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1952-1958
SIDNEY BECHET
Ref.: FA5889
Direction Artistique : Gilles Pétard et Michel Brillié
Label : FREMEAUX & ASSOCIES
Durée totale de l'œuvre : 3 heures 46 minutes
Nbre. CD : 3
Sidney Bechet est avec Louis Armstrong l’un des premiers grands solistes du jazz et l’un des plus grands musiciens de son époque. Ce coffret 3 CD réunit des lives enregistrés principalement à Paris entre 1952 et 1958, capturant l’essence même du swing hors norme du vétéran du jazz d’alors. Véritable rockstar avant l’heure, Sidney Bechet enflammait les foules avec sa virtuosité, sa présence charismatique et sa ferveur contagieuse. Voici un précieux témoignage de l’atmosphère survoltée des concerts de l’artiste qui nous permet de vibrer au rythme de son jazz incandescent.
Patrick FRÉMEAUX
La collection Live in Paris, dirigée par Michel Brillié, permet de retrouver des enregistrements inédits (concerts, sessions privées ou radiophoniques), des grandes vedettes du jazz, du rock & roll et de la chanson du XXe siècle. Ces prises de son live, et la relation avec le public, apportent un supplément d’âme et une sensibilité en contrepoint de la rigueur appliquée lors des enregistrements studios. Une importance singulière a été apportée à la restauration sonore des bandes, pour convenir aux standards CD tout en conservant la couleur d’époque.
Patrick FRÉMEAUX & Gilles PÉTARD
CD1 : AMERICAN RHYTHM • MUSKRAT RAMBLE • I’VE FOUND A NEW BABY • I GOT RHYTHM • SAINT-LOUIS BLUES • CASEY JONES • PETITE FLEUR • DIPPERMOUTH BLUES • FRANKIE AND JOHNNY • ROYAL GARDEN BLUES • ROYAL GARDEN BLUES (BIS) • AS-TU LE CAFARD ? • STRUTTIN’ WITH SOME BARBECUE • SEPTEMBER SONG • LES OIGNONS.
CD2 : SOCIETY BLUES • SUMMERTIME • MARCHAND DE POISSONS • SWEET GEORGIA BROWN • DANS LES RUES D’ANTIBES • AMERICAN RHYTHM • BUDDY BOLDEN STOMP • MONTMARTRE BOOGIE WOOGIE • AS-TU LE CAFARD ? • RIVERBOAT SHUFFLE • HALLE HALLELUJAH • WHEN THE SAINTS GO MARCHIN’ IN • TEMPERAMENTAL MOOD • SOBBIN’ AND CRYIN’.
CD3 : MUSKRAT RAMBLE • ON THE SUNNY SIDE OF THE STREET • SAINT LOUIS BLUES • I’VE FOUND A NEW BABY • PETITE FLEUR • MOI J’EN AI MARRE • DOWN BY THE OLD MILL STREAM • COQUIN DE BOUBOU • ROYAL GARDEN BLUES • PETITE FLEUR • LES OIGNONS • BACK HOME AGAIN IN INDIANA • SAINT LOUIS BLUES • ALL OF ME • WHEN THE SAINTS GO MARCHIN’ IN.
