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Featuring Lalo Schifrin
DIZZY GILLESPIE
Ref.: FA5843
Direction Artistique : Michel Brillié et Gilles Pétard - Livret : Michel Brillié
Label : Frémeaux & Associés
Durée totale de l'œuvre : 1 heures 42 minutes
Nbre. CD : 2
- - * * * * * Le Soir
- - France Musique (Jazz au trésor - Alex Dutilh)
- - Indispensable Jazz News
- - Hit Couleurs Jazz
- - * * * * Jazz Magazine
Trompettiste lumineux, Dizzy Gillespie est l’un des grands modernisateurs du jazz. Il a notamment contribué à introduire les rythmes afro-cubains dans le jazz dès les années 1940. Durant les années 1950, il est envoyé par le département d’État américain pour faire découvrir le jazz dans le monde et notamment en Amérique du Sud. Il en profite pour parfaire sa quête des rythmes latins d’essence africaine. C’est par ce voyage qu’il va rencontrer un jeune pianiste et compositeur argentin, Lalo Schifrin qui lui compose une suite « Gillespiana », qui devient un grand standard et dont la première version live jamais jouée est présenté ici. Enregistré en 1960 et 1961, ce coffret est le formidable témoin de la vague latin jazz à venir, annonciateur de la déferlante bossa nova américaine et matrice à groove inébranlable pour la génération à venir.
Patrick FRÉMEAUX
La collection Live in Paris, dirigée par Michel Brillié, permet de retrouver des enregistrements inédits (concerts, sessions privées ou radiophoniques), des grandes vedettes du jazz, du rock & roll et de la chanson du XXe siècle. Ces prises de son live, et la relation avec le public, apportent un supplément d’âme et une sensibilité en contrepoint de la rigueur appliquée lors des enregistrements studios. Une importance singulière a été apportée à la restauration sonore des bandes, pour convenir aux standards CD tout en conservant la couleur d’époque.
Patrick FRÉMEAUX & Gilles PÉTARD
CD1 : GILLESPIANA SUITE: PRELUDE • GILLESPIANA SUITE: BLUES • GILLESPIANA SUITE: PANAMERICANA • GILLESPIANA SUITE: AFRICANA • GILLESPIANA SUITE: TOCCATA • CARAVAN • CRIPPLE CRAPPLE CRUTCH
CD2 : INTRODUCTION BY NORMAN GRANZ • DIZZY’S INTRO • DESAFINADO • LORRAINE • LONG LONG SUMMER • PAU DE ARARA • CRIPPLE CRAPPLE CRUTCH • KUSH
DIRECTION ARTISTIQUE ET DISCOGRAPHIE : GILLES PÉTARD ET MICHEL BRILLIÉ, LIVRET : MICHEL BRILLIÉ
NEW YORK - CHICAGO 1940 - 1947
ROCK JAZZ & CALYPSO 1920 - 1962
LIVE IN PARIS - 21 MARS / 11 OCTOBRE 1960
Live in...
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PisteTitreArtiste principalAuteurDuréeEnregistré en
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1Gillespiana Suite: PreludeDizzy GillespieLalo Schifrin00:05:021960
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2Gillespiana Suite: BluesDizzy GillespieLalo Schifrin00:10:551960
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3Gillespiana Suite: PanamericanaDizzy GillespieLalo Schifrin00:06:251960
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4Gillespiana Suite: AfricanaDizzy GillespieLalo Schifrin00:06:361960
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5Gillespiana Suite: ToccataDizzy GillespieLalo Schifrin00:13:401960
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6CaravanDizzy GillespieDuke Ellington00:09:281960
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7Cripple Crapple CrutchDizzy GillespieDizzy Gillespie00:00:371960
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PisteTitreArtiste principalAuteurDuréeEnregistré en
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1Introduction by Norman GranzDizzy GillespieNorman Granz00:01:121961
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2'Dizzy''s Intro'Dizzy GillespieDizzy Gillespie00:01:391961
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3DesafinadoDizzy GillespieNewton Mendoca00:03:581961
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4LorraineDizzy GillespieDizzy Gillespie00:03:381961
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5Long Long SummerDizzy GillespieLalo Schifrin00:08:441961
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6Pau de AraraDizzy GillespieGuio De Morais00:08:581961
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7Cripple Crapple CrutchDizzy GillespieDizzy Gillespie00:01:161961
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8KushDizzy GillespieDizzy Gillespie00:20:351961
Dizzy Gillespie (feat Lalo Schifrin)
Live in Paris 1960-1961
Par Michel Brillié
Le messager de l’Afrique
« Toutes ces mélodies samba… Aux USA, on a été les premiers à jouer ce genre de musique, bossa, samba, dans un contexte jazz. Il y avait Stan Getz qui me tannait pour savoir où trouver ces morceaux… ».
