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LES RICHES HEURES DE LA RIVE GAUCHE
Ref.: FA5167
Direction Artistique : DANIEL NEVERS
Label : Frémeaux & Associés
Durée totale de l'œuvre : 3 heures 29 minutes
Nbre. CD : 3
“Ça n’a jamais été un vrai quartier. Il n’y avait ni putains ni marchands de cacahuètes ”.
Jacques Prévert
"Marianne Oswald, Ray Ventura, Claude Luter, Juliette Greco, Boris Vian, Germaine Montero, Cora Vaucaire, Claude Bolling, Les Frères Jacques, Mouloudji, Léo Ferre, Catherine Sauvage, Jacques Hélian… en trois CDs et accompagné d’un livret de 48 pages et de 14 photos. Frémeaux & Associés, sous la direction de Daniel Nevers présente les faces historiques et mythiques de Saint-Germain-des-Prés qui sont à l’origine de la légende des riches heures de la rive gauche."
Patrick Frémeaux.
Droits : Frémeaux & Associés - La Librairie Sonore.
JACQUES HÉLIAN Or. (1950) : A Saint-Germain-des-Prés • YVONNE GEORGES (1926) : Toute une histoire • FLORELLE (1931) : La fiancée du Pirate • MARIANNE OSWALD (1933) : Complainte de Kesoubah • GERMAINE LIX (1933) : Moi, j’crache dans l’Eau • RAY VENTURA (1934) : La Légende du Roi Marc • GERMAINE SABLON (1933) : Assez ! • LYS GAUTY (1934) : Complainte de la Seine • NANE CHOLET (1934) : J’ai pas la Gueule qui plait aux Riches • PIERRE DORIAAN (1933) : La Ballade du cordonnier • MARIANNE OSWALD (1934) : Le jeu de Massacre • NANE CHOLET (1934) : La Courroie • GILLES & JULIEN (1937) : Familiale • MARIANNE OSWALD (1936) : Toute seule • MARIANNE OSWALD (1937) : La Grasse Matinée • RAY VENTURA (1939) : La Complainte des Caleçons • AGNÈS CAPRI (1940) : Je Te Veux • AGNÈS CAPRI (1940) : Quand Tu Dors • LYS GAUTY (1941) : Deux Escargots s’en vont à l’Enterrement • JOHNNY SABROU & C° (1944) : L’Ecole buissonnière • CLAUDE ABADIE ORCH. (1945) : Tha Da-Da Strain • ORCH. OSMONT-LUTER (live-1946) : Farewell Blues • CLAUDE LUTER & Son Or. (1947) : Tiger Rag • UNE SOIRÉE AU TABOU (I) (1947) : Or. Boris Vian/Marc Pierret • UNE SOIRÉE AU TABOU (II) (1947) : H. Allendal/A.M. Cazalis/ “Tarzan”/Or. B.Vian • JULIETTE GRÉCO (1950) : Si Tu T’imagines • JULIETTE GRÉCO (1950) : La Fourmi / La Rue des Blancs-Manteaux • BORIS VIAN & Son Or. du “Tabou” (1947) : Sweet And Be Bop • “Le Retour de M. OSWALD” (1947) : La Belle Américaine • “Le Retour de M. OSWALD” (1947) : La Belle Cubaine • FABIEN LORIS (1946) : Les Enfants qui s’aiment (film) • GERMAINE MONTERO (1948) : Et puis après (Je suis comme Je suis) • CORA VAUCAIRE (1948) : Les Feuilles mortes • CLAUDE BOLLING N.O. JAZZMEN (1948) : Nobody Knows the Trouble… • LES COMPAGNONS DE ROUTE (1948) : Y avait dix Marins • LES FRÈRES JACQUES (1949) : L’entrecôte • CLAUDE BOLLING ORCH. (1949) : Doin’ the Voom-Voom • LES FRÈRES JACQUES (1949) : Inventaire • LES FRÈRES JACQUES (1949) : La Pêche à la Baleine • AGNÈS CAPRI (1951) : La Pêche à la Baleine • CLAIRE LECLERC (1950) : Démons et Merveilles / Le Tendre et Dangereux Visage de l’Amour • JAMES MOODY BOPTET (1950) : Real Cool • LES FRÈRES JACQUES (1950) : Barbara • MOULOUDJI (1951) : Les Petits Pavés • LÉO FERRÉ (1950) : La chanson du Scaphandrier • LES FRÈRES JACQUES (1950) : Quelqu’un • LES FRÈRES JACQUES (1950) : Petite Fable sans Morgue • CLAUDE LUTER & son Orch.(1951) : Rag de Dent • FRANCIS LEMARQUE (1950) : John Black • JULIETTE GRÉCO (1951) : A la Belle Étoile • JULIETTE GRÉCO (1951) : La Belle Vie • JULIETTE GRÉCO (1951) : Je hais les Dimanches • GERMAINE MONTERO (1952) : La Fille de Londres • AGNÈS CAPRI (1952) : Loin du Bal • STÉPHANE GOLMANN (1952) : La Marie-Joseph • GERMAINE MONTERO (1952) : a) En sortant de l’École - b) Chanson pour les Enfants l’Hiver • LES QUATRE BARBUS (1953) : Ouverture du Barbier de Séville • GEO DALY & son Orch. (1953) : I Got It Bad • LÉO FERRÉ (1953) : Monsieur William • LÉO FERRÉ (1953) : A Saint-Germain-des-Prés • CORA VAUCAIRE (1953) : Frédé • CATHERINE SAUVAGE (1954) : L’Homme • CATHERINE SAUVAGE (1954) : Johnny, Tu n’es pas un Ange • GERMAINE MONTERO (1954) : Paris-Canaille • MOULOUDJI (1954) : La Valse jaune.
1932 - 1944
CLAUDE BOLLING MAXIM SAURY REX STEWART ROY ELDRIDGE
BORIS VIAN - JULIETTE GRÉCO - MAGALI NOËL - MOULOUDJI...
INEGRALE
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PisteTitreArtiste principalAuteurDuréeEnregistré en
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1A SAINT GERMAIN DES PRESHELIANANDRE HORNEZ00:02:461950
-
2TOUTE UNE HISTOIREGEORGES00:03:001926
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3LA FIANCEE DU PIRATEFLORELLEANDRE MAUPREY00:03:221931
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4COMPLAINTE DE KESOUBAHOSWALD00:02:011933
-
5MOI J CRACHE DANS L EAULIX00:03:081933
-
6LA LEGENDE DU ROI MARCRAY VENTURA ET SES COLLEGIENS00:03:121934
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7ASSEZJEAN SABLON00:03:201933
-
8COMPLAINTE DE LA SEINELIS GAUTYM MAGRE00:03:191934
-
9J AI PAS LA GUEULE QUI PLAIT AUX RICHESNANE CHOLET00:03:151934
-
10LA BALLADE DU CORDONNIERDORIAAN00:03:001933
-
11LE JEU DE MASSACREOSWALDHENRI GEORGES CLOUZOT00:03:141934
-
12LA COURROIENANE CHOLET00:02:301934
-
13FAMILIALEGILLES & JULIENJACQUES PREVERT00:02:491937
-
14TOUTE SEULEOSWALDJACQUES PREVERT00:03:111936
-
15LA GRASSE MATINEEOSWALDJACQUES PREVERT00:03:141937
-
16LA COMPLAINTE DES CALECONSRAY VENTURA ET SES COLLEGIENSROBERT DESNOS00:03:051939
-
17JE TE VEUXCAPRIH PACORY00:03:191940
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18QUAND TU DORSCAPRIJACQUES PREVERT00:02:591940
-
19DEUX ESCARGOTS S EN VONT A L ENTERREMENTGAUTYJACQUES PREVERT00:02:531941
-
20L ECOLE BUISSONNIERESABROU00:04:331944
-
21THAT DA DA STRAINCLAUDE ABADIE ET SON ORCHESTREDEWELL00:02:201945
-
22FAREWELL BLUESORCHESTRE OSMONT-LUTERE SCHEEBEL00:03:181946
-
PisteTitreArtiste principalAuteurDuréeEnregistré en
-
1TIGER RAGCLAUDE LUTER ET SON ORCHESTREE SCHEEBEL00:02:351947
-
2PRESENTATIONBORIS VIAN ET SON ORCHESTREBORIS VIAN00:09:161947
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3TARZAN CHANTE LE BLUESSABROU00:03:001947
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4SI TU T IMAGINESJULIETTE GRECORAYMOND QUENEAU00:03:101950
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5LA FOURMI / LA RUE DES BLANCS MANTEAUXJULIETTE GRECOROBERT DESNOS00:03:141950
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6SWEET AND BE BOPBORIS VIAN ET SON ORCHESTRE DU00:03:301947
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7LA BELLE AMERICAINEOSWALDGUILLAUME APOLINAIRE00:03:321947
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8LES FEUILLES MORTESVAUCAIREJACQUES PREVERT00:03:001948
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9LA BELLE CUBAINEOSWALDJEAN COCTEAU00:03:161947
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10ET PUIS APRES (JE SUIS COMME JE SUIS)MONTEROJACQUES PREVERT00:03:051948
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11LES ENFANTS QUI S AIMENT (FILM)LORISJACQUES PREVERT00:01:301946
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12NOBODY KNOWS THE TROUBLECLAUDE BOLLING NEW ORLEANS JAZ00:02:501948
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13Y AVAIT DIX MARINSLES COMPAGNONS DE ROUTE00:02:341948
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14L ENTRECOTELES FRERES JACQUESZIMMERMANN00:03:141949
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15DOIN THE VOOM VOOMCLAUDE BOLLING ET SON ORCHESTRJ MILEY00:02:561949
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16INVENTAIRELES FRERES JACQUESJACQUES PREVERT00:03:041949
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17LA PECHE A LA BALEINELES FRERES JACQUESJACQUES PREVERT00:03:331949
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18LA PECHE A LA BALEINECAPRIJACQUES PREVERT00:03:261951
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19DEMONS ET MERVEILLESLECLERCJACQUES PREVERT00:03:171950
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20REAL COOLJAMES MOODY BOPTET00:03:141950
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PisteTitreArtiste principalAuteurDuréeEnregistré en
-
1BARBARALES FRERES JACQUESJACQUES PREVERT00:03:451950
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2LES PETITS PAVESMOULOUDJIMICHEL VAUCAIRE00:03:181950
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3LA CHANSON DU SCAPHANDRIERLEO FERRER BAER00:02:281950
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4QUELQU UNLES FRERES JACQUESJACQUES PREVERT00:02:341950
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5PETITE FABLE SANS MORGUELES FRERES JACQUESP KIROUL00:04:291950
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6RAG DE DENTCLAUDE LUTER ET SON ORCHESTREALBERT FERRERI00:02:451951
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7JOHN BLACKLEMARQUE00:03:071950
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8A LA BELLE ETOILEJULIETTE GRECOJACQUES PREVERT00:03:391951
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9LA BELLE VIEJULIETTE GRECOJACQUES PREVERT00:03:151951
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10JE HAIS LES DIMANCHESJULIETTE GRECOCHARLES AZNAVOUR00:03:101951
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11LA FILLE DE LONDRESMONTEROPIERRE MAC ORLAN00:03:141952
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12LOIN DU BALCAPRICHARLES CROS00:02:331952
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13LA MARIE JOSEPHGOLMANN00:02:591952
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14CHANSON POUR LES ENFANTS L HIVERMONTEROJACQUES PREVERT00:03:251952
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15OUVERTURE DU BARBIER DE SEVILLELES QUATRE BARBUSF BLANCHE00:03:381953
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16I GOT IT BADGEO DALY ET SON ORCHESTREPAUL WEBSTER00:02:561953
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17MONSIEUR WILLIAMFERREJEAN-ROGER CAUSSIMON00:03:381953
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18A SAINT GERMAIN DES PRESFERRE00:03:131953
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19FREDEVAUCAIREMICHEL VAUCAIRE00:04:091953
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20L HOMMESAUVAGE00:02:461954
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21JOHNNY TU N ES PAS UN ANGESAUVAGEFRANCIS LEMARQUE00:02:361954
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22PARIS CANAILLEMONTERO00:03:131954
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23LA VALSE JAUNEMOULOUDJIBORIS VIAN00:03:421954
SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS
SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS
les riches heures de la rive gauche 1926-1954
Marianne Oswald - Ray Ventura - Agnès Capri - Lys Gauty - Claude Luter - Juliette Gréco - Boris Vian - Germaine Montero - Cora Vaucaire - Claude Bolling - Les Frères Jacques - Mouloudji - Léo Ferré - Géo Daly - Catherine Sauvage - Jacques Hélian...