DIRECTION ARTISTIQUE : GILLES PÉTARD ET MICHEL BRILLIÉ
NEW-YORK - GLOVESVILLE - CHICAGO 1932 - 1943
Legendary Works 1940-1942
Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée
...His Inspiration / His Influence 1944-1962
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PisteTitreArtiste principalAuteurDuréeEnregistré en
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1American RhythmSidney BechetSidney Bechet00:01:311952
-
2Muskrat RambleSidney BechetKid Ory00:05:331952
-
3I’ve Found a New BabySidney BechetWilliams00:08:031952
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4I Got RhythmSidney BechetGeorge Gershwin00:07:201952
-
5Saint-Louis BluesSidney BechetWilliam Christopher Handy00:06:471952
-
6Casey JonesSidney BechetTraditionnel00:03:411952
-
7Petite fleurSidney BechetSidney Bechet00:03:191952
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8DippermouthSidney BechetKing Oliver00:03:561952
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9Frankie and JohnnySidney BechetTraditionnel00:05:321952
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10Royal Garden BluesSidney BechetSpencer Williams00:05:341952
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11Royal Garden Blues (Bis)Sidney BechetSpencer Williams00:04:151952
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12As-tu le cafard ?Sidney BechetSidney Bechet00:05:261952
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13Struttin’ With Some BarbecueSidney BechetLouis Armstrong00:08:021952
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14September SongSidney BechetAnderson Weill00:03:001952
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15Les OignonsSidney BechetSidney Bechet00:04:071952
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PisteTitreArtiste principalAuteurDuréeEnregistré en
-
1Society BluesSidney BechetSidney Bechet00:09:051952
-
2SummertimeSidney BechetDubose Heyward00:03:381952
-
3Marchand de poissonsSidney BechetSidney Bechet00:03:061952
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4Sweet Georgia BrownSidney BechetKenneth Casey00:09:161952
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5Dans Les rues d’AntibesSidney BechetSidney Bechet00:05:221952
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6American RhythmSidney BechetSidney Bechet00:00:351954
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7Buddy Bolden StompSidney BechetSidney Bechet00:03:421954
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8Montmartre Boogie WoogieSidney BechetSidney Bechet00:05:351954
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9As-tu le cafard ?Sidney BechetSidney Bechet00:06:111954
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10Riverboat ShuffleSidney BechetHoagy Carmichael00:05:081954
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11Halle HallelujahSidney BechetSidney Bechet00:07:031954
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12When The Saints Go Marchin’ InSidney BechetSidney Bechet00:08:101954
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13Temperamental MoodSidney BechetSidney Bechet00:03:101954
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14Sobbin’ and Cryin’Sidney BechetSidney Bechet00:05:071954
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PisteTitreArtiste principalAuteurDuréeEnregistré en
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1Muskrat RambleSidney BechetKid Ory00:04:051954
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2On The Sunny Side Of The StreetSidney BechetDorothy Fields00:03:381954
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3Saint Louis BluesSidney BechetWilliam Christopher Handy00:07:271954
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4I’ve Found A New BabySidney BechetJack Palmer00:06:341954
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5Petite FleurSidney BechetSidney Bechet00:03:271954
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6Moi j’en ai marreSidney BechetMaurice Yvain00:03:241957
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7Down By the Old Mill StreamSidney BechetTell Taylor00:03:041957
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8Coquin de boubouSidney BechetSidney Bechet00:02:441958
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9Royal Garden BluesSidney BechetSpencer Williams00:07:031958
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10Petite fleurSidney BechetSidney Bechet00:03:321958
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11Les oignonsSidney BechetSidney Bechet00:04:041958
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12Back Home Again in IndianaSidney BechetBallard Mc Donald00:06:081958
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13Saint Louis BluesSidney BechetWilliam Christopher Handy00:07:241958
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14All of meSidney BechetGerald Marks00:03:171958
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15When the Saints Go Marchin’ inSidney BechetSidney Bechet00:09:001958
Sidney Bechet 1952-1958
Sidney Bechet, le souffle de la carotte
Par Michel Brillié
Mariage à la juanaise
Juan-les-Pins, le 17 aout 1951. La côte d’azur est en liesse… Pensez donc, le bon vieux papy créole, le roi du jazz populaire se marie ! Sidney Bechet épouse Elizabeth Ziegler, une Allemande qu’il connait depuis des lustres – 1928. Et ça en jette : Mistinguett comme témoin. Picasso qui vient en voisin. Les copains musiciens qui sont tous là. Nice Matin aussi :
Le cortège démarre de la place nationale, là chevaux, camions, voitures somptueuses, calèches, 5cv Citroën bariolées attendent les occupants…/… Un coup de sifflet et le cortège s’ébranle en direction de la mairie. En tête une demi-douzaine de cow-boys dirigés par une charmante cavalière.
