« « Je me demande si le monde saura un jour quel homme merveilleux nous tenions là ». Cette déclaration de Duke Ellington à propos du pianiste et chef d’orchestre Claude Thornhill, nul doute qu’elle pourrait s’adresser telle quelle à Martial Solal, pianiste superlatif et improvisateur hors-normes. Unanimement admiré par ses pairs et bien au-delà de la planète jazz, Martial Solal n’aura pourtant jamais joui de la popularité qu’ont connue sous nos cieux quelques-uns de ses contemporains comme Erroll Garner, Oscar Peterson ou Keith Jarrett voire Michel Petrucciani. Seule et unique explication à cette injustice flagrante : son intégrité musicale jamais prise en défaut et dont l’exemplarité ne se rencontre guère, parmi les chasseurs d’ivoire du premier rayon, que chez un Thelonious Monk ou un Bill Evans. S’il y eut jamais un incorruptible du piano jazz, ce fut bien lui, Martial, solitaire rayonnant comme l’astre solaire. Visionnant il y a quelque temps un BR d’A bout de souffle, le chef-d’oeuvre de Jean-Luc Godard, et notamment les suppléments proposés, je fus abasourdi de constater qu’il y était question d’à peu près tout ce qui avait contribué à faire de ce film une oeuvre culte du Septième Art, de presque tout (scénario, mise en scène, cinématographie, interprétation…) sauf, précisément, de sa mémorable bande musicale signée… Martial Solal. Comme si pareil talent s’imposait avec une évidence telle qu’il n’avait nul besoin d’être applaudi ni même signalé. Oublions le virtuose d’exception, sa prodigieuse technique mise sans cesse au service d’une intarissable imagination, et plongeons-nous dans cette autobiographie bien venue ( Mon siècle de jazz ) pour y découvrir l’homme de paroles derrière le magicien des notes, la personne indissociable de l'artiste. Surtout, formons le voeu que grâce à cet autoportrait particulièrement attachant, le génie (le mot n’est pas trop fort) du musicien soit enfin reconnu par le plus grand nombre comme il aurait dû l’être depuis fort longtemps. Car Solal, pur diamant et trésor national s’il en est, demeure unique, irremplaçable. Définitivement. »
Par Alain Pailler (Auteur de Ko-Ko - Duke Ellington en son chef d'œuvre, Éd Frémeaux).