En Hommage à Claude Luter (1923-2006)
LES RICHES HEURES DE LA RIVE GAUCHE ET DE SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS
“Si, en 1938, une nuit, après la fermeture de la brasserie Lipp, on avait abandonné un noctambule dans le quartier Saint-Germain-des-Prés avec interdiction d’en sortir, il n’aurait pas trouvé un seul lieu pour accueillir sa détresse assoiffée. Il aurait pu errer de la place Furstenberg à la rue du Dragon, il n’aurait rencontré que hautaines portes cochères et que devantures hargneusement closes. Et ces façades retranchées en leur vertu n’auraient pas tardé à faire éclore en lui le remord de se promener par les rues à une heure aussi tardive. Une lumière pourtant. Elle brillait rue de Grenelle, presque à l’angle de la rue Saint-Guillaume. A la “Petite Chaise” on dansait, on chantait et on buvait jusqu’à l’aube. Malheureusement, pour un géographe pointilleux, ce havre se trouvait, par delà la frontière de la rue des Saints-Pères, sur le territoire Saint-Thomas-d’Aquin. Le jour revenu, le quartier retrouvait sa vie, une vie pas très différente de celle qui animait le centre de Lille ou de Bordeaux.”… Voici de quelle manière, dans son ouvrage L’Age d’Or de Saint-Germain-des-Prés (Ed. Denoël, 1965), Guillaume Hanoteau, orfèvre en la matière, décrit l’activité nocturne – ou, plus exactement, le total manque d’activité nocturne –, une trentaine d’années plus tôt, d’un quartier de la capitale aux allures somme toute des plus provinciales…
Tableau parfaitement réaliste au demeurant : si les prés du bon Saint Germain avaient depuis déjà belle lurette cédé la place aux petites rues pavées et aux grands boulevards huppés ornés de devantures chics, les caves n’abritaient encore que le charbon ou les bonnes bouteilles millésimées, mais en aucun cas les vagissements incongrus, sauvages, de cette “musique” ressortissant de l’art dégénéré appelée “jazz” par une bande de pré-zazous hirsutes… Certes, “la belle jase-bande”, contrairement à ce qu’affirmèrent dans des publications faussement sérieuses quelques plumiteux lors du cinquantième anniversaire (1994) du débarquement en Normandie, n’avait pas plus que le chewing-gum attendu l’an 44 pour se glisser sournoisement dans les mœurs des innocents de la “vieille Europe”. Mais, à tout le moins, n’envahissait-elle point encore ces coins tranquilles et ombragés, proches des lieux où la belle jeunesse, l’élite de la France éternelle et pour toujours, s’en venait laborieusement, consciente de sa mission future, emmagasiner le savoir comme d’autres collectionnent les manteaux de chinchilla…
Jusque là, les Nègres et leur bamboula s’étaient contentés de coloniser les territoires les plus dépravés de la rive droite, connus sous les noms de Montmartre, Pigalle, Blanche, Clichy, semés d’innombrables lieux de perdition appelés “Moulin Rouge”, “Casino de Paris”, “Folies-Bergère”, “Palace” et autres, où les jolies demoiselles oubliaient le plus souvent leur culotte et fumaient du gris sans complexe. Le quartier de la Bastille, protégé par ses accordéonistes-patriotes, résistait sans faillir à l’assaut des barbares, mais les insoucieux Champs-Elysées et leurs boîtes à richards en goguette étaient déjà terriblement atteints !.. Les plus audacieux de ces envahisseurs, profitant sans doute de ce que les ponts-levis étaient entrebâillés, avaient tenté quelques hasardeuses incursions sur la rive gauche, vers Montparnasse, son “Dôme”, sa “Coupole”… Ils furent plutôt bien accueillis et d’autres établissements louches y virent le jour à la nuit la nuit…
C’est même un peu pour cela qu’il nous a semblé opportun d’adjoindre au nom mythique-magique que représente “Saint-Germain-des-Prés” la référence à la “rive gauche”, terme qui, faute de mieux, symbolise – peut-être – un esprit, un art de vivre légèrement décalé par rapport à celui en usage sur la “rive droite”, et dont l’irrésistible explosion germanopratine de l’immédiat après-guerre serait la manifestation ultime en même temps que le très logique aboutissement. Encore que…
Encore que les incorrigibles piétons de Paris se firent pour la plupart flâneurs des deux rives, passant de l’une à l’autre sans même s’en rendre compte, à la faveur des modes et des saisons. Il n’exista jamais de cloison étanche entre les deux morceaux de Paris que l’on se plaît si souvent à opposer, comme si l’on n’avait à faire qu’à de vulgaires yankees et aux indigènes du Pays de Dixie ! Le nord et le sud se répondaient idéalement. Forcément. Paris était tout petit pour des points cardinaux qui, comme eux, s’aimaient d’un aussi grand amour ! Une revue littéraire s’intitula même “Nord-Sud”, parce que son fondateur prenait chaque jour la ligne de métro portant ce nom, Porte de la Chapelle-Porte de Versailles (celle à laquelle on attribue aujourd’hui le numéro 12), qui le menait de son domicile montmartrois aux bureaux parnasiens de sa rédaction, en passant (presque) sous Saint-Germain-des-Prés. Beau voyage.
A la réflexion, il est heureux que l’on puisse appeler cet “esprit rive gauche” à la rescousse, car si l’on se cantonnait au seul âge d’or de Saint-Germain et à ce territoire exigu défini par les géographes pointilleux dont parle Hanoteau, l’on se trouverait bel et bien réduit à la portion congrue, tant dans l’espace que dans le temps. Une petite dizaine d’années, moins peut-être. Cette même sorte d’éphémère que la Revue Nègre, qui ne se donna que pendant six semaines à l’automne de 1925 (du côté droit de la Seine !), qui durait à peine plus d’une heure, qui ne laissa par le moindre petit bout de film, par le moindre petit sillon inscrit dans la cire, et dont on parle encore aujourd’hui, quatre-vingts ans après, comme d’une légende… Saint Germain tout craché en somme… Lorsqu’à la fin de 1949 sortit sur les écrans Rendez-vous de juillet, le film de Jacques Becker reconstituant la brève aventure, Marc Doelnitz, grand maître des cérémonies, figure emblématique du temps, n’hésita point à affirmer, désenchanté, “nous étions devenus une vision d’archives” (La Fête à Saint-Germain-des-Prés, Laffont, 1979).
De plus, avec le Saint-Germain “étroit” dans le temps et l’espace, pas question d’évoquer les précurseurs, ce qui serait fort dommage. On peut certes présumer que dans les années 1920-1930, des gens comme Yvonne George, Marianne Oswald, Nane Cholet ou l’époux de celle-ci Jean Tranchant, durent bien de temps en temps musarder du côté du “Flore” et des “Deux Magots”, mais ce fut sans doute davantage pour le plaisir de la promenade que pour des raisons professionnelles… Simplement parce qu’en ces jours anciens, on l’a dit, il n’existait dans le périmètre concerné aucune véritable salle de spectacle, fût-elle plus habilement dissimulée que la plage sous les pavés. La chanson de cette époque mangeait plutôt son pain blanc sur les pentes d’une Butte déjà devenue affreusement touristique, ou bien sur les Boulevards où triomphaient l’ABC et sa suite.
A gauche, il y avait bien, là encore, Montparnasse et sa rue de la Gaîté, fermement décidés à prendre le relais d’un Montmartre trop convenu. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres – “et plus loin encore de Paris à Perpignan”, n’aurait pas manqué d’asséner Pierre Dac, chansonnier du non-sens officiant lui aussi sur la rive droite ! Montparnasse eut bien quand même sa Muse, en la personne de la fascinante Yvonne George, justement, qui mourut jeune après avoir beaucoup abusé de la vie et de stupéfiants en tous genres, qui stupéfia les habitués de “Chez Fischer”, Cocteau, Desnos, Prévert, Henri Jeanson en tête, et qui ne fut guère gâtée par le phonographe, lequel refusa plus de la moitié des disques (au demeurant peu nombreux) qu’elle grava pour lui entre 1925 et 1929. Sans doute fut-elle la première à enregistrer, entre deux arias dédiées aux loups de mer, Erik Satie (Je te veux), mais nous avons préféré inclure ici, en ouverture de ce recueil, Toute une Histoire, l’une des très rares chansons qu’écrivit le jeune et fort énamouré Henri Jeanson, que le cinéma n’avait pas encore sollicité. Il est vrai qu’en ce temps-là il était muet (le cinéma) !.. Le ton affecté, une certaine emphase, la diction de la diseuse, peuvent aujourd’hui sembler terriblement vieillis, mais tout était paraît-il, quand elle se trouvait face à une salle, dans le geste et l’art consommé d’une authentique tragédienne. Jacques Prévert affirmait que son interprétation en public de Pars (une chanson attribuée à Jean Lenoir, futur signataire comblé de Parlez-moi d’Amour) et celle qu’elle en donna sur l’un de ses rares disques édités – que Desnos, follement épris lui aussi, jouait et rejouait à longueur de temps sur son phono jusqu’à usure complète – n’avaient rigoureusement rien à voir…
Mais la Muse de Montparnasse elle-même, Yvonne, était loin de se contenter d’un quartier dont les charmes commençaient eux aussi à se faner et cédait souvent aux sirènes de l’autre rive… Ce fut aussi le cas de la plupart de ceux représentés sur le premier disque, celui qui mène de la seconde moitié des années 20 à la fin de la guerre. Et pourtant, l’esprit ci avant mentionné habite déjà bel et bien leurs interprétations – du moins celles retenues dans notre recueil. L’esprit en question paraît bien s’être en bonne part incarné en la personne de Jean Tranchant, élégant dilettante, écrivain, peintre, décorateur, concepteur d’objets luxueux et rares destinés à des vedettes fortunées (parmi lesquelles Joséphine Baker et Charles Chaplin), passionné de jazz qui se fit parfois accompagner par Django Reinhardt, Stéphane Grappelli, Michel Warlop ou le big band noir de Willie Lewis (voir “Intégrale” Django Reinhardt, vol. 4 - Frémeaux FA 304), pianiste, compositeur, auteur, à qui l’on commanda des chansons au début des années 30 et qui, pris au jeu, se mit à les interpréter lui-même et à les enregistrer. Au vrai, sa voix quelque peu haut perchée lui interdisait les chansons les plus sombres, le cantonnant dans les choses agrestes, nostalgiques, douces-amères, dont le prototype demeure à jamais Ici l’On pêche. L’humour, l’ironie, voire une certaine inspiration loufoque, n’en étaient néanmoins pas exclus. Quant aux textes réellement vaches, noirs, à se foutre à l’eau (Moi, J’crache dans l’Eau), désespérés si l’on veut, il préférait les confier à d’autres. En particulier aux femmes. Justement, il en avait une sous la main : la sienne, Nane Cholet, qui se fit un plaisir d’interpréter en cabaret et d’enregistrer (au compte-gouttes, c’est un fait) quelques unes de ces arias parmi les plus déprimantes d’un temps qui ne l’était pas moins. Il lui arriva, à elle aussi, de se faire accompagner par Django et Stéphane (voir, à ce sujet, les volumes 3 et 5 de l’“intégrale” Django Reinhardt – Frémeaux FA 303 et 305 – où l’on trouvera également d’autres enregistrements de son mari en compagnie des deux fameux jazzmen). Ce n’est toutefois pas le cas de J’ai pas la Gueule qui plait aux Riches et de La Courroie, enregistrements légèrement plus anciens donnant une idée assez juste de l’esprit sarcastique et féroce, précurseur de ce que l’on appellera plus tard “réalisme poétique”, d’un Jean Tranchant…
Nane Cholet, qui chantait parfois faux mais touchait souvent juste, ne fut ni la première ni la seule à s’attaquer aux œuvres sombres de son mari. Déjà Lucienne Boyer avait su lui soutirer La Barque d’Yves puis Moi, j’ crache dans l’Eau. Les versions phonographiques qu’elle donna de ces titres ayant fait l’objet de plusieurs rééditions (voir en particulier la sélection dévolue à cette chanteuse alors adulée : Frémeaux FA 5020), il nous a semblé préférable de choisir une interprétation différente du second, due à Germaine Lix, moins célèbre et aujourd’hui terriblement oubliée, qui chercha pourtant en ce début des années 30 à s’affranchir de la routine en adoptant parfois un répertoire nettement moins complaisant. De Lys Gauty, artiste d’une tout autre envergure certes (voir le recueil Frémeaux FA 5033), l’on pourrait dire presque la même chose : sans jamais refuser les Chalands de passe et autres Bistrots du Port tranquillement enracinés dans le petit commerce, elle se plut à introduire régulièrement dans ses tours de chant quelques pierres précieuses à l’usage exclusif des connaisseurs. Jean Tranchant fut naturellement du lot, avec notamment Départ, Le Piano mécanique et La Ballade du Cordonnier (reproduite dans l’album Chansons pour les Enfants – Frémeaux FA 045). Cette fois, celle qui avait été sur la scène du Théâtre Montparnasse en 1930 l’une des principales interprètes de L’Opéra de quat’ Sous, sert d’autres auteurs et compositeurs : Kurt Weill (exilé en France en 1933) et Maurice Magre avec leur lanscinante Complainte de la Seine, puis Kosma et Prévert pour leur adorable histoire des Deux Escargots qui vont à l’Enterrement d’une Feuille morte (il n’y en a encore qu’une, de feuille, mais nous n’en sommes il est vrai qu’au début de l’Occupation !)… Florelle, la blonde héroïne du Crime de Monsieur Lange (Renoir et Prévert, pour mémoire), avait elle aussi participé à l’aventure de L’Opéra de quat’ Sous quelques années plus tôt en tenant le rôle de Polly dans la version française du film réalisé à Berlin par Georg Wilhelm Pabst. Ce n’est pas elle qui y narrait la lamentable et sublime histoire de La Fiancée du Pirate, humiliée, offensée, appelant de toute sa haine la vengeance implacable des Pauvres, qu’un Ange exterminateur ayant pris les traits d’un pirate devra nécessairement accomplir. Elle ne se privera pas néanmoins de donner, en même temps que trois autres arias tirées de l’œuvre, sa version personnelle de cette obsédante Fiancée au rythme en dents de scie et aux mots en lames de rasoir. Plus tard, Juliette Gréco sera à son tour celle que “le navire de haut bord / loin de la ville où tout sera mort / emportera vers la vie”… Quant à Florelle, elle retrouvera Kurt Weill – sans Brecht – en 1934, à Paris, dans Marie Galante, œuvre de moindre envergure sans doute, mais comportant des moments forts.
Côté Jean Tranchant, les chansons moins âpres qu’il lui arrivait de glisser entre deux livraisons empoisonnées furent parfois adoptées par des interprètes dont les préoccupations semblaient fort éloignées des siennes. Ce fut le cas, par exemple, des Collégiens de Ray Ventura, tout à la fois gens de jazz et de variétés plutôt enclins à la saine rigolade, qui, outre Ici l’on pêche, lui enregistrèrent l’ironique Balade du Cordonnier, ainsi que cette Légende du Roi Marc, charge sans conséquence d’un vieux potache désireux d’en finir avec Tristan et Isolde et d’en découdre avec l’ennui wagnérien. Quant au Cordonnier mal chaussé et fatalement appelé à se casser la gueule, il fut également pris en charge par l’assez mystérieux Pierre Doriaan, qualifié de “troubadour du XXème siècle” sur l’étiquette des disques, qui fit une carrière obscure entre Montmartre et Montparnasse dans les années 30, grava quelques galettes chez Pathé et disparut à la Libération, après avoir, dit-on, un peu trop fréquenté Radio-Paris-qui-ment… Une station que Ventura (contraint à l’exil entre 1940 et 1945) et son gang ne visitèrent sûrement pas souvent, alors qu’ils furent en revanche les seuls, à notre connaissance, à inscrire dans la cire la sarcastique Complainte des Caleçons de Robert Desnos mise en musique par Mireille, pour une fois en rupture de Jean Nohain. Desnos, l’une des figures les plus attachantes du surréalisme en ses riches heures, qui passa la plus grande partie de sa vie entre Montparnasse et Saint-Germain, n’eut pas la chance de son copain Prévert d’être aussi souvent l’élu de compositeurs de talent. Il y avait certes bien eu déjà, en 1933, la Complainte de Fantômas musiquée par Kurt Weill ; plus tard, après sa mort lointaine, il y aura La Fourmi chère à Gréco et encore quelques autres... Pas énorme, au fond. Alors, il ne pouvait être question de louper cette histoire sado-maso de sous-vêtements pas folichons !