Puis c’est le grand char sur lequel le célèbre orchestre juanais Tomas et ses Merry Boys donnent de tous leurs cuivres, batteries et même piano que l’on a amarré solidement…/… Enfin c’est le carrosse des mariés, landau prêté par S.A.S le Prince de Monaco. Claude Luter et tous les camarades instrumentistes de Sidney Bechet déchaînent saxos et trompettes sur la foule et en honneur des mariés.[1]
Saxo Flingueur
Pour l’« empereur du soprano », la France est un terrain connu. Il y a fait des allers-retours depuis le début des années vingt, en particulier en automne 1925, lors de sa collaboration avec la fameuse Revue Nègre, en compagnie de Joséphine Baker. Comme chacun sait, la jeune danseuse fait un tabac au Théâtre des Champs -Elysées. Elle y exécute un étourdissant numéro de charleston avec le chorégraphe Louis Douglas. Tout à côté, un ensemble de jazz se produit sur fond fragmenté de paquebots, de gratte-ciel et d’engins de construction. Il est dirigé par le pianiste Claude Hopkins, avec une dizaine de jazzmen américains, dont Sidney Bechet à la clarinette. Un instrument qu’il va échanger bientôt pour une « carotte », le saxophone soprano dans l’argot des jazzmen : plus d’ampleur, plus de souffle, plus de son.
Ca c’est pour la partie classe de ses aventures françaises. Trois ans plus tard, les choses se corsent. Bechet, qui est déjà en couple avec Elizabeth Ziegler – il l’a installé dans un appartement rue du Rocher, à Paris – Sidney donc se produit un peu partout dans la ville, aux Ambassadeurs, à la Plantation, chez Florence… Et après ses prestations, le musicien s’en va habituellement boire un coup et jammer, chez Bricktop’s, ou au Grand Duc. C’est dans ce dernier bar qu’il s’embrouille avec un autre musicien sur la façon de jouer un morceau. Son contradicteur est Mike McKendrick, un joueur de banjo de Chicago. Un peu nerveux aussi.
Il interpelle Sidney : « J’t’aime pas trop, et puis j’aime pas ton style non plus, Dixie boy…Tu veux voir ce qu’on fait à des types de ton genre à Chicago ? » Et pour appuyer son point de vue, il sort son revolver et tire deux coups de feu sur moi. Je sors alors mon propre pistolet – il ne m’avait pas touché – et ma première balle lui frôle le front. Ensuite une de mes balles a frappé Glover, et une enfin a ricoché sur un lampadaire et, ce qui est vraiment dommage, a frappé une Française qui passait de l’autre côté de la rue pour se rendre à son travail. »[2]
Le rodéo se passe à deux jours de Noel 1928, résultat rapide : les deux hommes sont arrêtés. Jugé un mois plus tard, Bechet est condamné à quinze mois de prison à Fresnes. Il est en outre interdit de séjour en France, malgré l’intervention en sa faveur de Louis Aragon.