Voilà la vérité. C’est bien Dizzy le précurseur de la vague Bossa Nova qui a déferlé sur les Etats Unis, puis sur le monde, en 1962. Pas étonnant pour un homme qui a passé sa vie de musicien à rechercher toutes les pistes qui le ramenaient aux racines, à l’Afrique.
Dès 1937, John Birks Gillespie, un ado pas si timide que ça, découvre en compagnie du flutiste cubain Alberto Soccaras, la base de musique afro-cubaine, le « clave », la clé rythmique de ce genre.
Un peu plus tard, Mario Bauza, trompette comme Gillespie chez Cab Calloway, le prend sous son aile et le familiarise un peu plus aux tempos de l’île. Bauza était un peu « comme mon père » écrit Diz ; son beau-frère était Machito, le chef d’orchestre et percussionniste culte de cette génération. Une conviction se forme dans la tête de Dizzy Gillespie : quand il aura son propre orchestre, il y aura un joueur de congas. Point final.
Pozo El Conguero
Dix années passent. Après la guerre, en 1947, Gillespie a créé son big band, avec lequel il cherche à combiner jazz et tempo latino. Kenny Clarke est à la batterie, et Gillespie veut lui ajouter une touche de percussion cubaine.
Mario Bauza : « Je suis un peu celui qui a provoqué cette intégration, ce mariage... Quand Diz a quitté Cab Calloway, Il cherchait un nouveau truc. « Et pourquoi tu essaierais pas ce truc ? » On en parlait ensemble depuis un bout de temps.
Il me dit « tu connais quelqu’un ? »
Je lui réponds : « j’ai ton homme », et je lui ai présenté Chano Pozo. »
Le grand conguero cubain va définir le jazz afro-cubain moderne. Même si les deux hommes n’ont pas de moyen pour communiquer, Pozo ne parlant pas anglais et le trompettiste ne parlant pas espagnol. Alors comment faisaient-ils ? Hé bien voilà raconte Diz , Pozo expliquait « Dizzy pas parler espagnol, moi pas parler anglais ; tous les deux parler africain. »
Dizzy est le grand pasteur qui veut rassembler toutes les brebis du jazz et des musiques-racines.
« Ce sont les Blancs qui ont toujours essayé de nous séparer de nos frères africains. C’est la raison pour laquelle dans notre musique on n’entend pas, comme dans d’autres, l’héritage de l’Afrique. Au Brésil, à Bahia, il y a beaucoup de l’Afrique dans leur musique ; à Cuba, aux Antilles, aussi. En fait, un jour, je suis allé au Kenya et il y avait ces mecs qui jouaient, je leur ai dit, c’est marrant, on dirait que vous jouez un calypso, comme aux Antilles.
L’un des musiciens a rigolé, et m’a répondu : « Mais n’oublie pas que nous, on est les premiers à l’avoir fait ! »
Dans sa grande quête du rythme, le trompettiste lance sa croisade : « Mama Rhythm is African », la mère fondatrice du Rythme, c’est l’Afrique.
Pozo, pour revenir à lui, est un personnage hors du commun. C’est un « tough guy » de la rue cubaine, petit criminel, - et percussionniste, danseur-, qui émigre en 47 aux USA en raison du racisme qui sévit dans le milieu des musiciens cubains. La conga de Pozo faisant désormais partie de l’orchestre de Gillespie, le cubain lui donne l’hymne de la fusion cubano-bop : « Manteca », la quintessence du jazz afro-cubain. « Manteca » est l’argot cubain qui désigne l’héroïne. C’est la drogue qui provoquera la mort de Pozo, abattu par un bookie dans un bar de Harlem en décembre 1948…
Le béret… et la baguette
A l’automne 1947, après un concert historique au Carnegie Hall du nouveau grand orchestre de Gillespie, Dizzy, Pozo, et les jazzmen du big band, embarquent pour une tournée européenne. Pour Dizzy, ce n’est pas une première. A 20 ans, en 1937, le jeune trompette de l’orchestre de Teddy Hill était déjà venu en Europe avec la revue du prestigieux Cotton Club. A l’occasion de l’Exposition Universelle de Paris, le spectacle avait été présenté pendant 6 semaines au Moulin Rouge, en même temps que Joséphine Baker, avec toute une troupe de danseurs. Les français y ont découvert le Lindy Hop, la danse qui sera plus tard la base du rock. Gillespie lui, en a profité pour explorer les rues avoisinantes de Pigalle, et développer son goût pour les jeunes femmes en général, et les blondes en particulier. Il va aussi en garder l’un des accessoires mythiques des Be-Boppers : le béret.