La plus illustre interprète de Jean Tranchant fut sans doute Marlène Dietrich, à qui il offrit sa toute première chanson en français, le blasé, le cynique Assez (voir l’album Frémeaux FA 194, consacré à celle qui fut L’Ange bleu et L’Impératrice rouge), proposé ici dans la version moins connue de Germaine Sablon (la sœur aîné de Jean), à la recherche elle aussi d’un répertoire hors des sentiers battus. Mais la plus tragique, la plus terrifiante de toutes, fut sans conteste Marianne Oswald…Née Alice Bloch en Lorraine à l’époque où celle-ci était allemande, ayant choisi son pseudonyme en référence à son double amour pour la France (“Marianne”) et pour le drame romantique (“Oswald”), elle dut subir une grave opération de la gorge qui lésa les cordes vocales et lui donna pour toujours cette voix de cauchemar à flanquer la chair de poule aux plus méchants, parfaite pour chanter le malheur, l’humiliation, le désespoir, pour hurler à la révolte, à la vengeance, à la mort… Elle fit ses débuts à une date indéterminée des années 20 dans un “cabaret littéraire” de Berlin et y remporta un succès inattendu, avec, déjà, les inconditionnels “pour” et les inconditionnels “contre”. Puis elle fut en 1929 de la distribution de Happy End de Brecht et Weill, œuvre qui marcha beaucoup moins bien que L’Opéra de quat’ Sous… Rendue enfin à Paris, sa ville rêvée, au début des années 30, elle continua à s’attaquer (en français et en allemand) à Bertold et Kurt (Bilbao Song, Chant des Canons, Surabaya Johnny...), qu’elle garda toujours à son répertoire. En 1968 encore, à la télévision française, un dimanche d’avril et d’avant la tempête, elle interpréta à l’heure du repas La Fiancée du Pirate… Fatalement, sa route croisa celle d’un Tranchant influencé par l’expressionnisme et le réalisme social allemand – le Grand Soir et les lendemains qui chantent en moins ! Elle lui prit Le Grand Etang, Appel, Sans repentir et, surtout, la sarcastique Complainte de Késoubah, l’une des œuvres les plus dures de la chanson française, irrémédiable, sans le moindre rayon d’espoir. Une mélopée simple et répétitive comme une comptine, une phrase lancinante jouée pizzicato au violon, la voix narquoise et sombre récitant presque mécaniquement, comme on lirait l’indicateur des chemins de fer (sauf pour la chute finale), ce texte crépusculaire… L’air du temps (janvier 1933)… L’art de la diseuse si parfaitement épuré qu’il en devient douloureux.
Puis Marianne, tignasse rouge en bataille (que Cocteau comparait à un feu), rencontra Jean Cocteau, justement, qui lui fit cadeau d’Anna la Bonne, de La Dame de Monte-Carlo (deux “chansons parlées”) et de Mes Sœurs n’aimez pas les Marins, tous titres inclus dans le coffret consacré à l’auteur du Sang d’un Poète (Frémeaux FA 064). Il lui arriva aussi de dire des textes de René Char, de refuser ceux de Desnos et de chanter Gaston Bonheur ou Henri-Georges Clouzot. Alors sous-employé par le cinéma, le futur réalisateur du sulfureux Corbeau écrivit quelques chansons, dont Le Jeu de Massacre, parfaitement prémonitoire, n’offrant guère une vision optimiste du monde et de l’humanité.
Enfin Prévert vint, avec son œil qui rit et son œil qui pleure (souvent de rage). C’est précisément à l’occasion d’une bagarre que Marianne et Jacques prirent contact, vers 1934. Celui-ci, qui avait gardé de l’époque où il côtoyait quotidiennement les Surréalistes un goût certain pour les manifestations bruyantes dans les salles de spectacles dégénérant la plupart du temps en castagne généralisée, avait fait le coup de poing en compagnie de son frère Pierre, de Jean Anouilh et de quelques autres contre des perturbateurs ayant sifflé copieusement Marianne et sa chanson Appel, lors d’un récital à Pleyel. Jusque là, Prévert, très investi dans l’écriture de textes et pièces destinées au “Groupe Octobre” (théâtre ouvrier révolutionnaire), commençait à peine à se faire un (petit) nom dans le cinéma en qualité de scénariste-dialoguiste et n’avait que bien peu publié dans des revues fort confidentielles. Son premier recueil, Paroles, ne paraîtra en librairie qu’une douzaine d’années plus tard, en bonne part grâce à l’opiniâtreté de quelques amis décidés à rassembler des écrits oubliés, semés à tous vents depuis des lustres… Certains de ces premiers poèmes (qu’il se refusait d’ailleurs à appeler ainsi) avaient cependant déjà été mis en musique par son amie d’enfance Christiane Verger. D’autres allaient bientôt suivre : en 1934-35 Prévert donna en effet plusieurs textes plutôt durs à Joseph Kosma, pianiste-compositeur natif de Budapest, arrivé depuis peu à Paris après un passage par Berlin. Le premier, A la Belle Etoile, fut conçu pour Le Crime de Monsieur Lange, film de Jean Renoir au fort parfum de Front Populaire, auquel participa une bonne partie du Groupe Octobre ainsi que Florelle. Interprète, on l’a vu, de Weill et Brecht au cinéma, menant des revues au Moulin-Rouge et aux Folies-Bergère, elle fut aussi la première à graver sur disque une chanson de Prévert (musique de Wal-Berg) : Embrasse-Moi. La rareté de cette galette de la maison Polydor tend à prouver qu’elle se vendit assez mal. Peu après, Marianne Oswald enregistra à son tour Embrasse-Moi chez Columbia – un disque presque aussi rare que celui de Florelle !.. Laquelle, de son côté, essaya bien de confier également à la cire A la Belle Etoile, dont elle ne chantait dans le film qu’un couplet et un refrain. Ce disque-ci ne vit jamais le jour. Pas plus, du reste, que celui que fit du même titre Marianne le 12 novembre 1937, le jour où elle grava aussi La Grasse Matinée, atroce, inoubliable histoire du “terrible petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain” (plage 15 du CD 1)…
En 1935, Jacques dédicaça à Marianne sa Chasse à l’Enfant, l’une de ses plus féroces chansons de combat (dont il ne parvint jamais à faire un film, malgré tous les efforts déployés en compagnie de Marcel Carné), que celle-ci interpréta et enregistra. De même qu’elle put également graver en 1936-37 Toute seule (musique de Wal-Berg – CD 1, plage 14), La Grasse Matinée et Les Bruits de la Nuit. Elle tenta encore le coup avec Le Cauchemar du Chauffeur de Taxi qui, tout comme A la Belle Etoile, finit dans les oubliettes de la firme. Aucune trace n’en a été retrouvée… Ensuite, quand la guerre éclata, Marianne Oswald s’embarqua pour les Amériques d’où elle ne revint qu’en 1946, sous le bras un livre de souvenirs (en anglais) intitulé A Small Voice (devenu en français Je n’ai pas appris à vivre, avec une préface de Prévert – jamais réédité) et dans la tête un texte du poète noir américain Langston Hughes, King Kong Blues, que Wal-Berg lui mettra en musique… Dans une série intitulée Le Retour de Marianne Oswald proposée par la radio nationale au printemps de 1947, la chanteuse introduisit quelques nouveautés, dont La Belle Cubaine de Raymond Radiguet sur une musique d’Henri Sauguet et une “chanson folle” d’Apollinaire, La Belle Américaine, (voir CD 2, plages 7 & 8). Elle donna de nouvelles versions des textes de Cocteau et des chansons de Prévert-Kosma d’avant guerre, ajouta plusieurs nouveautés dues à la même équipe, ainsi que son King Kong Blues, mais ne reprit aucune des chansons d’un Jean Tranchant “épuré” et parti à son tour en exil… Pour chacune des six émissions, Marianne fut présentée par un ami et/ou un admirateur : Cocteau, Prévert, Albert Camus, Georges Ribemont-Dessaignes, Gaston Bonheur, Pierre Seghers… Dans les années 1950-60, Marianne Oswald devint productrice à la radio puis à la télévision d’émissions le plus souvent destinées aux enfants, au cours desquelles elle intervenait toujours. Et je crois me souvenir que son allure et sa voix leur filaient plutôt les jetons, aux mômes !..
L’autre dame parmi les premières à chanter Prévert s’appelait Agnès Capri. Voix parfois pointue et haut perchée, capable d’interpréter sans douleur, presque quinze ans après Yvonne George, Je Te veux, la belle valse de Satie, elle savait aussi bien jouer tout en finesse la carte de l’ironie tranquille ou de la lassitude caressante, comme dans Quand Tu dors, chanson tendre-amère de Kosma et Prévert. A bien des égards, elle fut la parfaite antithèse d’Oswald-la-terrible et, partant, son indispensable complément. Dans une interview des années 50, elle affirmait volontiers que Marianne n’admettait de chanter que le Prévert de combat, le plus âpre, le plus désespéré, délaissant ainsi toute une facette pourtant extrêmement riche de celui-ci, son côté humoriste primesautier ou grinçant, les jeux de mots innombrables, les coq-à-l’âne les plus réjouissants… Voilà pourquoi elle, Agnès Capri, se fit un devoir, une joie, de s’attaquer à ces autres textes davantage destinés aux enfants qui s’aiment… Ainsi mit-elle également à son répertoire des choses comme Les Animaux ont des Ennuis, Adrien (histoire d’une boule de neige pieusement conservée et de chien battu), L’Orgue de Barbarie et, surtout, La Pêche à la Baleine, dont elle fut d’ailleurs la créatrice, bien avant les Frères Jacques, mais qu’elle enregistra après eux… Au demeurant, des disques, elle n’en fit qu’une poignée, Agnès Capri – moins même que Marianne Oswald ! Encore est-il bon de préciser que, sur les vingt-quatre faces qu’elle grava du printemps de 1936 à celui de 1952 – seize ans ! –, six furent refusées et deux autres (dont Les Animaux ont des Ennuis), bien qu’ayant reçu un numéro de catalogue, n’atteignirent jamais les bacs des disquaires… Quant aux quatre titres du 19 mars 1940 (dont Quand Tu dors et Je Te veux), la maison Columbia n’accepta d’en fabriquer quelques exemplaires que parce que la chanteuse les avait faits presser à compte d’auteur ! Sans doute furent-ils vendus dans le cabaret-théâtre qu’elle avait ouvert en 1938, 5 rue Molière, à deux pas de la maison de l’auteur du Misanthrope et à trois de l’opéra (c’est-à-dire, sur la rive droite !). C’est qu’elle avait du succès, Dame Capri ! Auparavant, grâce au soutien de cet étonnant comédien du nom de Marcel Herrand, elle avait déjà fait sensation au Bœuf sur le Toit” et à l’“ABC”. Bref, la boîte ne désemplissait pas. Il est vrai qu’elle était minuscule ! Elle n’en vit pas moins passer quelques débutantes dont on reparlera, telles Germaine Montero et la future Cora Vaucaire (très tentées, l’un et l’autre, par l’univers prévertien). On pouvait aussi y apprécier Paul Frankeur, Yves Deniaud, Raymond Bussières, Fabien Loris (tous anciens du Groupe Octobre), ainsi que les “Compagnons de Route”, qui deviendront après moult péripéties les Quatre Barbus… “Indésirable” pendant la période de l’Occupation, Agnès (ses vrais prénoms étaient Sophie-Rose) fut elle aussi contrainte à l’exil. De retour dès 1944, elle reprit ses activités, d’abord à la Gaîté-Montparnasse, puis s’en retourna sur l’autre rive rouvrir en 1948 son ancien cabaret. Huit ans et une nouvelle série de disques plus tard (voir CD 2, plage 18 et CD 3, plage 12), celle dont Jacques Prezelin avait pu écrire “c’est l’esprit, la finesse faite femme”, mit sa vie en veilleuse en même temps qu’un point final à l’amour du spectacle.
A défaut d’être un quartier de distractions (pascaliennes ?) et de bamboche, le Saint-Germain-des-Prés d’avant guerre était depuis longtemps déjà un lieu de rencontres d’intellos, d’écrivains (souvent poètes), de comédiens, d’artistes… Les débits de boissons du coin avaient leurs fidèles. Léon-Paul Fargue hanta la brasserie “Lipp”, où les ténors de la politique venaient souvent casser la croûte et où l’on pouvait parfois apercevoir André Gide, Valentine Tessier ou Jacques Copeau (les théâtreux du “Vieux Colombier”). On y vit aussi Saint-Exupéry… Aux “Deux Magots”, qui avaient jadis reçu Léon Daudet, Oscar Wilde et Alfred Jarry, les Surréalistes avaient pris la relève. Dans L’Esprit nouveau, l’un des textes composant le recueil Les Pas perdus (publié en 1924), André Breton narre d’une manière très journalistique fort éloignée de son style habituel cette rencontre brève qu’il fit, ainsi que Louis Aragon et que le peintre André Derain, le lundi 16 janvier (1921), quand ils croisèrent tour à tour, séparément mais presque simultanément, rue Bonaparte, rue Jacob, devant les grilles de l’église, une mystérieuse “jeune fille qui sort d’un cours, avec on ne sait quoi dans le maintien d’extraordinairement perdu”… Le point de ralliement des trois complices subjugués était évidemment les “Deux Magots”. “A six heures, Louis Aragon et André Breton ne pouvant renoncer à connaître le mot de l’énigme, explorèrent une partie du sixième arrondissement : mais en vain”. Nadja aux yeux de fougère, déjà, et depuis toujours sans doute, hantait André… Elle viendra. Puis disparaîtra comme l’autre, ne laissant derrière elle, sans le savoir, que le plus beau livre du monde.