Une Cadillac en soute
Bechet n’y retournera que vingt ans plus tard. Mais avec style. Deux citoyens français le pressent de revenir : Nicole Barclay d’un côté, et Charles Delaunay, du Hot Club de France, qui vient le rencontrer à New-York avec un projet précis : son festival de jazz à Paris, début mai 1949. Barclay et Delaunay finissent pas s’associer pour l’évènement. Le 8 mai, c’est l’inauguration. Ils sont tous là autour du vétéran de bientôt 52 ans (Bechet est né le 14 mai 1897) : Miles Davis, Charlie Parker, Max Roach… Hot Lips Page, Don Byas, Toots Thielemans. Plus les deux groupes français chargés d’accompagner Bechet : l’ensemble de Pierre Braslavsky, et les Lorientais de Claude Luter. A l’écoute de l’archive du 15 mai 49 de la RTF, la jam-session finale du concert du jour[3], c’est un total délire. La « catastrophe apprivoisée », définition du jazz par Jean Cocteau, déclenche une véritable révolution. Tous genres mélangés : les « tradis » d’un côté, Bechet, Hot Lips Page ; les « mods » de l’autre, Parker, Davis. Ce dernier est en coulisses pendant le set de Bechet. On lui demande si lui, figure de proue du cool jazz, aime le style New-Orleans. « J’ignore si c’est de la musique de la Nouvelle-Orléans, du Texas ou d’ailleurs » rétorque t-il. « En tout cas, c’est de la musique, et ce vieux type sait vraiment en jouer. Il est fantastique ! »[4]
Le sax-soprano est couronné « grand triomphateur du festival » par le critique/musicien André Hodeir : « une telle jeunesse malgré ses cheveux blancs ! »[5]
Après un court intermède new-yorkais, revoici Sidney Bechet qui débarque au Havre, avec dans la cale une magnifique Cadillac qu’il pilote jusqu’à Paris. Elle fera désormais partie de toutes ses traversées. L’artiste est maintenant adulé par la jeunesse française, et enchaîne concerts et enregistrements tout au long de cette deuxième partie de l’année. Une bonne idée : il reprend à son compte le thème d’un vieux classique créole, Les Echalotes déjà revisité par son compère Albert Nicholas deux ans avant. Pour faire plus simple sans doute, Bechet le renomme… Les Oignons.[6]
King Creole
Fast forward à juin 1950. Pour la énième fois, Bechet remet le pied sur le sol français. Il ne le quittera plus. On a souvent élaboré sur les raisons qui l’ont attaché à la France ; c’est vrai, ses racines créoles ont dû jouer. Il y a son ancêtre au 18e siècle, Françoise Cocotte… Bechet, lui, donne une explication plus terre à terre :
« En même temps je me demandais : « Pourquoi suis-je ici ? Eh bien, dès que j’ai posé la question, j’ai compris pourquoi. La France, c’est plus proche de l’Afrique. J’ai voulu en être aussi proche que possible.
Mon grand-père, pour moi représentait l’Afrique. C’était comme un retour aux sources, et moi je voulais y revenir le plus près possible. A Paris, c’est comme si je pouvais entendre tout ce que mon grand-père entendait,
à l’époque où il venait tout juste d’être ramené d’Afrique et vivait dans le Sud. » [7]
Dans son ouvrage référence sur le saxophoniste[8], Christian Béthune propose une raison plus profonde encore :
« La France évoque, de façon bien plus prégnante pour Sidney Bechet, l’imagerie d’une aristocratie créole refoulée, paradis perdu qu’il a failli connaître. En s’efforçant de toujours s’exprimer en français, en insistant pour qu’on orthographie son nom « Béchet », …/… il rend enfin manifeste un lignage créole que les circonstances l’avaient jusqu’alors conduit à décliner. »
Bechomania
Pour Bechet, la décennie fifties marque donc ses retrouvailles avec de nobles racines ; avec un équilibre affectif – le mariage avec la fiancée tant attendue ; et avec, enfin, le succès populaire. Impossible d’être enfant ou ado à cette période et de passer à côté de ces titres béret/baguette : Les Oignons, Petite fleur, Dans les rues d’Antibes, Marchand de Poissons. Si Frank Ténot trouve que « ces succès de juke-box sont un peu éloignés de l’authenticité de la musique de ses débuts, cependant, un grand souffle lyrique anime tous ses solos, chaleureux et pulpeux. Son large vibrato allait droit au cœur de l’auditoire. » [9]
La France est devenue « becholâtre » selon le néologisme concocté par Hugues Panassié. Et l’homme qui « est entré vivant dans la légende », comme l’écrit Boris Vian, a maintenant son palais attitré à Saint-Germain-des-Prés : le « Vieux Co ». C’est le surnom affectueux que les musiciens de jazz donnent au club du « Vieux Colombier ». Le soprano va y établir sa base dès 1949, juste après son triomphe au Festival de Paris. Il va y passer régulièrement jusqu’en 1953. Et en été, on ne change rien : la version Côte d’Azur du « Vieux Colombier », à Juan les Pins, lui ouvre les portes dès juillet 1950.