Coiffé donc de l’archétype du couvre-chef franchouillard, il retourne ainsi une décennie plus tard dans la capitale, cette fois en big name star. Mais en plus du béret, il a la baguette… de chef.
A Paris, c’est l’ébullition. Pozo, avec sa carrure, ses percus fabriquées maison super costaudes (il faut les réchauffer au gaz avant chaque prestation), Chano est particulièrement remarqué par le public français. Les concerts de la Salle Pleyel, pour Maurice Cullaz, sont un événement fondateur : « La majorité des musiciens français qui étaient présents ont découvert à cette occasion leur vocation pour le jazz et le be-bop. » Pour Boris Vian, « On peut singer son aspect avec un béret et une barbiche, en revanche on ne peut copier la cohérence de son attaque, la confiance de son jeu, ses instincts harmoniques infaillibles et la pureté de sa sonorité sèche, claire. »
Le souvenir de ces concerts est vif lorsque Dizzy revient à Paris en Mars 1952. Cette fois ci c’est pour enregistrer un paquet de titres en compagnie d’un set de musiciens français et américains, René Vasseur, Jean Jacques Tilchet d’un côté ; Don Byas, Art Simmons de l’autre. Le Théâtre des Champs Elysées est transformé en studio pour la circonstance.
Il s’y plait et multiplie les expériences musicales en cette période transitoire entre sa période be-bop et ses groupes hard bop plus compacts du reste des fifties. Juste un an plus tard, après un nouveau concert Salle Pleyel le 9 février 1953, et à la fin du même mois, le revoici de retour dans un studio parisien (le Magellan) pour se retrouver au milieu d’un orchestre de cordes dirigé par Michel Legrand, dans des titres aussi variés que « Stormy Weather » ou « Jalousie » …
Oui, Dizzy Digs Paris – Dizzy aime Paris, et il y reviendra régulièrement avec les tournées du JATP de Norman Granz, notamment en 58.
Il aime aussi les voyages… Le jeune musicien qui traverse l’Atlantique au milieu des années trente sur le paquebot Ile de France va se muer en un véritable ambassadeur du jazz – et des USA – à travers le monde. Une passion qui se perpétuera jusque dans les années 80 à travers la création de son United Nations Orchestra, un ensemble éclectique de certains des meilleurs musiciens de jazz associés à de plus jeunes joueurs en devenir.
Diz le globetrotteur
Mais dès 1956, le messager est à l’œuvre. L’idée vient de l’homme politique Adam Clayton Powell : envoyer Dizzy à travers le monde avec un grand orchestre de jazz, pour promouvoir une image positive des Etats Unis. Pour assurer cette demande du Département d’Etat, qui finance les tournées, l’orchestre doit être multiracial. Quincy Jones, à qui Dizzy a demandé un coup de main, va recruter plusieurs musiciens blancs, dont Phil Woods. Il doit être aussi mixte : Quincy va faire venir une copine de la côte Ouest, la tromboniste Melba Liston. Le State Dept. Big Band passe en Iran, au Pakistan, au Liban, en Turquie pour terminer en Grèce. A plusieurs reprises, Dizzy casse les barrières et distribue autour des salles de concert des billets gratuits aux jeunes défavorisés, qui ne peuvent se payer le billet d’entrée. « Nous sommes là pour jouer pour le peuple » déclare-t-il aux officiels de l’ambassade. A Athènes, la foule des fans le porte en triomphe dans les rues.
La deuxième tournée internationale de fin 56 va être encore plus mémorable pour Dizzy. Cette fois ci, c’est en Amérique du Sud qu’il doit porter la bonne parole. En Equateur, Argentine, Uruguay et au Brésil. C’est là que le musicien est exposé en direct aux rythmes subtils et élégants de la samba et du tango.
