean-Sébastien Bach”) constituent un volet essentiel de son vaste catalogue (qui comprend près de 1.300 pièces, se déclinant en chôros, concertos, symphonies, ballets, opéras et musiques de films). Captées en février et mars 1987 à Rio de Janeiro, elles alternent les configurations (orchestre et violoncelles, orchestre symphonique, piano et orchestre, soprano vocal et orchestre de violoncelles, flûte et basson, orchestre à cordes), et déploient une ample variété de styles et de mouvements (aria, prélude et fugue, toccata, gigue). Sous la direction de Isaac Karabtchewsky, elles s’appuient notamment sur les interprétations du célèbre pianiste soliste Nelson Freire et de la cantatrice Leila Guimaraes, dont les prestations s’avèrent particulièrement convaincantes. Pour une fois que la grande musique ne provient ni des États-Unis ni d’Europe, mais du continent sud-américain, elle témoigne d’une passion et d’une chaleur qui en traduisent fièrement les origines et le métissage. L’Académie Charles Cros ne s’y est pas trompée, puisqu’elle accorde à ce remarquable triple CD son Grand Prix In Honorem. »
Par Patrick DALLONGEVILLE – PARIS MOVE