La presse française, lente au début, finit par s’apercevoir du phénomène en cours. Dans ses chroniques de jazz de l’époque, écrites pour le mensuel Jazz Hot, Boris Vian n’en perd pas une miette. Il relève malicieusement les bourdes des journalistes, peu encore au fait de cette nouvelle frénésie :
« Un bon copain d’Alger m’envoie une coupure qui vaut son pesant de jus d’épinards, extraite de la Dépêche Quotidienne d’Alger : …/…« Dominant magnifiquement la situation, un Sidney, placide sous une lumière crue, luisait de sueur et d’excitation et sa trompette hurlait des complaintes bouleversantes… »
La palme du mois à une coupure de la Nouvelle République de Bordeaux et du Sud Ouest : « Les admirateurs et admiratrices de Sidney Bechet écoutent leur idole se jouant des difficultés de trompettiste… »
Vian conclut : Pour confondre une trompette et un soprano, il faut, même si l’on ne s’intéresse pas au jazz, y mettre de la bonne volonté. » [10]
Vandales à l’Olympia
Quand Bechet joue à Paris, sa salle de prédilection est sans conteste l’Olympia du boulevard des Capucines. Bruno Coquatrix reprend la salle début 1954, et Bechet va y donner le premier concert d’une longue série le 8 décembre de la même année. La fièvre commence à monter, et va atteindre son paroxysme trois mois plus tard, lors du concert du 8 mars 1955 organisé par Jazz Hot pour son vingtième anniversaire.
« Le devant de la salle se trouve envahi par une bande de gamins de 17 ans …/… méprisant les artistes et le reste du public, ces petits exaltés se dressent sur les fauteuils, font un chahut de tous les diables, dansent le be-bop dans les travées… »[11] Jean Michel Boris, le bras droit de Coquatrix, en est secoué. Il n’a encore rien vu… Bechet revient à l’Olympia en vedette du 2 au 21 juin, Charles Aznavour assurant la première partie.
Mais la tornade déferle à l’automne. Le 19 octobre 1955, pour fêter les 200.000 exemplaires vendus des Oignons, les disques Vogue bookent le music-hall pour un concert gratuit de Sidney Bechet. Les fans envahissent la salle, et procèdent à une mise à sac en règle… « Les fauteuils se promènent dans la salle comme des automates de velours » écrit Boris. Le ministère de l’intérieur du moment reste factuel : « Deux millions et 32 centimes de dégâts, plus sept blessés dont deux dans le personnel félin de l’illustre salle ».
Incroyable tumulte pour un débonnaire quinqua – quasi sexagénaire – dont le « jeu de scène » est particulièrement sobre… Mais voilà, la musique est formidable, et on a besoin de se défouler. Une libération que Gilbert « Monsieur 100.000 volts » Bécaud a initié un peu avant, en février de la même année. Pour la première fois, la génération des « J3 »[12] s’est lâchée, et Bécaud a cassé la baraque.
Sidney donne le thon
Heureusement, Bechet s’est déniché un vrai havre de paix pour fuir le vacarme de la ville, de ses fans… L’homme qui a bourlingué à travers le monde, qui a connu les quartiers chauds de la Nouvelle Orléans et de New-York, le tonton flingueur de Montmartre, va finir ses jours comme un bouliste retraité à …Grigny, petit coin perdu de l’Essonne, à 25 km de Paris. « Un coin de verdure apprécié des parisiens », dit la mairie. Moins de 3.000 habitants en 1950, ce petit village de Seine-et-Oise va l’accueillir et lui permettre de vivre ses dernières années, enfin marié, enfin célèbre, enfin père.
