FA906 Bourvil

Bourvil,

pour les enfants d’hier et d’aujourd’hui

Bourvil, artiste aux multiples facettes et talents, avait déjà au début des années cinquante, fait ses preuves au cinéma, au music-hall, en faisant rire un large public mais en jouant également sur l’émotion avec une réussite inégalée. Il n’est pas surprenant qu’après avoir conquis le cœur des grandes personnes, cet artiste authentique s’adressa aussi aux petits enfants. Cela est trop peu souvent évoqué mais Bourvil a enregistré un bon nombre de chansons pour ce public et certainement davantage que ce que l’on pourrait penser. On serait alors tenté de limiter nos suppositions aux disques destinés directement aux enfants mais sa carrière « standard » regorge aussi de clins d’œil à l’enfance, ainsi Berceuse à Frédéric, est certes destinée à un public adulte mais n’en demeure pas moins une chanson dédiée à son fils et tous les petits enfants de France. Il existe de multiples autres exemples dans sa carrière discographique, toutefois ce double CD met en lumière une carrière trop effacée, trop méconnue qui mérite d’être revisitée. Nous ne suivrons pas forcément ici l’ordre chronologique des enregistrements mais nous tenterons de les regrouper par thèmes.

Rondes et chansons est un projet qui a vu le jour sous la forme de quatre 45 tours 17 centimètres livre-disque mais qui n’a pas connu un très grand succès. Ils contiennent pour la plupart une huitaine de traditionnels aux minutages courts et sont sortis chez Pathé, maison de disque de Bourvil à laquelle il sera toujours fidèle. Ils sont publiés pour le format « jeunesse » avec des magnifiques dessins dont nous ignorons encore aujourd’hui le nom du créateur. Dommage ! Le petit livret qui accompagne chacun de ces disques originaux propose en sus des dessins, les paroles de chaque comptine ainsi que leur partition mélodique, élément permettant aux charmants bambins de cette époque de réviser leur solfège, discipline jugée autrefois comme un élément indispensable à l’apprentissage de la musique. Bourvil est ici chargé de remplir une mission difficile qui consiste à interpréter des chansons traditionnelles de notre patrimoine pour les enfants tout en étant moderne et sans les dénaturer, heureusement les orchestrations de Pierre Guillermin s’avèrent très subtiles. Pour se faire aider, Bourvil est également épaulé par deux autres artistes très en vogue à cette époque chez Pathé : Pierrette Bruno et René-Louis Lafforgue. Pierrette Bruno doit certainement sa présence à Bourvil même puisqu’elle est sa complice en chanson depuis 1958, année durant laquelle il l’a choisie comme partenaire pour l’opérette Pacifico. Ensemble ils enregistrent de nombreuses chansons jusqu’en 1963. Le choix était donc relativement évident. De son côté René Louis-Lafforgue connaît le succès depuis 1955, date à laquelle il remporte le grand prix de la chanson française à Deauville. Son succès Julie la rousse est sur toutes les lèvres en l’année 1956 et tout comme Bourvil, il est acteur au cinéma mais également au théâtre. Ainsi ces enregistrements semblent être dans de bonnes mains pour la firme Pathé qui les produit : il est certain que la diction et la phonétique seront de qualité pour les charmants bambins qui apprennent certainement encore à lire et à écrire. Ainsi Gentil Coquelicot, Frère Jacques, Meunier tu dors, J’ai du bon tabac, Savez vous planter les choux, Le Bon roi Dagobert, qui sont de grands classiques sont mis en scène aux cotés de chansons moins célèbres mais tout aussi charmantes comme La chèvre et Bon Voyage Monsieur Dumolet. Ces enregistrements ont été partiellement réédités en 1970 par la firme MFP (filiale de EMI, propriétaire du catalogue Pathé) et ont enfin connu le succès qu’ils méritaient onze années plus tard, hélas après le décès de Bourvil (1970) et de René-Louis Lafforgue (1967). Il est vraiment étonnant que ces disques n’aient pas connu ce succès en 1959 et soient devenus très rares aujourd’hui, peut-être parce qu’ils n’ont pas bénéficié d’une promotion suffisante. D’autres disques du catalogue pour enfants chez Pathé ont connu un succès bien plus grand. Quoi qu’il en soit, ce premier CD nous permettra de réviser nos classiques, il permet à la fois replonger les adultes dans un passé qui ne manque pas de charme et pourra séduire une nouvelle génération qui saura apprécier nos trois protagonistes. En Bonus de ce premier CD, Les papous (1960) et Les rois fainéants (1959) sont des chansons plutôt grand public qui ne manquent pas de fantaisie enfantine, si l’on excepte quelques subtilités gaillardes dans les paroles du deuxième titre que nous avons choisi. Laissons l’innocence en faire abstraction.

