« (…) Reynold, je l’ai connu au début des années 1980 à Paris, à l’occasion d’une série pour Les Nuits Magnétiques de France-Culture que j’avais intitulée Parler créole sous la neige. Il est dès lors devenu mon référent et ma bouée de secours chaque fois que j’avais besoin de comprendre un mot ou une expression créole, ou de traduire entre le français et le créole haïtien. Quelques années plus tard, un soir, j’ai découvert une facette de Reynold que j’ignorais : il chantait et composait. Après le concert qu’il donna à Paris avec le guitariste Serge Tamas, je lui dis : « Reynold, soyons clair : vous pouvez aller plus loin que Kassav et la nébuleuse zoukiste avec vos morceaux, qui sont un rafraîchissement bienvenu de vos racines musicales calédoscopiques. Allez-y, n’hésitez pas, lancez-vous dans le show biz ». L’humilité poétique de Reynold l’a empêché pendant les 40 ans qui ont suivi de suivre mon conseil. Son groupe Ilan-Ilan est resté confidentiel, connu seulement des happy few, à l’écart de toute francofolie. Mais soudain, un miracle est survenu : Reynold, Serge et une bande de musiciens ont réussi à concocter un CD de 16 morceaux -entrecoupés par des interludes vocaux et instrumentaux – qui sont un véritable bijou. La plupart des textes sont du regretté Michel-Rolph Trouillot (1949-2012), anthropologue et poète, auteur de l’historique Ti dife boule sou Istwa Ayiti, premier livre sur la révolution des esclaves d’Haïti publié en créole (1977). Ce sont les éditions Frémeaux & Associés qui ont édité le CD, qui trouve ainsi sa place entre Henri Guédon, Stellio, Malavoi, Ernest Leardée, Moune de Rivel et la Compagnie Créole. (...)
On ne trouve pas de morceau de kokoda dans le CD, si ce n’est sous la forme d’un interlude rythmé de ferrailles. Mais y abondent les rythmes vaudous scandant contredanses et autres quadrilles. La musique haïtienne a en effet ceci de commun avec la musique de toute la Caraïbe, de Louisiane et du Brésil, d’être une subversion syncrétique des musiques de danse des maîtres européens par les percussions et les cordes exécutant les rythmes provenant des terres d’origine des esclaves – de la Mauritanie au Congo, en passant par le golfe de Guinée et l’espace sahélo-soudanais. Ces esclaves (re)devenus paysans après avoir obtenu leur liberté par la première révolution victorieuse d’esclaves, créeront un patchwork musical rythmant toute l’année, du Carnaval aux cérémonies vaudous et/ou chrétiennes. Un patrimoine d’une richesse incroyable dont Ilan-Ilan se fait l’archéologue, les emprunts à la tradition musicale étayant les trouvailles textuelles d’un Trouillot, d’un Henrys, d’un Lofis Rejwi ou d’un Emmanuel Vilsen, qui réalisent la prouesse de parler poétiquement de la réalité post-moderne -misère, migration, dictature, patriarcat – dans un langage venu de très loin. Autrement dit, ici aussi, une fois de plus, « le futur a un cœur antique » (titre d’un livre de voyage sur l’Union Soviétique de Carlo Levi, 1956). Bref, si vous voulez éprouver un plaisir total, achetez le CD et écoutez-le en suivant le texte en créole haïtien et en traduction française dans le beau livret qui l’accompagne. C’est le seul cadeau de Noël imaginable cette année. »
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