Mais l’apport le plus important de cette tournée sud-américaine est la rencontre entre Dizzy et un jeune pianiste, compositeur et arrangeur argentin, Lalo Schifrin.
Schifrin vient juste de passer quatre années à Paris pour y étudier au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris sous la houlette d’Olivier Messiaen. Il est pianiste de jazz à ses heures, joue au Club St Germain… passe ses nuits à la cinémathèque. Fin 56, Il rentre donc à Buenos Aires pour retrouver sa famille. Et il est présenté à Dizzy.
« C’était ma grande idole ! Je connaissais toutes ses compos. De mémoire, j’avais tout appris en écoutant ses disques. Je venais de reformer un grand orchestre de mon côté - il y avait Gato Barbieri - on a joué pour lui. ‘C’est toi qui a écrit ces arrangements ?’ Ben oui. Dizzy m’a proposé alors de venir aux Etats Unis comme pianiste arrangeur. Je pensais qu’il ne parlait pas sérieusement. Il m’a dit, ‘Quand tu arrives, fais moi signe.’
Lalo met deux ans à vaincre les difficultés consulaires de l’époque. Une fois à New-York, il ne parvient pas à joindre Dizzy, parti en tournée de longue durée. Il reforme un trio, joue au Basin Street East, remplace les jazzmen indisponibles, Peterson, Garner, Hank Jones… ça dure deux ans, et Lalo Schifrin finit par se reconnecter avec Diz. Qui lui dit de but en blanc : « Ben qu’est ce que tu foutais ? », et lui demande de lui composer sans plus tarder un truc pour après le week-end.
« Le lundi, il m’envoie un chauffeur et j’arrive chez lui. Je lui joue ce que j’avais composé et arrangé. Il me demande alors des détails sur cette Suite. Je lui explique que c’est une œuvre pour quintet avec une formation de cuivres uniquement : quatre trompettes, quatre cors et un tuba. Que des cuivres, pas de saxes mais, en plus, des percussions latino-américaines. « Combien de temps il te faut pour composer tout ça ? » me demande-t-il. Je lui réponds : « Trois semaines ». Il prend le téléphone et appelle Norman Granz : « Norman, j’ai besoin d’un studio dans 1 mois. » J’étais sans voix. »
Lalo et son maître
La suite « Gillespiana » est enregistré à New York du 14 au 16 Novembre 1960. Lalo Schifrin y remplace Junior Mance qui a quitté le groupe de Dizzy, au milieu d’un big band qui soutient le sextet de Gillespie avec Leo Wright, Art Davis, Chuck Lamplin, et Candido Camero aux congas. Et pour la première fois sur scène à Pleyel, le public français découvre l’œuvre intégrale, à peine 10 jours plus tard. Pour le public américain, Gillespie la créera l’année suivante, le 4 mars 1961, au Carnegie Hall de New-York.
« Gillespiana » était pour Dizzy une façon de gagner une certaine respectabilité. « J’ai lutté pour établir le jazz comme une musique de concert », écrit-il dans son autobiographie, « une forme d’art, pas seulement la musique que vous entendez dans les endroits où ils servent de l’alcool ». Il a sans doute vu en Schifrin le talent pour l’aider à y arriver. Le compositeur qu’était Schifrin permettait à Gillespie d’aller plus loin, au lieu de rester un symbole nostalgique du jazz. Gillespie a identifié cette force de jeunesse chez l’Argentin pour moderniser son travail tout en continuant la tradition latine qui était sa marque depuis l’époque de Chano Pozo et «Manteca» dans les années quarante. Gillespie a mis en parallèle sa relation avec Schifrin avec celle d’Ellington avec Strayhorn.
Cette « suite sous forme de concerto grosso » va vendre un million de disques, l’un des plus gros succès du trompettiste.
Schifrin, lui, était comblé sur tous les plans. Il jouait avec un maître, un ami, et une personnalité mondiale du jazz qui attirait la lumière sur son œuvre. Et il était – pour quelque temps – sorti du secteur des musiques de films en Argentine pour enfin faire du jazz.
Dizzy-finado
Automne 1961. 23 septembre. Dizzy et le groupe passe au Festival de Monterey. Le thème de ses prestations de la période est pour Gillespie : le « musical safari ».