Le deuxième CD de cette anthologie pour enfants, a pour grand intérêt de présenter le mythique 33 tours 25 centimètres Bourvil chante pour les enfants avec les Pierrots Parisiens.  Il s’agit non seulement de créations originales mais également du premier essai de Bourvil dans le monde des disques pour enfants. Le succès de cet album a été immédiat et a été réédité sous l’appellation des « Rondes et chansons pour enfants » en 1970 chez MFP avec certains traditionnels que nous avons entendu sur le premier CD, ce qui d’ailleurs, a souvent créé une certaine confusion chez l’auditeur. En fait il s’agissait d’une astuce éditoriale. Le format 25 centimètres n’existant plus depuis 1964 en France, les rondes et chansons ont été ajoutées pour remplir la seconde face du disque. Les enregistrements avec les Pierrots Parisiens sont en, revanche antérieurs et dates de 1953, donc n’ont rien à voir avec ceux du premier CD avec les titres réalisés en compagnie de Pierrette Bruno et René-Louis Lafforgue. Les orchestrations ne sont d’ailleurs pas de Pierre Guillermin mais de Nelly Marco. Nous n’avons pas d’informations concernant les Pierrots Parisiens, il s’agit très certainement d’un casting  et d’un nom créé pour l’occasion. L’ambiance est assurée dans une cocasserie des plus réussie entre Bourvil et ces enfants, dont un, en particulier semble troubler la concentration du maître. Mise en scène de complicité entre Bourvil et les enfants, ce disque est une belle réussite artistique et très surprenante pour cette époque.

Les textes des chansons ont été confiés à Jean Poterat, grand spécialiste du monde des enfants qui avec La belle abeille, Le petit coq, Une jolie trompette ou encore Le papeau des pompiers sait nous diriger dans un monde innocent et plaisant. Jean Poterat qui a écrit pour Maurice Chevalier a excellé toute sa vie dans la chanson pour enfants en écrivant plus tard pour la chanteuse Douchka. Quand au compositeur Gérard Lafargue, il a été compositeur pour Édith Piaf qui interpréta son titre Pour moi toute seule. Au dos de la pochette originale, Bourvil a écrit un mot amusant que voici :

Mes chers enfants (C’est Bourvil qui vous parle)

Vous avez peut-être une mauvaise opinion de moi en écoutant les chansons bébêtes que je chante à vos parents pour essayer de les amuser… mais aujourd’hui ça va changer !… je vais chanter pour vous… Pourquoi ?… Parce que des gens ont eu l’air de dire que je n’étais pas assez artiste pour faire tous les genres ! Pensez !… ça m’a vexé !… Ils disaient que pour interpréter des chansons d’enfants il fallait de la musicalité, de la poésie, du charme etc. etc. ben ! alors ça tombe bien moi… j’ai tout ça ! je suis poète… charmant… n’est-ce pas que je suis charmant… hein… ? D’ailleurs vous allez voir ! faites marcher le disque… chantez tous en chœur avec moi et si mes petits couplets peuvent apporter un peu de gaité dans votre maison je serai combler

Bourvil

P.S. A comblé j’ai éffacé l’r parce que ce n’est pas l’infinitif (faites comme moi, ne négligez pas votre grammaire tout en aimant les chansons)

Ce texte qui a également été reproduit sur certaines rééditions révèle plusieurs choses. Tout d’abord, bien qu’écrit, on sent que Bourvil appelle les enfants à l’entendre à travers une ponctuation exagérément libre. Sur la forme, les points de ponctuation qui précédent ou succèdent aux points d’interrogation et d’exclamation, ne sont pas ce que l’on peut appeler fait d’un français profondément littéraire. La blague de la faute de grammaire est bien amenée d’autant plus qu’elle apparaît uniquement à la fin, bien qu’il s’amuse à raturer quelques passages, barrer des accent surplombant l’infinitif plus haut. Il manque aussi quelques majuscules. Sur le fond, on sent toutefois un fond de vérité dans ses propos, comme une envie de prouver sa capacité à officier dans tous les genres. Ainsi ce message donne l’impression que ce disque pour enfant s’adresse également au grand public, et plus spécifiquement à ses détracteurs à qui il fait ici un formidable pied de nez en ironisant sur son charme et son talent. Dans le monde actuel où le packaging d’un disque est devenu aussi important que le contenu d’un disque, ce genre de liberté artistique et visuelle apparaît aujourd’hui comme un élément précurseur. Seuls les disques de rock et de chansons avec des textes de présentation (Georges Brassens etc.) comportaient parfois ce genre de note à cette époque et souvent écrites par un collègue artiste qui venait annoncer, pour ne pas dire vendre, un nouveau talent.