En regardant une vue satellite du modeste pavillon de banlieue au 10 de la rue Pierre Brossolette, on imagine mal aujourd’hui son ambiance jazzy des années cinquante, avec copains musiciens, stars du moment déboulant au volant de somptueuses décapotables américaines…Sous le saule pleureur de son jardin, Bechet organise des pique-niques – sans doute les premier barbecues sur le sol français.
Au café du coin, Sidney joue les papas-gâteaux et offre des tournées de bonbons aux mioches. Il fait le spectacle, les gens l’adorent. Dans les plans d’eau à proximité du village, Sidney taquine le goujon. « Je pêche le thon », dit-il avec sérieux, légère erreur sur la faune locale, explicable pour un musicien…
Puis il repart au volant de sa Samson customisée : une clarinette trône à la place du bouchon de radiateur. A ses côtés, sur le siège du passager, Yank. Son chien. Une vie pépère, oui, mais la vie, quoi…
Un solaire génial
Ca dure dix ans. Bechet meurt chez lui le 14 mai 1959. Cancer. Quelques jours plus tard, plusieurs milliers d’admirateurs se pressent dans et autour de l’église de Garches pour rendre un dernier hommage au roi de la carotte. C’est peut-être aussi la fin de cette période de l’après guerre « bon enfant ». Le monde à venir va changer de musique : six mois après la mort de Bechet, un autre style est présenté à la radio française. Une émission hebdo de 30 minutes fait ses débuts : c’est Salut les Copains. Les J3 de Saint- Germain –des- Prés cèdent le pas aux baby-boomers, aux copains. Après le jazz popu, voici l’époque du rock.
Finalement, Bechet est sans doute ce maillon unique dans l’histoire de la musique en France. Unique parce que l’« astre solaire »[13] est hors normes. « Bechet était pour moi l’incarnation même du jazz… Tout ce qu’il a joué dans sa vie était complètement original » inscrit Duke Ellington sur sa pierre tombale au cimetière de Garches. Il sait de quoi il parle : dans les années vingt, le Duke a recruté Bechet dans son orchestre, impressionné par sa couleur, sa puissance. Lorsqu’il s’en sépare – Bechet est trop incontrôlable - il sera obligé d’engager deux musiciens confirmés pour remplir son rôle : Johnny Hodges au sax-alto et Barney Bigard à la clarinette.[14]
Unique surtout par sa polyvalence. « Le ‘New-Orleans’ était son style de prédilection. Mais son universalité lui permettait de jouer sans être dépaysé avec des musiciens aussi différents que Bunk Johnson, Charlie Shavers, Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Woody Herman ou Martial Solal. Il a aussi composé des musiques de ballets ou de films, sans parler de ses tubes. »[15] Ni « new », ni moderne : jazz, un point c’est tout.
D’où l’admiration et le respect pour Bechet d’autres géants : Johnny Hodges, que Bechet a coaché à ses débuts, et à qui il a fait cadeau d’un soprano ; John Coltrane, qui a bien sûr étudié le son de Bechet sur son instrument favori[16], ou Roland Kirk, qui reprend Petite fleur, son coup de chapeau final au « beautiful master of the soprano saxophone ».[17]
Coda for Bechet
Enfin presque. Car plus de 60 ans après, il reste des héritiers qui continuent de faire vivre la musique de Sidney Bechet. Héritier, au sens propre, il y a son fils Daniel. Batteur, (il a été élève de Kenny Clarke) il rend régulièrement hommage au répertoire de son père lors de ses concerts. Autre successeur : Olivier Franc, le fils de l’un de musiciens de Pierre Braslavsky, leader du groupe qui a accompagné Bechet lors du festival de 49. Olivier Franc joue aussi bien en Europe qu’à la Nouvelle Orléans, en meilleur représentant de la musique de son maître. Musique qu’il interprète sur l’un des sopranos ayant appartenus à Bechet.