Le “Café de Flore”, ouvert sous le Second Empire, était le plus ancien du lot. La sinistre Action Française y vit le jour, mais Apollinaire, André Salmon, André Tudesq, René Dalize, assistés d’André Billy, y jetèrent en 1912 les fondements de leur revue Les Soirées de Paris, nous rappelle Guillaume Hanoteau…Dans les années 30, Desnos et surtout Prévert et sa bande en devinrent des habitués. Le premier habitait rue Mazarine avec sa femme Youki (“neige rose”, le surnom que lui avait donné Foujita quand elle était son modèle), qui avait si bien su le consoler de la cruauté de l’inaccessible Yvonne George. Jacques, de son côté, bien qu’il fût né sur la rive droite et, qui plus est, en dehors de Paris (à Neuilly), avait passé son enfance et son adolescence dans le sixième arrondissement, entre les rues de Rennes et du Vieux-Colombier, pas loin de Saint-Sulpice… Dans la seconde moitié des années 20, il avait habité avec ses copains de régiment Yves Tanguy et Marcel Duhamel, son épouse et son frère Pierre, une baraque pour le moins délabrée sise au 54 de la rue du Château, derrière la gare Montparnasse. A partir de 1925, les Surréalistes fréquentèrent assidûment ce phalanstère où l’on put également croiser Raymond Queneau, André Masson, Georges Ribemont-Dessaignes, Roland Tual, Max Morise, Luis Bunuel, Georges Sadoul ou Georges Bataille… Après, Prévert partit pour l’autre rive et vécut un temps à deux pas de la place Blanche et du “Cyrano”, bistrot longtemps chéri du groupe surréaliste. Vingt-cinq ans plus tard, dans les années 50, il retrouvera le quartier en s’installant cité Véron, derrière le Moulin-Rouge, dans l’immeuble qu’habitait aussi l’ami Boris Vian. Mais au début des années 30, aux jours heureux du Groupe Octobre en ses forces vives, il choisit de repasser la Seine et élut domicile pour un bout de temps rue Dauphine. Le “Flore” était tout proche, alors, évidemment, la bande en fit rapidement son quartier général des années durant, celles de l’Occupation comprises. Parmi les plus assidus, outre Jacques, Pierre et Duhamel : Jean-Paul Dreyfus (futur Le Chanois), Jacques-Bernard Brunius, Guy Decomble, Paul Grimault, Raymond Bussières, Lou Bonin (dit Tchimoukow), Desnos, Sylvain Itkine, Arlette Besset, Sylvia Bataille, Yves Allégret, Jean Ferry, Louis Chavance, Maurice Baquet, Jean Rougeul, Jean-Louis Barrault, Roger Blin, Yves Deniaud, Germaine Pontabry, Agnès Capri…Il y en eut de très jeunes comme les frères Marc (dont l’un deviendra après la guerre Francis Lemarque) et même des gosses, tels les frères Mouloudji (André et surtout Marcel, qui sera acteur, chanteur, écrivain, poète, peintre…), protégés d’Itkine, de Duhamel et du couple Desnos. Plus tard, la bande adoptera aussi le guitariste Henri Crolla (alias “Mille-Pattes”) et une jeune femme délurée prénommée Simone, appelée à connaître un bel avenir comme comédienne…
Quelques années plus tôt – peu de temps avant l’ouverture des hostilités – une autre jeune femme portant le même prénom avait elle aussi commencé à fréquenter le “Flore”, sans doute au moment où le dit établissement fut mis en vente et acheté par un Auvergnat du nom de Paul Boubal… Cette Simone-là, surnommée par ses amis, normaliens et agrégés de philosophie comme elle, “Le Castor”, en référence à la prononciation de son patronyme avec accent anglais à la clef (“beaver”), ne se sentait pas toujours très à l’aise en compagnie des bohêmes du gang prévertien. Des années après, elle écrira à leur endroit : “la plupart se rattachaient, de manière incertaine, au monde du cinéma et du théâtre ; ils vivaient de vagues revenus, d’expédients ou d’espoirs (…). Ils passaient leur journée à exhaler leur dégoût en petites phrases blasées entrecoupées de bâillements. Ils n’en avaient jamais fini de déplorer la connerie humaine.” (Simone de Beauvoir, La Force de l’Age – Gallimard). Son compagnon, en revanche, loin de se cantonner à l’étude du Dieu de Descartes (“le plus libre de tous”), de la Phénoménologie hégélienne et de l’antagonisme (complice) entre l’Etre et le Temps récemment mis à la mode par Heidegger (terriblement mal vu en notre époque de politiquement correct – terriblement ennuyeux aussi, admettons-le !), déjà emporté corps et biens par sa dévorante passion de la Liberté et son amour des mots, se montrait bien plus réceptif. Il avait sûrement été parmi les rares à voir en 1932 L’Affaire est dans le Sac, délirant film des frères Prévert qui ne tint l’affiche que quelques jours, et l’un des plus rares encore à l’apprécier. Le cinéma, le théâtre, le jazz, la littérature, la critique étaient déjà ses passe-temps favoris et, après un essai “sérieux” sérieusement intitulé La Transcendance de l’Ego, il était sur le point de publier un roman, La Nausée, susceptible de tirer de leur sommeil dogmatique quelques esprits curieux de cette fin d’entre-deux-guerres… Ensuite, en des jours plus troubles encore, il y aurait L’Etre et le Néant (re-titré La Lettre et le Néon par Boris Vian), peut-être, avec Le Discours de la Méthode (1636), le plus célèbre texte philosophique écrit en langue française. Bref, Jean-Paul Sartre (car c’était lui), ne pouvait rester insensible à l’anarchisme d’un Prévert, surtout distillé par la douce Capri et l’incorruptible Oswald. La Chasse à l’Enfant le marqua même tellement que, des années après, il en reprendra les premiers vers en épigraphe au livre I de son Saint Genet, Comédien et Martyr…
Au premier rang de ceux de la bande à Jacques susceptibles de faire grincer les dents de l’(ex-)jeune fille rangée qu’était alors Simone de Beauvoir, ne pouvait manquer de se trouver le nommé Dominique Fabien Loris Terreran, dit Fabien Loris, “Lolo” pour les potes, l’un des plus durs du Groupe Octobre, “un grand beau gars doué pour le chant comme pour le dessin, pour les filles aussi, ce qui n’affecte jamais son personnage de sceptique désabusé. Il en joue, il est vrai, mais avec un humour tel qu’il a toujours autour de lui un auditoire à l’affût de ses histoires.”, dira de lui Marcel Duhamel (Raconte pas ta Vie – Mercure de France, 1972). Prévert qui, comme lui, appréciait assez les très jeunes femmes, lui inventa quelques rôles secondaires dans Les Enfants du Paradis et Les Portes de la Nuit (1946), où il joue le chanteur des rues du début, interprétant sous le métro aérien à la station Barbès-Rochechouart Les Enfants qui s’aiment, tandis que deux des enfants en question, une fille et un garçon bien sûr, font timidement connaissance et s’aiment déjà à la folie… En revanche, ce n’est pas Loris, comme on l’a parfois affirmé, qui chante dans ce film des bribes des Feuilles mortes, mais bien Montand et Irène Joachim (voir “Intégrale Yves Montand”, volume 1 – Frémeaux FA 199). Loris et plusieurs autres de l’équipe trouvaient le duo chantant Gilles (Jean Villard) et Julien (Aman Maistre), pourtant le plus contestataire des années 30, passablement mou. Ce qui n’empêcha point le dit duo d’enregistrer en 1937 le noir texte de Prévert intitulé Familiale (CD 1, plage 13). De même, les Compagnons de Route, engagés par Agnès Capri, qui ne se privaient point d’interpréter du Gilles et Julien, se virent traités de boy-scouts. Et même plus tard, lorsque devenus les Quatre Barbus ils remportèrent un succès mérité en chantant (entre bien d’autres choses) les parodies de Pierre Dac et Francis Blanche sur des airs classiques célèbres (La Pince à Linge, L’Ouverture du Barbier de Séville – voir CD 3, plage 15), ils ne furent jamais invités à se produire à la “Fontaine des quatre Saisons”, cette boîte ouverte par Pierre Prévert dans les années 50…
En somme, comme l’écrit encore Hanoteau, vers 1939 “tout est en place pour que le Saint-Germain-des-Prés de Paris devienne le Saint-Germain-des-Prés du monde entier. Il ne reste plus qu’à frapper les trois coups. Mais non, la générale est renvoyée au-delà des cataclysmes. Les troupes nazies viennent d’envahir la Pologne...” (op. cité). La chose est-elle si sûre ? Si les troupes nazies n’avaient pas, etc, etc… Si l’Angleterre et la France n’avaient pas déclaré, etc, etc… Si l’on avait vraiment frappé les trois coups à ce moment-là, le Saint-Germain-des-Prés de Paris serait-il réellement devenu, etc, etc… ? On ne fait pas – et surtout on ne refait pas – l’Histoire avec des “si”, c’est bien connu. Mais qu’il nous soit pourtant permis de nourrir quelques doutes. Si le rideau a pu se lever, c’est justement parce que l’évènement fut différé de plusieurs années. Si un agréable quartier, presque provincial, d’une grande ville est d’un seul coup devenu une légende mondiale, le point de ralliement de tout ce qui se réclamait de la modernité, c’est précisément parce que quelque chose de grave, de terrible, sans commune mesure avec l’évènement lui-même, s’est produit dans l’intervalle… En d’autres termes, sans la guerre, l’Occupation, la dictature et la terreur de la bête immonde, des éléments épars, disséminés aux quatre vents, ne se seraient peut-être jamais rencontrés et tout serait demeuré à l’état d’ébauche. Ce qu’il y a de (presque) bien avec les guerres, c’est que, quand elles se terminent (ou, en tous cas, en donnent l’impression), elles précipitent les mélanges, réinventent soudain une incroyable légèreté, font fleurir une vie nouvelle, insoupçonnée, au-delà des ruines et sollicitent impérativement l’appel d’air libérateur… C’est très exactement ce qui arriva au lendemain de la grandiose boucherie de 14-18, transformant irrésistiblement ces années 20, réputés “folles”, en la décennie la plus novatrice du siècle numéro vingt.
A la vérité, l’Occupation se fit sans doute moins sentir à Saint-Germain qu’en d’autres lieux jugés plus stratégiques ou plus divertissants. Certains petits restaurants servaient encore, de manière régulière malgré les restrictions, une nourriture peu abondante, mêlée d’ersatz, pour des prix abordables. Hanoteau pense que c’est probablement là, dans ces établissements accueillants à défaut d’être opulents, “que le quartier, épars avant guerre, a trouvé peut-être son unité et même son style.”… D’autre part, pas de veine mais c’est ainsi, les hivers de cette rude période comptèrent parmi les plus rigoureux du siècle, alors que, comme il se doit, le combustible salvateur faisait cruellement défaut. A cette époque-là et depuis déjà pas mal de temps, ceux qui maniaient la plume le faisaient souvent au café. On a aujourd’hui du mal à imaginer, dans nos débits de boissons fonctionnels pleins de bruit, de fureur et de stress, de publicitaires et autres sublimes concepteurs de concepts, des gens assis dans un coin discret, devant une consommation renouvelable à intervalles variables et fixes à la fois, en train d’écrire dans un brouhaha doux et léger une page feutrée d’A la Recherche du Temps perdu, un chapitre morbide de La Nausée ou la première strophe de La Jeune Parque. Certes, il y avait bien eu Verlaine, très tôt habile à transformer l’encre en absinthe… Avec le froid polaire des hivers 40-44 et la quasi impossibilité de se chauffer chez soi, les bistrots et leurs gros poêles se trouvèrent encore plus sollicités que par le passé. Seulement, les gros poêles, ils dévoraient tant et tant, que les mastroquets de la place, tout comme ceux de Montmartre ou de Montparnasse, n’avaient plus de quoi les faire ronronner… A l’exception de Boubal, le patron du “Flore” : “L’hiver surtout, je m’efforçais d’y arriver dès l’ouverture pour occuper la meilleure place, celle où il faisait le plus chaud, à côté du tuyau de poêle. J’aimais beaucoup ce moment où, dans la salle encore vide, Boubal, un tablier bleu noué autour des reins, ranimait son petit univers” (Simone de Beauvoir)… En somme, tous ceux qui fréquentaient encore les beaux quartiers frigorifiés de la capitale, ceux aussi qui n’avaient jusque là été que de passage, se ruèrent en force sur cet îlot de chaleur (toute relative au demeurant) au cœur des frimas et y établirent durablement leur commerce. La glaciation des hivers de l’Occupation ne fut pas pour rien dans la genèse du mythe germanopratin des années où l’air parut soudain enfin tellement respirable qu’on put se payer le luxe d’aller s’enfumer dans des caves. S’en doutait-on ?