Nous avons vu que si le succès avec les « Pierrot Parisiens » était au rendez-vous, il en était autrement avec les « Rondes et chansons » parues en 1959, un autre succès manqué a vu le jour : l’édition de trois 45 tours consacrée au « Roman de Renard » Trois 45 tours ont été édités en 1959, 1961 et un dernier en 1964 mais sont passés inaperçus, il est d’ailleurs étonnant que Pathé ait récidivé dans cette entreprise. Introuvables, ces 45 tours ont été réédités en 1972 par Emidisc et en 1977 par le label MFP (filiale d’EMI qui possédait le catalogue Pathé). Nous n’avons pas d’indications quant à l’entreprise de ces enregistrements, quelle en a été la source, qui en a été l’instigateur même si la fiche technique semble créditer amplement Muse Dalbray. Ces trois 45 tours ont été destinés au monde des enfants et semblerait-il dans une démarche pédagogique. On retrouve à nouveau la comparse Pierrette Bruno mais René-Louis Lafforgue n’a semble t’il pas été sollicité cette fois-ci. L’orchestration est à nouveau de Pierre Guillermin bien que totalement secondaire.

Le Roman de Renart est un ensemble de récits animaliers médiéval écrits en ancien français. On attribue la base de ces syllabes à Pierre de Saint-Cloud. Dès le treizième siècle, les différents textes écrits par différents auteurs dont Pierre de Saint-Cloud, Richard de Lison ou encore Guillaume de Madoc sont réunis dans un recueil. Les autres textes sont anonymes. On attribue le nom de Renart au nom propre Reinhard allemand. Les 45 tours Pathé d’époque ont orthographié « Renard » avec un d, les éditions modernes orthographient « Renart » avec un t. Etant donné qu’il s’agit d’étymologie germanique et d’ancien français, il est difficile d’établir une orthographe officielle bien que la deuxième version soit de mise aujourd’hui mais étant donné que nous restituons ici les 45 tours d’origine, nous préférons nous en tenir à l’orthographe utilisée par la firme Pathé au début des années soixante sur ces premières éditions. Nous reproduisons ici les deux premiers 45 tours qui semblent avoir été enregistrés en même temps, mais publiés à quelques mois d’écart. Il a existé un très grand nombre d’adaptations de ces écrits que ce soit en littérature, bande dessinée, disque, cinéma et même au théâtre. La traduction en français moderne dans le disque semble ici avoir été effectuée par Muse d’Albray avant que Jacques Haumont ne le fasse en 1966 pour le secteur littéraire. Ces mises en scènes phonographiques, ne manquent pas de charme et font à nouveau écho au livre audio. Décidément, Pathé offrait à Bourvil des projets précurseurs à la hauteur de son talent et de cet homme visiblement bien capable de faire dans tous les genres.

Pour terminer ce deuxième disque il nous a paru indispensable de conclure avec La Ballade irlandaise, œuvre magistrale dans la carrière de Bourvil et La berceuse à Frédéric, deux magnifiques chansons, pour petits et grands. Après « Le roman de Renart », sous forme de conte il faut bien cela pour aider nos charmants bambins à s’endormir.

Jean-Baptiste Mersiol

© Frémeaux & Associés 2019

 