Il le développe ainsi dans son intro :
« Ce soir, nous allons vous jouer ce que nous appelons un safari musical… Cela fait allusion au fait de l’importance de la musique africaine dans différents pays de l’hémisphère occidental… En premier on va jouer un morceau qu’on a piqué au Brésil… Dizzy-finado. »
« Desafinado », le standard de Tom Jobim, que Stan Getz piquera à son tour à Dizzy quelques mois plus tard pour son album Jazz Samba - avec le résultat que l’on connait.
Dans l’intervalle, et deux mois plus tard, voici le DizGang en tournée une fois de plus. Du 11 novembre au 2 décembre 1961, le JATP de Norman Granz reprend ses quartiers européens. Gillespie partage l’affiche avec John Coltrane. Les dates s’enchainent, trente concerts en moins de trois semaines. Un ou deux concerts par jour en Allemagne, Angleterre, Suède, Danemark, Pays Bas, Finlande, et en France. A Paris, c’est le 18 Novembre, cette fois chez Coquatrix, boulevard des Capucines.
L’homme est vraiment « back home again », chez lui, dans ses chaussons. Il sermonne quelques retardataires en français… « Asseyez-vous !… Ca va ? »
Le trompettiste a peaufiné son intro par rapport à Monterey :
« Ce soir, c’est notre safari musical… Nous aimerions vous emmener dans cette tournée en musique qui passe par le sud du Brésil… le nord du Brésil…les Antilles…vous emmener à Cuba…. -mais pas en avion... Et au Mississippi… - mais pas en bus… »
Dizzy fait ainsi référence à deux évènements marquants de 1961 : en avril, la crise de la Baie des Cochons, une invasion ratée de Cuba par la C.I.A. Et en mai, les croisades des bus des Freedom Riders, combattants pour les droits civiques aux USA qui sillonnent les états du sud pour leur cause. Dans L’état du Mississippi, leur répression a été la plus violente, avec arrestations brutales et emprisonnement.
Cette fois à l’Olympia, comme pendant toute sa carrière, Dizzy ne manque aucune opportunité de marquer son engagement, à la fois politique et humaniste. Cela pouvait être fait d’une manière humoristique en venant outrageusement déguisé à la piscine de son hôtel à Kansas City, pour combattre la ségrégation raciale. Ou encore, plus « sérieusement » lors de sa campagne de 1963/1964 en tant que candidat à la présidence des Etats-Unis. Dizzy Gillespie organise des concerts-meetings, pour propager ses idées progressistes, et développe un programme percutant : baisse des impôts, réduction des armes, éducation et santé gratuites, égalité des chances, dissolution du Ku Klux Klan, fin de la guerre du Vietnam... (Voir encadré)
Au service de l’humanité
Quelques années plus tard, il va se convertir au bahaïsme, une religion monothéiste née en Perse au 19e siècle, qui professe unité de Dieu, unité des religions, unité des hommes. Ce fondement de la foi Bahaï que Gillespie adopte, a une patrie musicale : c’est le Brésil. Pour Dizzy, c’est ce pays qui a été le symbole de cette « unité dans la diversité ».
Une foi, un pays, et un homme avec un rôle :
« Il y a un parallèle entre le jazz et la religion. En jazz, un messager apparait sur la scène musicale et étend son influence jusqu’à un certain point, puis un autre arrive et va encore plus loin. Pour la religion, Dieu choisit certains individus pour amener l’humanité jusqu’à une étape de développement spirituel. Puis d’autres continuent. »
Dizzy le passeur ? Du big band au bebop à l’afro-cubain, jusqu’à sa fusion des musiques brésiliennes, caribéennes… Dans ses tournées à travers le monde, jusqu’à l’United Nations Orchestra, il a sans cesse tenté de marquer son engagement aux principes d’unité, de paix et de fraternité. Son dernier souhait tel qu’il l’écrit à la fin de To Be or not to Bop, est emblématique : « j’aimerais qu’on se souvienne de moi surtout comme un humaniste. »
PS (Petite note personnelle) :
Début 1961. Vers 23 heures. Dans ma chambre d’adolescent de 15 ans, mon petit transistor Hitachi est ouvert pour la première fois sur « Pour ceux qui aiment le Jazz ». Daniel F, que je viens de rencontrer, m’a suggéré de me mettre un peu au jazz… Voici que surgissent les dernières mesures de « Blues » de Gillespiana, cette phrase musicale jouée à l’unisson par la flûte de Leo Wright et la trompette bouchée de Dizzy…. Plus de soixante ans après, ça résonne encore.