Saint-Germain avait beau donner l’impression de rester quelque peu en marge du monde à cette époque, certains des anciens habitués, parmi ceux que les gentils casqués, bottés, vêtus de vert-de-gris tenaient pour “indésirables”, estimèrent plus sage de prendre du recul – en descendant vers le sud, par exemple… La bande à Prévert continua de fréquenter assidûment le “Flore”, mais Jacques lui-même fit une assez longue halte du côté des Alpes-Maritimes, où avait fini par le mener, en compagnie de quelques “indésirables” (Trauner, Kosma…), l’exode de 1940. Là, il travailla tant bien que mal sur plusieurs films (dont Les Visiteurs du Soir et Lumière d’Été), puis reprit le chemin de la capitale, toujours pour des raisons cinématographiques – ce qui ne l’empêcha tout de même pas, à l’occasion, de donner un petit coup de pouce à certains réseaux…
Sous l’Occupation, contrairement à ce qui a souvent été raconté, le jazz ne fut jamais interdit. On peut même affirmer qu’en France et en Belgique, il connut quelques uns de ses jours les plus fastes ! Si bien que durant la période, à côté des professionnels locaux de haut-vol (Alix Combelle, André Ekyan, Aimé Barelli, Alex Renard, Michel Warlop, les grandes formations du “Jazz de Paris”, de Jean Yatove, de Richard Blareau, de Raymond Legrand et, bien entendu, Django Reinhardt, fabuleux génie fort justement considéré comme leur égal par les grands solistes américains), des amateurs passionnés purent se lancer dans l’aventure. Certains, comme Claude Luter, passèrent professionnels par la suite avec le succès que l’on sait et qui durait encore il y a peu. D’autres, tels le clarinettiste Claude Abadie et les frères Vian – Boris, Alain et Lélio – continuèrent sur les chemins de l’amateurisme, tout en restant fort proches des “pros” auxquels il leur arriva souvent de se mêler. Du reste, des petits jeunes comme Hubert et Raymond Fol, respectivement saxophoniste et pianiste, qui firent leurs débuts dans la formation d’Abadie, ne manquèrent pas, eux non plus, de passer de l’autre côté (sans oublier de changer radicalement de style) après la guerre…
Cette question du style revêt véritablement un aspect crucial. Le quartier, rappelons-le, contrairement à ceux dont il a été question précédemment où existaient depuis des lustres nombre d’établissements spécialement conçus pour accueillir des spectacles souvent bruyants, n’était en rien équipé pour recevoir cet irrésistible désir de Liberté qui n’en finit pas de le submerger dès l’an 45. Or le jazz, si l’on excepte le MJQ (qui n’existait d’ailleurs pas encore), ça fait du boucan ! Les voisins, insensibles aux sonorités rauques et sauvages de la catastrophe apprivoisée dont parlait Cocteau une vingtaine d’années plus tôt à l’écoute des Mitchell’s Jazz Kings, se révélèrent assez peu compréhensifs ! Se plaçant résolument dans la lignée “revivaliste” dominée par les “figues moisies”, la bande à Luter (plutôt influencée par les grands Maîtres noirs louisianais) et le gang (inspiré de ceux du Chicago des roaring ‘twenties) Abadie-Vian ne faisaient pas particulièrement dans la dentelle et la demie teinte, ainsi qu’en témoignent ici certaines de leurs plus anciennes et vénérables gravures (That Dada Strain, Tiger Rag..) ! Il ne leur restait plus qu’à descendre à la cave ! C’est Luter qui ouvrit le feu en réquisitionnant au printemps 46 celle du “Lorientais”, un hôtel au 5 de la rue des Carmes. La rue des Carmes, ce n’est pas vraiment Saint Germain, puisque cela se trouve dans l’autre arrondissement (le cinquième), au pied de la Montagne Sainte-Geneviève, mais on fera comme si… Et puis, un peu plus tard, Claude et les siens ne manqueront pas de retraverser le Boul’Mich’ pour s’installer un bon moment – souvent en compagnie d’un nommé Sidney Bechet – au “Vieux Colombier”… Les caves ! Idée géniale, comme le sont parfois celles que l’on ne prémédite pas. Sans elle et – bienheureuse coïncidence – la parution, le 10 mai 1946, de Paroles de Prévert (il s’en vendit un nombres respectable d’exemplaires dès les premiers jours dans les environs !), Saint-Germain ne serait peut-être resté que ce qu’il était : un gentil quartier momentanément agité en d’éphémères jours de liesse… Saint-Germain, on peut aussi le voir comme la rencontre idéale de séries causales indépendantes !..
Les caves ! Le mot d’ordre est lancé ! L’impératif catégorique ! Il faut des caves, même quand le spectacle n’est pas si bruyant que cela et qu’en somme, une boutique en rez-de-chaussée transformée en théâtre eût sans doute suffi… Le 11 avril 1947, Boris Vian, sa trompinette et ses frangins Alain et Lélio, firent ainsi l’ouverture du “Tabou”, sis au 29 rue Dauphine, dans le sous-sol d’un bistrot restant ouvert toute la nuit. Le lieu était tellement humide que, raconte Claude Bolling (dix-sept printemps à l’époque) parfois chargé d’y tenir le piano, l’on devait chaque matin remonter la table d’harmonie de l’instrument pour la mettre à sécher dans la cour!.. Cela n’empêcha point les célébrités des arts et lettres, non plus que d’illustres visiteurs étrangers de venir y passer des nuits souvent plus belles que les jours. Cinglés de jazz depuis les années 30, les frères Vian et leurs complices Claude Abadie, Claude Léon, Hubert et Raymond Fol, Guy Montassut et quelques autres s’étaient particulièrement entichés des styles déjà anciens, déjà oubliés, que le mouvement “revivaliste”, né aux U.S.A. dans la seconde moitié des années 30, tentait de remettre au goût du jour. Les enregistrements réalisés à New York en 1938 sous la houlette d’Hugues Panassié pour la jeune firme “Swing”, avec Tommy Ladnier, Sidney Bechet, Mezz Mezzrow, James P.Johnson ou Cliff Jackson, leur firent évidemment une forte impression. Sous l’Occupation, pratiquant cette forme de jazz – parfois jugée vieillotte, comparée à la mode du swing triomphant —, il leur arriva de gagner le Tournoi des amateurs (du moins quand on ne les déclassa pas pour avoir osé interpréter des thèmes américains prohibés) et de graver (à compte d’auteur) quelques acétates-souvenir. A l’heure de la libération de Paris, Boris en enregistrera d’autres, cette fois en compagnie de Luter. Lequel Luter, de son côté, avant que de monter la formation régulière du “Lorientais”, travailla un moment avec d’autres musiciens comme Jean Osmont, Marcel Cazes et Jean Marco (guitariste et futur crooner-star de l’orchestre Jacques Hélian), ainsi qu’en témoigne leur Farewell Blues saisi au vol face au public de la Salle Pleyel…
Et, puisque Jacques Hélian vient d’être mentionné, lui que la vogue germanopratine n’intéressait sans doute qu’assez modérément, on ne peut manquer de signaler qu’il paya tout de même tribut au quartier et à la mode en acceptant d’être, avec son orchestre, la vedette en 1950 du film Pigalle - Saint-Germain-des-Prés, qui mêlait de la manière la plus plate possible la vie nocturne des deux haut-lieux parisiens. Issue de la dite pellicule, la chanson amusante de Paul Misraki et André Hornez intitulée A Saint-Germain-des-Prés se fait un plaisir d’énumérer tous les poncifs stigmatisant le quartier scandaleux et fascinant, balancés à longueur de colonnes, d’éditions, de mois, d’années, par les pisse-copie de Franche Démence, du Bigaro ou de Rance-Foire… Il n’était pas incongru de faire figurer cette image d’Epinal en tête de gondole !..
Sept ans plus tôt, le même Hélian, flanqué d’une formation assez différente, avait enregistré (avec les Sœurs Etienne) une autre chanson, Liliput, signée pour la musique par Jean-Baptiste “Johnny” Sabrou. Or, ce Johnny-là, qui passa la plus grosse partie de son existence du côté du quai des Grands Augustins, deviendra en 47 le légendaire Tarzan du “Tabou”. On peut l’écouter ici (CD 2, plage 3) sur place, dans l’exercice de ses fonctions, se livrer à une improvisation de sa façon sur le blues, accompagné par Boris et sa bande. Il faut préciser qu’ils se connaissaient bien, puisque Sabrou était membre dès 42-43 de l’équipe Abadie-Vian… C’est à cette époque qu’avec sa copine Jo(sette) Derel il enregistra (déjà sur “pyral”), à la fois chanteur et guitariste, son Liliput, mais avec des paroles différentes et sous un autre titre: L’Ecole buissonnière. Acétate oublié déniché par hasard, document plus que rare, le seul ici (avec tout de même les Escargots endeuillés de Lys, Jacques et Joseph) remontant aux jours de l’Occupation : un petit rayon de soleil en passant que nos amis allemands n’auraient pas ! C’était toujours bon à prendre…
Le “Tabou”, à peine posé sur ses rails d’argile du printemps 47 – qui ne sera jamais cette grande ligne que se plait à narrer la légende – il fut rapidement avéré que le jazz ne suffisait plus. Alors, la chanson qui n’attendait que ça s’en vint à la rescousse. Une espèce de miracle, en somme… Pas de “Tabou”, pas de Saint-Germain. C’est aussi bête que cela. Et Vian, sacré sur le champ Prince du lieu, lui qui ne l’avait somme toute qu’assez peu fréquenté jusque là (bien moins, en tous cas, que les Surréalistes, la bande à Prévert ou la famille sartrienne), fit véritablement œuvre de magicien, tant en qualité d’organisateur que de provocateur né. Son nom, quand on évoque ce coin de la capitale à cette époque, est celui sans doute qui revient le plus souvent, avec ceux de Prévert, Luter, Juliette Gréco, Sartre, Queneau… C’est évidemment justice, mais aussi terriblement limitatif, eu égard à l’intensité du bouillonnement… Certes, quand Boris et “Jujube” (ainsi que la Dame en noir aime à se surnommer dans son livre de souvenirs – Editions Stock, 1982) quittèrent la boîte moins d’un an après son ouverture, celle-ci ne s’en releva pas. Frédéric Chauvelot, son principal fondateur, piqué au jeu, lança d’autres projets et fit aménager une suite de caves rue Saint-Benoît qui prit le nom de “Club Saint-Germain” dès juin 1948. Plus vaste, malgré des colonnes qui bouchaient la vue et qu’il fallut bien faire abattre par la suite, l’établissement connut également une plus grande longévité. Nombre de noms fameux du jazz s’y produisirent au fil des ans, alors que Vian, lui, y joua moins souvent qu’au “Tabou”, essentiellement pour des raisons de santé. Les prix pratiqués au “Club Saint-Germain” étant nettement plus élevés que ceux du “Tabou”, la clientèle fut elle aussi assez différente, moins joyeusement dissipée et prête à tous les excès – plus bourgeoise, en quelque sorte. Quant au “Tabou” d’avant, son existence prit fin l’année suivante. Pourtant, il reste bien, avec le “Lorientais”, le premier club que l’on cite, sans doute, précisément, à cause de ce côté éphémère même, et aussi parce que son atmosphère autant humide qu’enfumée s’évanouit à jamais en même temps que lui, ne laissant plus flotter qu’un certain parfum de légende.
Une légende savamment bâtie et distillée dès les premières heures, la chose est sûre, par canards et radios (avec la complicité des Germanopratins eux-mêmes). Un nombre respectable d’émissions, tout au long de l’année unique, consacra la célébrité de l’autel satanique ! Admettons-le, elles étaient pour la plupart bidon ! On enregistrait quelques unes des figures emblématiques de la maison ailleurs, dans un des douillets studios de la radio par exemple, puis on mixait le tout avec un raffut infernal (les disques d’illustration sonore – 78 tours – étaient déjà fort en usage à l’époque !) et un commentaire ad-hoc, débité sur le ton de la grande fatigue du reporter plongé dans un univers impitoyable dont il ne ressortirait pas vivant. Ce fut notamment le cas d’une des premières du lot, diffusée le 12 mai 47 et partiellement reproduite sur un CD consacré à Boris Vian par l’INA, dans sa collection Mémoire vive. C’est également vrai de cette série d’enregistrements datée du 25 octobre, dont nous avons extrait ce Sweet And Be-Bop (alias Sweet And Lovely – CD 2, plage 6), qui confirme à point nommé que l’équipe Vian, plutôt traditionaliste en matière de jazz, n’en était pas moins à l’affût de la nouveauté… Cette séance-là ne se déroula nullement sous les voûtes aussi sacrées qu’enfumées du “Tabou”, mais dans le cadre infiniment plus pépère du centre Erard, dont disposait alors la radio nationale rue du Mail, dans le deuxième arrondissement – c’est-à-dire sur la rive
droite !.. La diffusion (après mixage, bien entendu) eut lieu le 30 octobre.
Cette autre émission dont nous donnons ici l’intégralité (CD 2, plages 2 et 3), réalisée en décembre 47, fut bien quant à elle vraiment enregistrée sur les lieux du crime tels que Boris, toujours lui, les a décrits : “On entrait par la porte vitrée, on poussait un rideau et c’était déjà la cohue; vingt personnes entouraient le Grand Maître de l’escalier, celui qui distribuait et contrôlait les cartes. Le contrôle franchi – il en fallait des relations – on descendait un tortueux escalier de pierre et on aboutissait au long boyau voûté, comme une station de métro en beaucoup plus petit et en beaucoup plus sale, que prolongeait en face une estrade organisée en forme de paillotte (…) Le brouillard des cigarettes était quasi londonien et le vacarme si intense que, par réaction, on n’y voyait plus rien. (…) Là-bas, sous le toit de roseau de la paillotte, cinq, six, huit ou quinze types soufflaient dans des tubes de métal, cognaient sur des peaux ou achevaient de mutiler un piano échappé de quelque camp de représailles.” (Manuel de Saint-Germain-des-Prés – Le Chêne, 1974)… Ces types qui soufflent comme des malades, ce sont justement les membres de la fratrie Vian et quelques potes (dont le déjà mentionné Johnny Sabrou, jeté l’écume aux lèvres sur le blues comme la douane sur les trafiquants de cibiches amerloques) dans leurs œuvres impérissables : Rosetta et une version longue de Whispering, vieille scie whitemanienne de 1920 devenue l’indicatif du gang sous le titre joliment francisé : Ah ! Si j’avais un Franc cinquante. Ces versions, à ce jour inédites, sont évidemment légèrement différentes de celles déjà parues des mêmes morceaux. Moins en forme sans doute, Vian et son clan, que dans la série d’octobre, mais tellement plus… naturels !..