BOURVIL Chansons pour les petits
CD 1 : Rondes et chansons avec PIERRETTE BRUNO et RENÉ-LOUIS LAFFORGUE
 1. Gentil Coquelicot (Traditionnel) 1’31
                        45 tours Pathé EA 10015. 1958.
 2. Meunier, tu dors (Traditionnel) 1’27
                        45 tours Pathé EA 10015. 1958.
 3. Bon voyage, Monsieur Dumollet (Traditionnel) 1’55
                        45 tours Pathé EA 10015. 1958.
 4. Frère Jacques (Traditionnel) 1’36
                        45 tours Pathé EA 10015. 1958.
 5. Belle rose (Traditionnel) 1’49
                        45 tours Pathé EA 10015. 1958.
 6. Le roi Dagobert (Traditionnel) 1’47
                        45 tours Pathé EA 10016. 1958.
 7. Je suis un petit garçon (Traditionnel) 1’04
                        45 tours Pathé EA 10016. 1958.
 8. Encore un carreau d’cassé (Traditionnel) 1’09
                        45 tours Pathé EA 10016. 1958.
 9. J’ai du bon tabac (Traditionnel) 0’51
                        45 tours Pathé EA 10016. 1958.
10. Margoton (Traditionnel) 1’42
                        45 tours Pathé EA 10016. 1958.
11. Cadet Rousselle (Traditionnel) 2’32
                        45 tours Pathé EA 10016. 1958.
12. Alouette, gentille alouette (Traditionnel) 2’01
                        45 tours Pathé EA 10018. 1958.
13. Savez-vous planter les choux (Traditionnel) 1’54
                        45 tours Pathé EA 10017. 1958.
14. En passant par la Lorraine (Traditionnel) 2’15
                        45 tours Pathé EA 10017. 1958.
15. Sur le pont d’Avignon (Traditionnel) 1’28
                        45 tours Pathé EA 10018. 1958.
16. Il était un petit navire (Traditionnel) 2’02
                        45 tours Pathé EA 10017. 1958.
17. Ah ! Vous dirais-je maman (Traditionnel) 1’00
                        45 tours Pathé EA 10018. 1958.
18. Il pleut, il pleut bergère (Traditionnel) 1’30
                        45 tours Pathé EA 10018. 1958.
19. La tour, prends garde (Traditionnel) 1’24
                        45 tours Pathé EA 10018. 1958.
20. La chèvre (Traditionnel) 1’22
                        45 tours Pathé EA 10017. 1958.
21. Petit matelot (Traditionnel) 1’38
                        45 tours Pathé EA 10015. 1958.
22. Marie Madeleine (Traditionnel) 1’07
                        45 tours Pathé EA 10015. 1958.
BONUS :
23. Les papous (F.Llénas / N.Roux) 3’08
                        EP Pathé EG 523. 1960.
24. Les rois fainéants (H.Ithier. A.Paté) 3’28
                        EP Pathé EG 488. 1959.

CD 2 : BOURVIL et les PIERROTS PARISIENS + LE ROMAN DE RENART
 1. La belle abeille (J.Poterat / G .Lafarge) 3’18
                        25 centimètres Pathé AT 1024
 2. Sébastien le pingouin (J.Poterat / G .Lafarge) 3’00
                        25 centimètres Pathé AT 1024
 3. Le petit coq (J.Poterat / G .Lafarge) 3’35
                        25 centimètres Pathé AT 1024
 4. Une jolie trompette (J.Poterat / G .Lafarge) 2’58
                        25 centimètres Pathé AT 1024
 5. Le petit sapin (J.Poterat / G .Lafarge) 2’38
                        25 centimètres Pathé AT 1024
 6. Le vieux tromblon (J.Poterat / G .Lafarge) 3’49
                        25 centimètres Pathé AT 1024
 7. Jonas et la baleine (J.Poterat / G .Lafarge) 3’30
                        25 centimètres Pathé AT 1024
 8. Le Papeau des pompiers (J.Poterat / G .Lafarge) 3’14
                        25 centimètres Pathé AT 1024
 9. Renart laisse échapper Chanteclair (Domaine Public) 8’34
                        45 tours Pathé EA 10 045. 1961.
10. Renart mange le fromage du corbeau Tiecelin (Domaine Public) 8’48
                        45 tours Pathé EA 10 045. 1961.
11. Renart mange les anguilles de charretiers (Domaine Public) 8’39
                        45 tours Pathé EA 10 052. 1962.
12. Comment Renart fit Ysengrin moine (Domaine Public) 7’50
                        45 tours Pathé EA 10 052. 1962.

BONUS :
13. Ballade irlandaise (E.Stern / J Constantin) 2’58
                        EP Pathé EG 373. 1958.
14. La berceuse à Frédéric (E.Stern/E.Marnay) 3’08
                        EP Pathé EG 450. 1959.

Le roman de Renart :
BOURVIL : Renart.
JOSÉ ARTUR : Noble le Lion
PIERRETTE BRUNO : Hermeline
LINETTE LEMERCIER : Rovel
TRISTAN SEVERE : Ysengrin
GEORGES CUSIN – MUSE DALBRAY, JOË SEVERE.
Direction d’Orchestre : PIERRE GUILLERMIN
Adaptation : MUSE DALBRAY
 

Bourvil est le grand comédien de notre patrimoine. Son personnage attachant, sensible, espiègle et sa grande tendresse, l’ont naturellement porté à enregistrer des disques pour enfants, dans lesquels il chante ou narre des comptines avec toute la malice et le talent qui est le sien. Cette anthologie regroupe ses plus belles chansons, un beau moment pour les petits comme pour les grands.

                Patrick Frémeaux