"Indispensable, indeed" par Paris-Move

Longtemps considéré comme un sous-genre éphémère, centré sur la période de transition entre le rhythm n’ blues noir originel et l’avènement des groupes vocaux des early sixties, le doo-wop est de fait consubstantiel de ce bouleversement que l’on nomma rock n’ roll à l’orée des fifties aux USA. Pas toujours judicieusement documenté, ce courant (ramené plusieurs fois au goût du jour depuis le “American Graffiti” de George Lucas) fit l’objet de multiples compilations un peu fourre-tout (voire anachroniques), ainsi de “Le Doo Wop, C’est Plus Fort Que Toi”, publié à grand renfort publicitaire en 1992, où se côtoyaient Lee Dorsey, Johnny Adams, Aaron Neville, les Crystals et les Trashmen. Érudit s’il en est de l’histoire des musiques anglo-saxonnes (et caraïbéennes aussi), Bruno Blum tente ici d’y mettre bon ordre, en remontant d’abord aux racines et aux origines de cette déferlante. S’ouvrant sur “Ida, Sweet As Apple Cider” des Mills Brothers (en 1934), ce coffret triple CD (et 72 titres) témoigne d’emblée des ingrédients de ce genre alors en devenir : mariant swing et prouesses vocales, les barbershop quartets (“quatuors de salon de coiffure”) empruntaient autant aux novelty tunes du ragtime et du vaudeville qu’aux harmonies du gospel. Le premier volet de ce triptyque énumère ainsi des formations aussi historiques que le Golden Gate Jubilee Quartet, le fantaisiste jazz (et guitariste virtuose) Slim Gaillard, les Robins (les Rouges-Gorges, ancêtres des Coasters), les Ravens (les Corbeaux), les Orioles (les Loriots), les Crows (les Corneilles), les Swallows (les Hirondelles) et les Penguins – une pleine volière – jusqu’aux prémices du rock n’ roll, avec les Clovers, Chords, Dominoes, Little Esther, Ruth Brown et autres Moonglows. Défilent ensuite maints cadors du genre (Blancs comme Noirs): depuis les incontournables Platters jusqu’aux Marcels, en passant par les Spaniels, The Chips, Frankie Lymon & The Teenagers, Dion & The Belmonts, The Ink Spots, The Regents, Richard Berry, The Dominoes, The Earls et The Capris, sans omettre de présenter certains de ses dépositaires (les Coasters, les Beach Boys débutants) et thuriféraires (Presley avec les Jordanaires ou encore un tout jeune Lou Reed, alors encore prénommé Lewis). Des formations aussi diverses que Manhattan Transfert, nos Pow-Wow nationaux et des rétro-parodistes tels que Sha-Na-Na et Flash Cadillac & The Continental Kids aux States, les Darts ou les Rubettes au Royaume-Uni et les éphémères Pee Wee & The Specials aux Pays-Bas (voire nos inénarrables compatriotes The 1234, qui publièrent naguère chez Rock Paradise de remarquables adaptations a capella du répertoire des Ramones) ont continué à perpétuer la bonne parole chorale du doo-wop jusqu’à nos jours. Pas mal, pour un courant supposé sans postérité ni lendemain, non ? Faut-il préciser que le son et la mastérisation sont aux petits oignons, et que le livret s’avère comme de coutume hautement informatif ? Indispensable, indeed.

Patrick Dallongeville - Paris-Move