Normal, puisque tout ceci fut réellement enregistré dans l’enceinte même du “Tabou”. C’est en tout cas ce qu’affirmait, croix de bois, croix de fer, le producteur de l’émission, qui eut l’excellente idée d’en conserver les éléments avant traitement. Force lui fut tout de même d’admettre que s’il s’était bien transporté sur les lieux avec son équipe, il l’avait fait en dehors des heures ouvrables, à savoir dans l’après-midi, quand les artistes émergent à peine de leur longue nuit de transes existentialistes !.. Donc pas de public et, eu égard à l’exiguïté de l’endroit, s’il y en avait eu un, il n’eût probablement pas été possible d’y caser le matériel d’enregistrement et les techniciens allant avec… D’ailleurs, même à vide, l’installation n’alla pas de soi et la jeune, l’impatiente Juliette Gréco, excédée, finit par claquer la porte avant d’avoir cherché à d’affronter les microphones. Lesquels ne perdirent rien pour attendre…
Sans Jujube, le tableau peut sembler un peu vide, malgré la présence du jazz band et de Tarzan. Il y a bien là Anne-Marie Cazalis, la plus discrète des muses du “Tabou”, poétesse sage, mi petite fille mi ange blond qui, ce coup-là, n’a dit qu’un texte de son cru terriblement bref, Liberté (plage 3). Frustration… Autre illustration de la poésie germanopratine, Hugues Allendal occupe davantage de place avec trois de ses œuvres, Les Mains, L’Etranger, Le Pantalon et Le Candélabre. Révolte de potache, mal de vivre de tout ado qui se respecte (et qui a le temps de se regarder le nombril, ajouterait le stalinien de service !) : ces textes-là ne sont pas plus mauvais que la plupart ressortissant du genre. Mais tout le monde n’est pas Rimbaud. A tout le moins, Allendal parvient-il à mettre une conviction certaine, une sorte de frémissement, dans son douloureux exercice. Arthur savait-il dire Les Mains de Jeanne-Marie ou son sonnet des voyelles ? Moins rigoriste (ou rigoureux) est le souriant et assez anodin Marc Pierret, qui chante tour à tour L’ABC et sa Petite Amie, chansons au demeurant gentillettes, plutôt éloignées de l’image que l’on commençait à se forger de l’esprit caustique et sombre de Saint-Germain-des-Prés. Pas étonnant que le gaillard n’ait guère laissé de trace. Pas de veine au fond, parce qu’après tout… Reconstitution d’une soirée au “Tabou” (avec techniciens et artistes applaudissant, vociférant comme un vrai public) qui paraîtrait légèrement morne, si la providence, toujours généreuse, n’avait veillé au salut en offrant les magnifiques commentaires délicieusement ringards, énoncés avec un inébranlable sérieux typique de la radio d’alors : un pur régal sur fond de nostalgie…
Si Dame Gréco n’avait pas mis si vite les voiles, qu’aurait-elle pu faire ou dire cet après-midi-là ? Affreusement timide, elle choisit peut-être cette solution en désespoir de cause, comme la seule possible… Fin 1947, elle ne chantait pas encore, en tous cas en public. A peine sortie d’une adolescence gâchée, elle trimbalait déjà en ce temps-là un lourd passé. Vian, Doelnitz, Queneau, Sartre et surtout Anne-Marie Cazalis l’adoptèrent et entreprirent de l’apprivoiser… Michel de Ré, fou de théâtre admirateur d’Artaud, qui avait entrepris de remonter la folle pièce de Roger Vitrac, Victor ou les enfants au Pouvoir, fut l’un des premiers à la réquisitionner. Elle était donc comédienne. Et elle fut de ceux qui pensèrent que la cave du “Tabou” était susceptible d’abriter les répétitions, puis les représentations du spectacle. Vian et le jazz n’y débarquèrent qu’un peu plus tard. Juliette participa tout de même à des émissions radiophoniques, notamment au Club d’Essais où elle dit des vers. Elle tâta aussi du cinéma dans des films qui ne furent jamais projetés, réalisés par Alexandre Astruc à ses débuts. La première œuvre cinématographique d’envergure où elle parut (dans le rôle d’une bacchante) fut l’Orphée de Cocteau (1950). C’est au printemps de 1949 qu’elle se lança dans la chanson comme on se jette à l’eau, beaucoup poussée par les copains et protecteurs. Considéré comme l’un des entrepreneurs les plus dans le coup du moment, Marc Doelnitz s’était vu proposer de reprendre l’illustre “Bœuf sur le Toit”, cabaret légendaire de l’entre deux guerres, sis rue du Colisée (rive droite !), tombé depuis en désuétude… Il rebaptisa l’endroit “L’œil de Bœuf” et embaucha Jujube qui, évidemment, n’avait pas de répertoire. Sartre lui en procura un, ou, plus exactement, un commencement. Dans des livres que lui prêta l’auteur de Huis clos, elle choisit L’Eternel Féminin de Jules Laforgue et C’est bien connu – qui deviendra Si tu t’imagines – de Queneau. Pour faire bonne mesure, Sartre ajouta son texte sarcastique, La Rue des Blancs-Manteaux, écrit jadis pour une scène de cette pièce où il proclame que “l’enfer, c’est les autres”… Restait à mettre le tout en musique. Là encore le philosophe fut d’un grand secours en lui conseillant de s’adresser à Joseph Kosma, devenu musicien de films en renom et compositeur des immortelles Feuilles mortes… En un rien de temps la musique des trois chansons fut terminée et Kosma, intrigué par cette fille étrange, lui en ajouta même peu après une quatrième sur La Fourmi, le poème de Desnos. Sartre lui confia ensuite deux autres textes dont il eut l’imprudence de ne point conserver de doubles et qui furent perdus : Ne faites pas suer le Marin et La Perle de Passy. Juliette Gréco ne fit guère long feu à “L’œil de Bœuf”, mais y remporta un succès tel, du jour au lendemain, qu’elle se trouva immédiatement enrôlée au “Club du Vieux Colombier”, puis, plus durablement encore, à “La Rose rouge”. C’est l’époque, printemps 1950, où la dame tout de noir vêtue enregistra son premier disque pour Columbia, la marque qui dans les années 30 s’était intéressée à Marianne Oswald et Agnès Capri… Si Tu t’imagines sur une face et sur l’autre, à la suite, La Fourmi et La Rue des Blancs-Manteaux ; pas de place pour L’Eternel Féminin… Un répertoire, certes, pas encore bien épais, ce qui explique sans doute qu’il lui fallut attendre près d’un an pour retourner au studio – le temps aussi de changer de maison de disques et d’atterrir au printemps 51 chez Philips, qui la gardera une bonne vingtaine d’années. Parmi les premières faces pour la nouvelle firme, on remarque des choses pas si récentes qui avaient déjà séduit les diseuses d’avant, comme Barbara Song et La Fiancée du Pirate, extraits de L’Opéra de Quat’ Sous, ou, tout naturellement, les chansons de Prévert et Kosma : Les Enfants qui s’aiment, Les Feuilles mortes, Je suis comme je suis, Embrasse-Moi (de Prévert sans Kosma), ainsi que La Belle Vie et A la Belle Etoile, toutes deux reprises ici (CD 3, plages 8 et 9). Ce dernier titre, dont les versions des années 30 par Florelle et Marianne Oswald étaient passées à la trappe, se vit enfin livré dans son intégralité. La Belle Vie, chanson de désespérance, aurait dû faire partie de La Fleur de l’Age, ce film dont Prévert et Carné rêvaient depuis si longtemps et qu’ils avaient enfin pu mettre en chantier en 1947. Mais le tournage ne fut jamais achevé et le métrage déjà tourné se trouva détruit par un incendie tombé à pic. Il ne subsiste plus aujourd’hui que des photos où l’on reconnaît le visage d’Anouk Aimée à ses tout débuts. L’étiquette du 78 tours n’en mentionne pas moins le titre du dit film comme si celui-ci avait vraiment existé… A “La Rose Rouge”, Prévert était plutôt en odeur de sainteté, ce qui, pour un athée, ne laisse pas d’être flatteur… Dame Gréco ne se priva cependant point, au fil des jours, d’inclure à son répertoire d’autres auteurs comme Georges Neveux, Jean Dréjac, Francis Blanche, Louis Amade (et Gilbert Bécaud), Jacques Brel, Charles Trenet, Henri Bassis, Stéphane Golmann, Georges Brassens, Léo Ferré et même François Mauriac. On affirme toutefois que son plus incontestable succès en ce début des années 50, elle le dut à Je hais les Dimanches, cette chanson de Florence Véran et Charles Aznavour parfaitement dans l’esprit germanopratin d’une morale de l’ambiguïté. Aznavour lui-même tenta le coup comme interprète sur les scènes du quartier mais y fit apparemment un bide : le public n’était pas encore prêt à accepter une telle voix…
D’autres voix en revanche y rencontrèrent, sinon tout à fait la gloire, du moins une belle notoriété. Celle de Léo Ferré, n’était pas toujours, elle non plus, d’un accès facile, mais elle savait dire sur des musiques simplement belles des textes où Verlaine taillait sans façons une bavette avec Apollinaire au coin des rues de Seine et de l’Echaudé, laissant l’intrépide Scaphandrier Robert Baër se perdre dans les profondeurs du vide et l’inquiétant Jean-Roger Caussimon se lancer à la poursuite de son triste Monsieur William sur la pente fatale de la Septième Avenue. Une plus ironique bonhomie, annonçant les flèches souvent vachardes mais toujours gorgées d’humour d’un Brassens, caractérisa l’esprit de Stéphane Golmann, qui fit à peu près toutes le boîtes de l’endroit, travailla sous la houlette d’Agnès Capri et de Jean Wiéner, se trouva être le seul interprète dit “de variétés” à enregistrer quelques galettes (d’abord en 78 tours, en 1950) pour la fort austère maison Erato, voyagea beaucoup, fut l’assistant d’un haut fonctionnaire du secrétariat de l’O.N.U., professa la conversation française à New York, donna des conférences au Canada et aux U.S.A… L’une de ses chansons les plus connues demeure Actualités, que Montand garda longtemps à son répertoire (voir “Intégrale Yves Montand, vol.2” - Frémeaux FA 5109), mais son grand succès personnel, il le doit certainement à La Marie-Joseph, merveilleux rafiot confié à ces marins d’eau douce qui firent se marrer des générations de vrais loups de mer… Les Frères Jacques ne manquèrent point d’en faire un “tube” ; plus ancienne, la version ici proposée est celle de Golmann lui-même.
La voix de Germaine Montero était déjà connue avant l’apogée de l’ère germanopratine, mais elle ne commença à enregistrer des disques qu’en 1946. Elle avait fait une apparition “dure” dans Le Soleil a toujours raison, un film tourné en zone “nono” mettant en vedette Tino Rossi (mais aussi Micheline Presles, Pierre Brasseur et Charles Vanel), dont Prévert – qui aimait bien le créateur de Marinella – avait écrit le dialogue. A la même époque, dans la même zone, Kosma fut son accompagnateur. Pas étonnant que ses premières gravures aient fait la part belle à l’auteur de La Crosse en l’Air. Je suis comme je suis (connu alors sous le titre Et puis après - CD 2, plage 11), fut suivi des Airs pour les Enfants pas sages (En sortant de l’Ecole et Chanson pour les Enfants l’Hiver – CD 3, plage 14). Mais le monde de Germaine Montero allait bien au delà des frontières de Saint-Germain et englobait aussi Montmartre, la Guerre d’Espagne, les brigades internationales, à qui elle aimait à distribuer de larges parcelles de son cœur. Aussi se fit-elle un devoir en même temps qu’un plaisir de chanter Pierre Mac Orlan et Federico Garcia-Lorca. Sa version de La Fille de Londres, poisseuse et désespérée, avec l’écoeurante image de ce “sale couteau rouge sans spécialité” tout droit surgi de la fouille de Jack l’Eventreur, est de ces poisons violents dont on ne se débarrasse jamais. Il lui arriva aussi, à Montero, de faire se croiser le fantôme de Bruant et un Léo Ferré bien en chair, en os et en verve (Paris-Canaille)…
Claire Leclerc, plus récemment découverte, possédait quant à elle une voix douce et belle qu’elle sut faire aimer dans nombre de boîtes, parfois si éphémères, du quartier. Elle grava aussi quelques disques dans lesquels, comme il se doit, Prévert se taillait encore la part léonine – en particulier les deux Ballades médiévales (Démons et Merveilles, Le Tendre et Dangereux Visage de l’Amour), tirées des Visiteurs du Soir de 1942, revendiquées après la guerre par un Kosma glouton, mais en réalité composées par Maurice Thiriet. Claire Leclerc disparut de la scène dans les années 50 pour raisons de santé… En ce temps-là, la santé de Cora Vaucaire était sans doute excellente, à en juger par le nombre de disques qu’elle enregistra et par sa situation de “Dame en blanc” qui l’opposa un moment à Gréco, l’autre Dame, celle “en noir” ! Rivalité réelle ou bidon, pour la galerie ? Nous n’irons pas y voir : prescription oblige… Tout comme Montero, Cora Vaucaire, on l’a signalé, fit ses débuts (sous le nom – qui n’est d’ailleurs pas le sien – de Michèle Dax) dès avant la guerre chez Agnès Capri. Vaucaire, c’est le patronyme de son mari, Michel, auteur de chansons, rencontré chez les éditeurs. Il est le fils d’un homme du métier, Maurice qui, entre bien d’autres paroles, écrivit celles des Petits Pavés, sombre histoire d’amour fou et bafoué sous des airs quasi anodins, dont on rend généralement responsable Paul Delmet (lequel n’en composa que la musique, mais interpréta souvent l’ensemble au “Chat noir”, sans jamais l’enregistrer – Mouloudji et quelques autres s’en chargeront). En 1946, après une période de vache enragée commune à pas mal de monde, elle devint la révélation de “L’Echelle de Jacob”, l’un des cabarets les plus réputés de Saint-Germain, sis dans la rue du même nom. Elle y chantait un mélange de choses souvent très anciennes (La Fille du Roi Loÿs, La Complainte du Roi Renaud) et de nouveautés tendres, comme Frédé (de Michel, son mari) et Quand tu dors (de Prévert). La tentation prévertienne, toujours… Cora Vaucaire fut la première, le 7 janvier 1948 lors de sa séance inaugurale de disques au Chant du Monde, à enregistrer Les Feuille mortes, alors que Montand, vedette masculine des Portes de la Nuit, ne se sentait pas trop pressé d’en faire un disque… Il attendit pour cela 1949, mais sa version devint alors si populaire qu’elle effaça sur le sable les pas de celles qui avaient eu le front de la précéder (voir “Intégrale Yves Montand, vol.1” - Frémeaux FA 199)… Cora mit également à son répertoire et grava Cet Amour, Deux Escargots s’en vont.., La Chanson du Geôlier, les Ballades médiévales… Frédé, c’est autre chose. Un peu comme La Fille de Londres ou La Chanson de Margaret : atmosphère brumeuse à la Mac Orlan et pavé montmartrois du temps des apaches tel que l’avait si bien vu Francis Carco. Cora Vaucaire ne se priva point, elle non plus, de puiser chez Bruant et Yvette Gilbert. Et comme Léo Ferré était décidément partout, il se fit un plaisir de lui caser quelques arias. Ce fut évidement aussi le cas de Catherine Sauvage, authentique tragédienne, qui débarqua un peu plus tard et frappa d’emblée un grand coup avec des choses dures comme L’Homme (de Ferré) et Johnny, Tu n’est pas un Ange.
