Jean Roché, pionnier de la bioacoustique, s’est éteint

Jean-Claude Roché (1931-2025), immense capteur des voix de la nature, nous a quitté. Aventurier discret, poète du vivant et chercheur avant tout, il a consacré sa vie à l’écoute et à l’enregistrement des chants, cris, bruissements et ultrasons émis par les animaux sauvages. En vendant des crapauds aux laboratoires pour des tests de grossesse dans les années 1950, il finance son premier matériel d’enregistrement, ce qui le propulse dans une carrière atypique.
Son premier disque sur les oiseaux de Camargue — Camargue, publié en 1969 — obtient le Grand Prix de l’Académie Charles Cros. Ce succès scelle son destin. Jean Roché devient l’un des premiers preneurs de son à plein temps au monde. Son œuvre se déploiera ensuite en plus de 100 enregistrements disponibles aujourd’hui chez Frémeaux & Associés, qui réunit son catalogue depuis 2007, et a publié trois heures d’entretiens avec Bernard Fort dans le coffret Audio-naturaliste.
C’est dans son repaire des Alpes, à la frontière entre Isère et Provence, qu’il fonde Sittelle, sa maison d’édition unique en son genre. Il y reçoit collègues et chercheurs venus d’Afrique du Sud, de Russie ou des États-Unis. Avec le CEBA (Centre d’Études Bioacoustiques Alpines), qu’il crée, il forme plus d’une centaine de naturalistes du son. Ses archives sont aujourd’hui mises à disposition de la recherche via Frémeaux & Associés (Acoucène, programme CNRS de modélisation des paysages sonores face aux effets de l’anthropocène). La bio acoustique, discipline consistant à la compréhension comportementaliste des oiseaux à partir de leurs chants et étudiée par la Muséum d’Histoire Naturelle fait partie de l’héritage « Roché ».
Jean Roché ne se contente pas de capter : il étudie, analyse, compare. Pour comprendre les langages des oiseaux, il utilise des techniques pionnières, rejoue leurs cris, en observe les réactions, et différencie cris d’alarme et cris d’amour, jusqu’à distinguer si la menace vient du ciel ou du sol. Il enregistre aussi les insectes de montagne, comme les sauterelles alpines, dont les ultrasons nous étaient jusque-là inaudibles.
Il fut en lien avec les grandes figures de la pensée naturaliste du XXe siècle : le compositeur Olivier Messiaen, passionné de chants d’oiseaux, et le biologiste Jean Rostand, avec qui il partagea une même éthique de respect et d’émerveillement devant le vivant.
Fils d’Henri-Pierre Roché — écrivain dont le roman Jules et Jim fut adapté au cinéma par François Truffaut —, il a pu, grâce à l’héritage artistique et aux collections constituées avec Ozenfant (Brancusi …), vivre à la manière d’un naturaliste du XIXe siècle, en relative liberté matérielle, explorant le monde à l’écoute de ses habitants invisibles.
Jean Roché laisse une œuvre magistrale et fondatrice : celle de l’école audio-naturaliste française. Il a fait de l’écoute un outil scientifique, un art et une philosophie. Et nous lègue, au-delà de ses centaines d’heures de sons, une manière de prêter l’oreille au vivant.
Patrick Frémeaux
« Jean-Claude Roché est un vrai naturaliste, c'est à dire qu'il est aussi un poète. Habile, sagace, enthousiaste, il excelle à observer les mœurs des animaux, pour en fixer un sûr témoignage. Chacun de ses œuvres nous apporte un morceau vivant de la libre nature. »
Jean Rostand