Michel Brillié
© Frémeaux & Associés 2023
Extraits du discours de candidature de Dizzy Gillespie
Quand je serai élu président, mon premier décret sera de changer le nom de la Maison Blanche en Maison du Blues.
Les impôts seront supprimés, et les jeux clandestins, comme le numbers, légalisés.
L’armée et la marine seront fusionnées pour réduire les coûts.
Le ministère du travail passera une loi stipulant que les demandeurs d’emploi auront la tête couverte d’un drap pour que leurs futurs employeurs ne connaissent pas leur couleur.
Mon gouvernement
Miles Davis, directeur de la C.I.A.
Max Roach, ministre de la guerre
Charlie Mingus, ministre de la paix
Duke Ellington, ministre d’Etat
Malcom X, ministre de la justice
Louis Armstrong, ministre de l’agriculture
Peggy Lee, ministre du travail
Ella Fitzgerald, ministre de la santé et de l’éducation
Et ma vice-présidente sera Ramona Crowell, indienne de la tribu Sioux.
1 Sauf indiqué autrement, toutes les citations verbatim des personnalités mentionnées sont issues de l’autobiographie de Dizzy : To Be or not to Bop, Dizzy Gillespie with Al Fraser, Doubleday Books, 1979
2. In Groovin’ High, the Life of Dizzy Gillespie, Alyn Shipton, Oxford University Press, 1999
3. Boris Vian, Combat, 1948, cité dans Groovin’ High,op. cit.
4. Cf Jazz at the Philharmonic 1958-1960, 3CD BoxSet Frémeaux & Associés, 2016
5. Jean-Michel Reisser, Lalo Schifrin, Entretien avec le compositeur, Cosmopolis , April 12, 2007
6. To Be or not to Bop, op. cit.
7. Référence au vêtement du Ku Klux Klan
CD1
1 Gillespiana Suite: Prelude (Lalo Schifrin) 05’02
2 Gillespiana Suite: Blues (Lalo Schifrin) 10’55
3 Gillespiana Suite: Panamericana (Lalo Schifrin) 06’25
4 Gillespiana Suite: Africana (Lalo Schifrin) 06’56
5 Gillespiana Suite: Toccata (Lalo Schifrin) 13’40
6 Caravan (Duke Ellington - Juan Tizol) 09’28
7 Cripple Crapple Crutch (Dizzy Gillespie / Pleasant Joseph) 0’37
Total time 53:03
Recording Date
November 25,1960
Recording Place
Salle Pleyel, Paris, France
Produced by: Daniel Filipacchi, Norman Granz & Frank Ténot
Personnel
Candido Camero Congas on tracks 6 & 7
Art Davis Bass
Dizzy Gillespie Trumpet
Chuck Lampkin Drums
Lalo Schifrin Piano
Leo Wright Alto Saxophone, Flute
CD2
1 Introduction by Norman Granz (Norman Granz) 01’12
2 Dizzy’s Intro (Dizzy Gillespie) 01’39
3 Desafinado (Newton Mendoça - Antonio Carlos Jobim) 03’58
4 Lorraine (Dizzy Gillespie) 03’38
5 Long Long Summer (Lalo Schifrin) 08’44
6 Pau De Arara (Luiz Gonzaga - Guio de Morais / Luiz Gonzaga - Guio de Morais -
Lalo Schifrin) 08’58
7 Cripple Crapple Crutch (Dizzy Gillespie / Pleasant Joseph) 01’16
8 Kush (Dizzy Gillespie) 20’35
Total time 50:00
Recording Date
November 18,1961
Recording Place
Olympia Theater, Paris, France
Produced by: Daniel Filipacchi, Norman Granz & Frank Ténot
Personnel
Bob Cunnigham Bass
Dizzy Gillespie Trumpet
Mel Lewis Drums
Lalo Schifrin Piano
Leo Wright Alto Saxophone, Flute
Dedicated to Claude Boquet, Bill Dubois, Jean Claude, Philippe Moch,
Raymond Treillet and the gang
La collection Live in Paris :
Collection créée par Gilles Pétard pour Body & Soul et licenciée à Frémeaux & Associés.
Direction artistique et discographie : Michel Brillié, Gilles Pétard.
Coordination : Augustin Bondoux.
Conception : Patrick Frémeaux, Claude Colombini.
Fabrication et distribution : Frémeaux & Associés.