De son côté, Mouloudji, germanopratin d’adoption grâce à Prévert, Desnos et Duhamel, fut dans le bain dès avant la guerre. Enfant puis adolescent, il s’était fait remarquer au cinéma dans des rôles souvent importants, parfois ambigus. Parvenu à l’âge adulte, sa carrière dans les salles obscures marqua le pas (avant de repartir de plus belle durant les années 50) et l’envie lui prit alors de changer quelque peu d’activité en se mettant à son tour à la chanson. Le succès remporté par certain(e)s nouveaux/nouvelles venu(e)s l’encouragea sur cette voie, lui qui se savait possesseur d’une voix agréable et chaude. Lui aussi se partagea entre les re-créations d’airs anciens (Les Petits Pavés) et les succès récents – ceux de Prévert, évidemment, et aussi ceux que Boris Vian distribua sans compter en peu d’années, tel son célèbre Déserteur ou bien ce pur chef-d’œuvre, La Valse jaune, dont la musique porte la griffe de Marguerite Monnot, compositrice attitrée d’Edith Piaf : l’ancien et le nouveau n’étaient pas toujours condamnés à faire mauvais ménage… Toutefois, les plus grandes réussites de “Moulou” furent sans doute à cette époque des pièces certes jolies mais un peu plus faciles, comme La Complainte des Infidèles, Un Jour tu verras ou Comme un p’tit Coquelicot. Il lui arriva aussi, à ce touche-à-tout, d’écrire lui-même les paroles de certaines de ses chansons. C’est là un exercice auquel était rompu Francis Lemarque, autre protégé (avec son frangin) de Prévert avant guerre, ayant décidé de se lancer à son tour dans le tour… de chant. Guitariste d’occasion, il commença par s’accompagner lui-même en faisant la manche à la terrasse des bistrots du Quartier Latin et de Saint-Germain. Puis Prévert l’envoya à Montand qui lui prit au fil des ans quelques unes de ses plus belles réussites (voir les deux premiers volumes de l’“Intégrale Montand”), mais ne vint jamais les chanter en personne à Saint-Germain. Ce ne fut point le cas de Francis, qui hanta longtemps les lieux et se trouve ici représenté par son ironique chanson anti-raciste John Black.
Et puis il y eut les groupes. Les Compagnons de Route, devenus barbus au nombre de quatre avec l’âge, comptèrent parmi les plus célèbres mais se trouvèrent dépassés par les Frères Jacques qui les avaient remplacés au théâtre en 1945. Au départ, sous l’Occupation en province, ils avaient plutôt tendance à s’intéresser au jazz. Mais en montant à Paris à la Libération, ils modifièrent leur optique, se lancèrent dans la chanson à texte et conçurent de véritables spectacles facétieux qui firent les beaux soirs de “La Rose Rouge”. Début 1949, contactés par la petite firme phonographique Boîte à Musique, ils mêlèrent vraies (Rose Blanche – alias Rue Saint-Vincent, de Bruant) et fausses vieilles rengaines (L’Entrecôte), traitées avec la dose de tendresse ou d’humour qui convenait. Puis, en même temps que leur passage chez Polydor, la crise prévertienne prit chez eux aussi son irrésistible essor. Toutes leurs gravures de la fin 49 et du début 50 sont consacrées à Prévert et Kosma : Inventaire, En sortant de l’Ecole, Le Gardien de Phare aime trop les Oiseaux, Le Miroir brisé, Et la Fête continue, L’Orgue de Barbarie, Deux Escargots.., La Pêche à la Baleine, Barbara… On en trouvera ici trois : L’inventaire, La Pêche à la Baleine et surtout Barbara, qui nécessita pour son enregistrement au moins trois séances et neuf prises. La raison en est certainement la durée assez inusitée de ce titre, difficilement compatible avec celle d’un 78 tours de vingt-cinq centimètres. A tout le moins a-t-on là la plus belle version de cette œuvre tendre, sombre et vengeresse. Ces versions initiales furent peu après éditées en microsillon 33 tours et n’ont guère été reprises par la suite : celles que l’on entend généralement (sous étiquette Philips) sont nouvelles, qui furent enregistrées en mars 1957… Bien sûr, à partir de 1950-51, le répertoire s’ouvrit à d’autres influences où se retrouvent pêle-mêle comme il se doit Sartre, Queneau, Vian, Ferré, Michel Vaucaire, ainsi que Jean Cosmos, Albert Willemetz, Bernard Dimay, Francis Blanche, Jean Constantin, Charles Trénet, Georges Brassens, Jacques Debronckart, Ricet Barrier, Serge Gainsbourg ou encore Henri-Georges Clouzot. Prévert toutefois demeura parmi leurs préférés, au cœur de ces valeurs sûres qu’on a toujours de la joie à solliciter régulièrement, comme ils le firent avec Tournesol ou Quelqu’un…
On aura bien entendu constaté ce glissement rapide de l’informel, du spontané, vers une sorte de reconnaissance fondée sur la norme et une certaine idée de l’honorabilité. C’est là ce que Guillaume Hanoteau a appelé “l’ère tertiaire” : “au Saint-Germain-des-Prés des cafés, au Saint-Germain-des-Prés des caves, succède le Saint-Germain-des-Prés des spectacles qui va apporter à la nuit parisienne en plus des Frères Jacques, Yves Robert, Mouloudji, Devos, Francis Claude, Léo Ferré, Juliette Gréco…”. Naturellement, les cafés continuèrent de servir des consommations et les caves n’abandonnèrent pas le jazz – du moins pas tout de suite. Certaines, même, fonctionnèrent à plein régime des années durant. “Lorientais” et “Tabou” avaient certes mis la clef sous la porte, mais le “Club Saint-Germain” (où Django fit au début de 1951 son ultime come-back parisien en compagnie de quelques Jeunes Turcs – voir “Intégrale Django Reinhardt, vol.19”, Frémeaux FA 319), le “Vieux Colombier” et aussi celles qui s’ouvrirent pas très loin, sur l’autre rive du Boul’Mich’ (dans le cinquième, quoi !), genre “Caveau de la Huchette” ou “Trois Mailletz” lui firent la part belle, mêlant allègrement, en s’asseyant sans façon sur la funeste querelle, anciens et modernes, autochtones bouffeurs de cuisses de grenouilles et émigrés au régime des haricots rouges (et du gros qui tache sur le zinc) – Blancs et Noirs si l’on préfère : Claude Luter et Sidney Bechet et Mezzrow, le benjamin Claude Bolling et Rex Stewart puis Roy Eldridge, les frères Fol et James Moody, Bernard Peiffer et Don Byas, Pierre Michelot et Kenny Clarke, Fohrenbach et Hawkins et… toute la bande engagée au “Vieux Co”… Et vice-versa.
Il serait évidemment profondément injuste de ne point mentionner les autres boites qui participèrent aussi de la gloire, même avec un petit décalage. Les autres : celles que le jazz n’emballaient pas outre mesure et qui se passaient volontiers de lui. Il y en eut évidemment pas mal, souvent éphémères : un “Quod Libet” passablement anar par ci (avec Ferré à ses débuts),“ une “Echelle de Jacob” par là, un “Club Saint-Yves” pour les raffinés, une “Ecluse” pour les buveurs d’eau, une “Fontaine des quatre Saisons” (sous la houlette de Pierre Prévert) pour la bonne bouche et sur le tard… Et puis, évidemment, “La Rose rouge” à Nico, sans doute la plus belle réussite du genre. Nico, c’est Papatakis, un Ethiopien né de père grec, qui avait fait le coup de feu contre les Italiens dans sa jeunesse avant de devoir se replier vers l’Europe. Lui aussi avait fini par atterrir dans le cercle des Prévert qui lui dégotèrent des petits boulots dans le cinéma. On l’aperçoit notamment, vêtu comme il se doit à la mode des Balkans, dans Voyage surprise, de Pierre et Jacques (1946). Habitué du “Flore”, il lui arrivait quand même de se transporter dans l’arrondissement voisin où il fréquentait avec sa copine d’alors et Michel de Ré un restaurant africain de la rue de La Harpe, tenu par le nommé Féral Banga, ancien danseur des Folies-Bergère. Celui-ci leur proposa de monter des spectacles. Ce fut la première “Rose Rouge”, qui donna en 47 des textes de Prévert, des récitals de Francis Lemarque puis de Jacques Douai. Maria Casarès, Gérard Philipe, comédiens déjà célèbres, vinrent rapidement s’y divertir en sortant du théâtre. La foule suivit. La compagnie Grenier-Hussenot s’y produisit à son tour avec, dans ses rangs, Yves Robert, lequel devint un habitué… Ainsi emboîta-t-il le pas à Nico quand celui-ci, en 48, partit fonder une nouvelle “Rose Rouge”, sise cette fois tout près du coeur de Saint-Germain, rue de Rennes, à proximité de la brasserie “Lux”. Les Frères Jacques furent de l’aventure, puis Gréco, et les sketches reprirent de plus belle : Nico put alors se permettre d’en faire écrire de nouveaux par des auteurs qui pour certains deviendront célèbres. L’ère du cabaret commence à l’emporter définitivement sur celle des caves, quand bien même il y eut une période de coexistence presque pacifique. En 1950, un film tout simplement intitulé La Rose Rouge, signé par l‘acteur et réalisateur italien Marcel Pagliero, grand amoureux de Saint-Germain, permit, grâce à une suite de numéros exécutés par les vedettes-maison, aux amateurs lointains de goûter les délices d’un lieu auréolé de magie. Dommage que ce film-là ne passe jamais… Démodé sûrement, comme l’époque à laquelle il se réfère. Une belle époque qui, comme tout ce qui est beau, ne saurait se risquer à durer sans y laisser son âme.
Celles et ceux cités ci-dessus, quel que soit le domaine de leur activité et le degré de leur culpabilité, font partie des plus connus ou, si l’on préfère, des moins oubliés d’une époque définitivement installée dans le provisoire, non destinée de ce fait à durer, mais susceptible de devenir une sorte de mythe légendaire ou de légende mythique, Chevaliers de la Table ronde ou Crépuscule des dieux, au choix. Elles/Ils avaient obligatoirement quelque chose en plus, en rab, qui les plaçaient hors d’atteinte (d’une manière au demeurant toute relative) des accidents de la banalisation des modes et des injures du temps. L’éclatement était inévitable : le Saint-Germain-des-Prés de la Liberté est à la longue devenu le Saint-Germain-des-Prés du drugstore. Question de goût, on peut préférer… Mais eux/elles n’ont point failli, qui surent parfois, même fugitivement, aussi loin qu’ils se soient trouvés, à l’autre bout du monde, faire revivre l’esprit. Une œuvre de salut public quand on y pense.
Daniel NEVERS (2005-2006)
© FRÉMEAUX & ASSOCIÉS - GROUPE FRÉMEAUX COLOMBINI SAS 2007
Remerciements : Claude ABADIE, Philippe BAUDOIN, Claude BOLLING, Olivier BRARD, Pierre CARLU, Jean-Pierre DAUBRESSE, Alain DÉLOT, Ivan DÉPUTIER, Yvonne DERUDDER, Jean-Claude FOHRENBACH, Noël HERVÉ, Pierre LAFARGUE, Jacques LUBIN, Claude LUTER, Philippe MORIN, Gérard ROIG.
English Notes
SAINT-GERMAIN-DES-PRES
The mythic, magical Saint Germain des Prés on the left bank of the City of Light. As its name suggests, it was once a small market town near Paris formed around the abbey of St Germain and surrounded by fields worked by Benedictine monks. As the capital expanded, the village became part of the grand metropolis. In the first part of the 20th century, the district attracted much of the artistic community including a great number of famed Francophilious expats who we associate with this singular lieu of creativity. In the pre-war days the Parisian intelligentsia gathered in the local haunts for exchange and companionship, and their spirit lives on to this day. Not forgetting the major role held by musicians, namely jazz musicians, whose nocturnal hangouts were most often in the subterranean cellars, well-hidden from the boulevards and paved streets above. The motley crowd from these circles was nourished with Hemingway’s ‘moveable feast’ which included rhythmic sounds from further afield as well as the lyrical poetry and existentialism of France itself.
Before World War II, the Negroes, who had been largely responsible for the genre, namely jazz, had been happily colonizing the most deprived parts of the right bank – Montmartre, Pigalle, Blanche and Clichy, known for their infamous venues such as the ‘Moulin Rouge’, ‘Casino de Paris’, ‘Folies-Bergère’ and ‘Palace’, with their scantily-dressed dancing girls. Then, still in the northern part of the city were the stylish establishments around the Champs Elysées, frequented by the elite. Some of the boldest invaders finally ventured across to the opposite bank, heading towards Montparnasse with ‘Le Dôme’ and ‘La Coupole’ and surprisingly found their incursion was welcomed quite warmly.
The golden age of St Germain itself was limited in time, lasting a mere decade and was moreover restricted due to its confined space. But, like all grand epochs, there was the before and after and all three periods have their significance in the present collection.
From 1920-1930 the precursors of the St Germain genre most certainly met up in the ‘Café de Flore’, ‘Les Deux Magots’ or ‘la Brasserie Lipp’. But these excursions were for pleasure rather than for professional reasons, simply as in these olden times there were no cabarets or theatres in the area. Song was throning up in Montmartre or on the wide boulevards, still on the right bank. However, there was some musical activity in the Montparnasse district which even boasted its Muse, the fascinating tragedienne Yvonne George who astounded the ‘Chez Fischer’ patronage. From 1925 to ’29 most of her phonographic attempts were refused for release, but she was undoubtedly the first to record Erik Satie (Je Te veux), although this triple album opens with Toute une Histoire, one of the very rare songs signed by Henri Jeanson of future movie fame. But even Yvonne, like most others featured in CD 1, was eventually lured over to the other shore. And yet all these artists heralded the St Germain essence, a spirit which was incarnated in the multi-faceted Jean Tranchant, a song-writer and then interpreter in his own rights. Tending towards sweet and sour nostalgia, he also wrote some heart-wrenching pieces such as Moi, J’crache dans l’Eau which he preferred offering to others. Women in particular. Some of the most depressing were taken up by his wife, Nane Cholet, including J’ai pas la Gueule qui plait aux Riches and La Courroie, already giving us an idea of Jean Tranchant’s sarcasm and ferocity, proclaiming a style later known as ‘poetic realism’ in the movie world.
Lucienne Boyer also borrowed compositions from Tranchant, but as her interpretations of La Barque d’Yves and Moi, J’crache dans l’Eau are already featured on other reissues, we have opted for a version by Germaine Lix, who was attempting to break away from her normal routine in the early thirties, turning to a more vicious repertoire. The same could be said about Lys Gauty, who regularly put aside her tranquil stock of tunes for some harder stuff, and Jean Tranchant was obviously involved, namely in Départ, Le Piano mécanique and La Ballade du Cordonnier. Following her 1930 billing at the ‘Théâtre Montparnasse’ in a major role in Kurt Weill’s L’Opéra de quat’ Sous (The Threepenny Opera), she used other songwriters: Weill and Maurice Magre with their Complainte de la Seine and then Joseph Kosma and Jacques Prévert who signed the adorable Deux Escargots qui vont à l’Enterrement d’une Feuille morte. Florelle, who had also participated in The Threepenny Opera a few years previously in the French version of the German film, later came out with her personal rendition of La Fiancée du Pirate, a terribly bitter song taken from the opera.
