Événement éditorial, le pianiste et compositeur Martial Solal, doyen des jazzmen français, adulé par ses pairs dans le monde entier, publie son autobiographie. Un livre passionnant où le jazz le plus exigeant swingue avec l’humour du vieux sage et une réjouissante science du détail savoureux.
À ceux qui veulent gagner du temps - cent ans par exemple - dans la connaissance de l’histoire de la musique en France, on conseille vivement la lecture de « Mon siècle de jazz », l’autobiographie de Martial Solal, doyen des jazzmen français. Considéré comme le plus grand par ses pairs - il était, par exemple, pour Petrucciani un inatteignable Himalaya - Solal commença sa carrière dans les années 1940. Il ne s’arrêta jamais de jouer, en funambule qu’il est, sur le fil entre une musique solaire, puissante, subtile et lumineuse, et des arabesques d’une complexité folle, où son immense technique n’est jamais prise en défaut. Il a joué (le verbe lui convient mieux qu’à quiconque) avec Grappelli, Chet Baker, Dizzie Gillespie, Django Reinhardt, Stan Getz, Michel Portal, Didier Lockwood, en toute complicité et amitié avec les maîtres rythmiciens Paul Motian et Gary Peacock… On put l’entendre voici quelques années au festival de Vannes avec le Briochin Éric Le Lann.
Figurant, selon le critique Alain Gerber, parmi « les plus grands musiciens du monde, tous styles, tous genres et toutes cultures confondues », le bonze Solal est toujours resté un humble artisan, amoureux du bel objet sonore, de la composition aussi parfaite que possible. Loin de toute esbroufe. Ici son humour fait également merveille et le musicien, jamais sentencieux, jamais avare d’anecdotes savoureuses, devient le mémorialiste passionnant de l’histoire du jazz, des cabarets, des rencontres au sommet, des nuits des débuts à tirer le diable par la queue.
Fourmillant d’informations souvent peu connues, le livre possède aussi un ton parfois mordant où, pince-sans-rire, le vieux sage, puits de science et de culture, épicurien et cérébral, règle quelques comptes avec des confrères, l’establishment, les ayatollahs du jazz ou le politiquement correct.
Passionnante comme les solos acrobatiques et virtuoses dont Martial Solal, 97 ans cette année, est un orfèvre, « Mon siècle de jazz » se lit comme une déclaration d’amour à la musique, qu’il interprète comme d’autres respirent.
Par Jean-Luc GERMAIN – LE TELEGRAMME