Some of Jean Tranchant’s less caustic writings were adopted by surprisingly dissimilar artists. Such was the case with Ray Ventura’s Collégiens, more associated with a healthier style of jazz and variety music. They indeed recorded Ici l’on pêche, the ironic Balade du Cordonnier and La Légende du Roi Marc (CD1 track 6). The Ventura gang also waxed the sarcastic Complainte des Caleçons with its lyrics by the ex-surrealist Robert Desnos who spent much of his life between Montparnasse and St Germain before dying deported in 1945. He also wrote also La Complainte de Fantômas, put to music by Kurt Weill, and Juliette Gréco’s beloved La Fourmi and a few others. Not many.
Jean Tranchant’s most illustrious interpreter was undoubtedly Marlene Dietrich, and he proffered her very first song in French – the cynical Assez. A lesser-known version by Germain Sablon is presented here. However, the most spine-chilling lady of all was Franco-German Marianne Oswald. In Paris, her route crossed that of Tranchant, and she appropriated his Le Grand Etang, Appel, Sans repentir and the sarcastic Complainte de Késoubah, one of the most morose works imaginable. Her repertoire also included ‘spoken’ pieces signed by Jean Cocteau or René Char and sang others including another pessimistic title, Le Jeu de Massacre signed by the future movie director Henri-Georges Clouzot.
Around 1934, Marianne became acquainted with Jacques Prévert, very influenced by his Surrealist friends in the 20s and writer with the agitprop Octobre theatre group. Prévert’s rather harsh lyrics were often put to music and interpreted by tragediennes. His Embrasse-Moi was recorded by Florelle and then by Oswald, who also sang La Grasse Matinée, an unforgettable tale and Toute seule (CD 1, track 14). When war broke out, Marianne Oswald left for America, to return in 1946. On French radio, the singer presented some novelties in spring 1947, including La Belle Cubaine and La Belle Américaine (CD 2, tracks 7 & 8). She later acted as compère for children’s programmes on the radio and small screen.
Another lady to sing Prévert was Agnès Capri, the antithesis of Oswald, who preferred the writer’s more light-hearted compositions. She cut twenty-four sides in the 1936-52 period, including the sweet and sour Quand Tu dors (coupled with Je Te veux) in March 1940. She also took exile, but returned, still performing, in 1944 (see CD 1, track 18 and CD 3, track 12).
Before World War II and during Occupation, the ex-members of the Octobre group used to meet up at the oldest of the St Germain bistros, ‘the Café de Flore’, as did a certain ‘dutiful daughter’ named Simone de Beauvoir and her life-long companion, Jean-Paul Sartre, perhaps less dutiful, but fascinated by the cinema, theatre, jazz and literature. Naturally, Sartre was attracted to the anarchistic Prévert, another regular at this brasserie Among the Prévert crowd sat Fabien Loris, one of the toughest of the group, but a gifted artist and singer who appeared in a few of Jacques’ movies and interpreted Les Enfants qui s’aiment, the soundtrack from the film Les Portes de la Nuit. Loris even looked down on the singing duo, Gilles (Jean Villard) and Julien (Aman Maistre), great contestants of the thirties. However, his low opinion of them did not prevent the duo from recording Prévert’s ferocious Familiale (CD 1, track 13) in 1937. Snubbed in the same way were Les Compagnons de Route, who later became les Quatre Barbus and who were otherwise acclaimed for their repertory which included the parodies signed by Pierre Dac and Francis Blanche backed by classical melodies (La Pince à Linge, L’Ouverture du Barbier de Séville [The Barber of Seville] – CD 3, track 15).
The village life of St Germain des Prés was just getting into gear for international recognition when war broke out, followed by Occupation. The quartier remained relatively calm compared to other strategic parts of the city and its café life continued, though some customers were absent having joined in the exodus, in general moving southwards. Prévert’s friends still met in the ‘Café de Flore’ but Jacques himself escaped to the southern non-occupied zone. Despite all rumours, jazz was never outlawed during Occupation. On the contrary, it spurred many inspired amateurs to join the professionals (Alix Combelle, André Ekyan, Aimé Barelli, Alex Renard, Michel Warlop, the ‘Jazz de Paris’, big bands of Jean Yatove, Richard Blareau, Raymond Legrand and, of course, the magnificent Django Reinhardt) and some, such as Claude Luter, managed to stay on the high rung. One major problem arose however, as the previously meadowy St Germain was not equipped to cater for this noisy, rhythmic style, the genre described by Anaïs Nin as “the music of the body”. As the revivalists, headed by the ‘mouldy figs’, Luter’s crowd and the Chicago-inspired gang around clarinettist Claude Abadie and the Vian brothers – Boris, Alain and Lélio – were not particularly discreet (as shown in That Dada Strain, Tiger Rag, etc.), their only option was to go underground. Luter actually got the ball rolling in spring ’46 by taking over the ‘Lorientais Hotel’ (which was in fact in the neighbouring 5th district). And shortly after, Claude and company, often with a certain Sidney Bechet, moved into the ‘Vieux Colombier’. Cellars at last!
Word spread! Cellars proved the ideal venue for such din, even if some shows were not so uproarious. In April 1947, Boris Vian followed suit, opening ‘Le Tabou’ in a café basement. The Vian bros. and their accomplices – Claude Abadie, Claude Léon, Hubert and Raymond Fol, Guy Montassut and a few others – were fervent followers of the revival movement, as opposed to the triumphant swing of the day and the brand new be-bop, and managed to record some acetates during Occupation. Following Liberation, Boris recorded some others, this time with Claude Luter. Before founding his regular Lorientais band, Luter had spent some time working with other artists such as Jean Osmont, Marcel Cazes and Jean Marco (guitarist and future crooner in the Jacques Hélian orchestra), including Farewell Blues, part of the programme in a concert held in the ‘Salle Pleyel’.
And while on the subject of Jacques Hélian, he also paid homage to the troglodytes in 1950 by starring in the movie Pigalle – Saint-Germain-des-Prés, featuring the amusing and caricatural song entitled A Saint-Germain-des-Prés. Seven years earlier, Hélain, surrounded by other musicians, had cut another tune, Liliput, signed by Jean-Baptiste ‘Johnny’ Sabrou. In 1947, Johnny became the legendary Tarzan in the ‘Tabou’. Here, we can find him (CD 2, track 3) on site accompanied by Boris and Co. In late 1943, and along with his girlfriend Jo(sette) Derel, he had cut as a private recording his Liliput with alternative lyrics and a new title, L’Ecole Buissonière.
The Bohemian and provoking Boris Vian, proclaimed Prince of St Germain, left ‘Le Tabou’ a year after its opening. And the club which emblematized St Germain never recovered. The principal character behind its creation, Frédéric Chauvelot, started on other projects and refurbished some other cellars which became the ‘Club Saint-Germain’ in June 1948. This larger venue billed many famed jazz artists over the years, but Vian appeared less, mainly due to health problems and the clientele was more conventional. The smoky, damp yet legendary ‘Tabou’ closed its doors a year later.
Right from the start, this legend had been fashioned by the radio stations and press and its one and only year of existence was embroidered with golden thread. Some of its representatives were recorded in the comfort of studios, and then the music was studded with proscribed background sounds. Such was the case with Sweet And Be-Bop (alias Sweet And Lovely – CD 2, track 6), cut in October 1947 in radio studios on the right bank.
Another broadcast in December ’47 (CD 2, tracks 2 & 3) was actually held in the smoggy and vaulted ‘Tabou’ cellars, with the Vian clan and few friends playing Rosetta and a long version of Whispering (Ah! Si j’avais un Franc cinquante). A far more natural ambiance despite the fact that the recording was held out-of-hours, during the afternoon and therefore devoid of punters. However, even with the presence of Vian himself, the place seemed somewhat empty, though his jazz band and Tarzan were also present. There was, of course, the most discreet of the ‘Tabou’ Muses, Anne-Marie Cazalis, whose poem La Liberté (track 3) more or less summed up her terribly short phonographic career. Hugues Allendal illustrated Germanopratin poetry in Les Mains, L’Etranger, Le Pantalon et le Candélabre then on a lighter note was the jovial Marc Pierret who sang L’ABC and J’ai une petite Amie, two rather quaint songs compared to the usually sharper St Germain image.
On the same day the young and excessively shy Juliette Gréco had been present, but left before the recording. She was not yet singing in public, but Vian, Sartre and especially Anne-Marie Cazalis had adopted her and were doing their best to tame the lady. Having debuted as an actress, she was finally encouraged to sing in 1949, her first billing being in the ‘Boeuf sur le Toit’ (then renamed as ‘L’Oeil de Boeuf’), a celebrated cabaret on the right bank. Her initial repertoire included Si Tu t’imagines, La Rue des blancs Manteaux (with cutting lyrics by Sartre) and La Fourmi. Before long, she crossed over to the ‘Club du Vieux Colombier’ and then, for a longer period, performed in ‘La Rose rouge’. It was then, in spring 1950, the black-clad artist cut her first disc for Columbia, but in 1951 switched to the Philips label where she stayed for a good twenty years. Among the sides cut for the new firm, we find some of the older titles as already sung by other diseuses, including Prévert and Kosma’s La Belle Vie and A la Belle Etoile (CD 3, tracks 8 and 9); more world-weary lyrics. Her repertory comprised pieces by many songwriters, including Jacques Brel, Charles Trenet, Georges Brassens, Léo Ferré and even François Mauriac. But her greatest success in the early fifties was Je hais les Dimanches (I Hate Sundays) (CD 3, track 10), a title signed by Florence Véran and Charles Aznavour.
Other famed voices at that point of time included that of the quodlibetarian Léo Ferré who we can hear in La Chanson du Scaphandrier and his sad Monsieur William written by the disturbing actor Jean-Roger Caussomon. Stéphane Golmann, recognized for his good-natured irony, and whose career also led him to the US and Canada, is best known for Actualités, adopted by Yves Montand, but his greatest personal success was undoubtedly the amusing song La Marie-Joseph.
Germaine Montero was well-known before the peak of the Germanopratin era, but she only began recording in 1946. Much of her first recorded material was written by Jacques Prévert, such as Je suis comme je suis (then entitled Et puis après – CD 2, track 11) and Airs pour les Enfants pas sages (En sortant de l’Ecole and Chanson pour les Enfants l’Hiver – CD 4, track 14). But Germaine’s world stretched way beyond the boundaries of St Germain as she also graced Montmartre, the Spanish War and the international brigades, so she also tucked in her repertoire the wretched La Fille de Londres, written by Pierre Mac Orlan and songs by Federico Garcia-Lorca. Her Paris-Canaille again bears Léo Ferré’s signature.
Claire Leclerc was valued for her sweet and beautiful voice and appeared in many of the local clubs. She also cut a few discs, mostly with lyrics by Prévert – in particular the Deux Ballades médiévales (Démons et Merveilles, Le Tendre et Dangereux Visage de l’Amour) from the 1942 movie Les Visiteurs du Soir (The Night Visitors). These two tunes were composed by Maurice Thiriet and Prévert. The setting of these pieces was in the Middle Ages, though the songs were contemporary. But the St Germain crowd sometimes interpreted true Medieval tunes. Les petits Pavés, a big success in the early 20th century by Paul Delmet with its lyrics signed by Maurice Vaucaire which was sung by many including Kouloudji. Maurice’s son, Michel Vaucaire, another parolier, married Cora, the main attraction in ‘L’Echelle de Jacob’, one of the most reputed cabarets in St Germain, and sang a variety of titles, both old and new, such as Frédé (by Michel), Quand tu dors (by Prévert) and the illustrious Kosma/Prévert title, Les Feuilles Mortes (Autumn Leaves). She also included some pieces signed by Léo Ferré, as did the tragedienne Catherine Sauvage, who came out with some hard stuff like L’Homme (Ferré) and Johnny, Tu n’est pas un Ange.
The screen actor turned singer, Mouloudji, a privileged protégé of Prévert and Desnos when young, boasted a pleasant and warm voice and sang old tunes, including the above-mentioned Petits Pavés and newer material such as that signed by Boris Vian. He was a true St Germain regular. Here, we can enjoy one of his master-pieces La Valse jaune, with its music by Marguerite Monnot, Edith Piaf’s principal collaborating songwriter. Another of Prévert’s protégés was talented song-writer, singer and part-time guitarist Francis Lemarque who spent much of his time in St Germain. His ironic and anti-racist John Black is a fine example of his talent.
And then there were the groups. Les Compagnons de Route were the best known before being overtaken by Les Frères Jacques. In their early recording sessions, the ‘brothers’ leant towards tender or witty pieces (L’Entrecôte), but in the late forties they were also swept into the Prévert/Kosma-mania and three of their pieces from this period have been selected here: L’Inventaire, La Pêche à la Baleine and, in particular, Barbara – indeed at least three sessions and nine takes were necessary for this unique and haunting title. As from 1950 they were influenced by many others, but Prévert remained one of their choice sources of inspiration.
St Germain relished in its café life, cellar life and the inevitable showtime arrived. Naturally, the bistros continued to serve and the basement jazz was still resounding (with both mouldy figs and sour grapes), but their heyday was over. The main venue for the cabaret billings was ‘La Rose Rouge’ – an adventure still including Les Frères Jacques, Juliette Gréco and many others.
The above-mentioned artists were among the best-known, or rather the less-forgotten from an ephemeral period, one of the legendary episodes of French History. The days when Saint Germain des Prés rhymed with Freedom rather than with drugstores. Alas, expression again lost its battle against consumerism.
English adaptation by Laure WRIGHT
from the French text of Daniel NEVERS
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CD SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS les riches heures de la rive gauche 1926-1954 © Frémeaux & Associés. (frémeaux, frémaux, frémau, frémaud, frémault, frémo, frémont, fermeaux, fremeaux, fremaux, fremau, fremaud, fremault, fremo, fremont, CD audio, 78 tours, disques anciens, CD à acheter, écouter des vieux enregistrements, albums, rééditions, anthologies ou intégrales sont disponibles sous forme de CD et par téléchargement.)