Et puis, là-bas, de l’autre côté, il y a Allen Stewart Konigsberg. Depuis des décennies, il joue, chaque lundi, de la clarinette dans un ensemble de jazz traditionnel à Manhattan. Woody Allen, c’est bien de lui qu’il s’agit, a toujours expliqué que sa passion pour la clarinette lui venait de Sidney Bechet, dès les années cinquante : « Un de mes amis avait acheté un magnétophone. Il a enregistré un programme de radio qui diffusait un concert de Sidney Bechet. Quand j’ai écouté la bande, je suis tombé sous le charme. Je n’avais jamais entendu quelqu’un jouer comme ça. Je suis allé immédiatement m’acheter un saxophone soprano et j’ai commencé à étudier son maniement en autodidacte. Ce n’est qu’ensuite que je suis passé à la clarinette. »[18]
Le cinéaste a par ailleurs largement utilisé le répertoire de Bechet dans son film de 2011, Midnight in Paris… Après son mariage avec Soon Yi Previn en 1997, il adopte l’année suivante une petite fille d’un an. Et il la prénomme : Bechet Allen.
Michel Brillié
© Frémeaux & Associés 2024
CD1
1 American Rhythm (Sidney Bechet) 01’31
2 Muskrat Ramble (Kid Ory) 05’33
3 I’ve Found a New Baby (Williams) 08’03
4 I Got Rhythm (Gershwin) 07’20
5 Saint-Louis Blues (W.C. Handy) 06’47
6 Casey Jones (Traditional) 03’41
7 Petite fleur (Sidney Bechet) 03’19
8 Dippermouth Blues (King Oliver) 03:56
9 Frankie and Johnny (Traditional) 05’32
10 Royal Garden Blues (Spencer Williams / Clarence Williams) 05’34
11 Royal Garden Blues (Bis) (Spencer Williams / Clarence Williams) 04’15
12 As-tu le cafard ? (Sidney Bechet) 05’26
13 Struttin’ With Some Barbecue (Louis Armstrong) 08’02
14 September Song (Anderson Weill) 03’00
15 Les Oignons (Sidney Bechet) 04’07
Recording Date
March 12,1952
Recording Place
Salle Pleyel, Paris, France
Produced by:
Disques Vogue
Personnel
Christian Azzi piano
Sidney Bechet soprano sax
Roland Bianchini bass
François «Moustache» Galépidès drums
Guy Longnon trumpet
Claude Luter clarinet
Claude Rabiani trumpet
Bernard Zacharias trombone
CD2
1 Society Blues (Sidney Bechet) 09’05
2 Summertime (D. Heyward / G. Gershwin) 03’38
3 Marchand de poissons (Sidney Bechet) 03’06
4 Sweet Georgia Brown (Kenneth Casey / Ben Bernie - Maceo Pinkard) 09’16
5 Dans Les rues d’Antibes (Sidney Bechet) 05’22
6 American Rhythm (Sidney Bechet) 0’35
7 Buddy Bolden Stomp (Sidney Bechet) 03’42
8 Montmartre Boogie Woogie (Sidney Bechet) 05’35
9 As-tu le cafard ? (Sidney Bechet) 06’11
10 Riverboat Shuffle (Hoagy Carmichael/Irving Mills/Dick Voynow) 05’08
11 Halle Hallelujah (Sidney Bechet) 07’03
12 When The Saints Go Marchin’ In (Trad arrgt. Sidney Bechet) 08’10
13 Temperamental Mood (Sidney Bechet) 03’10
14 Sobbin’ and Cryin’ (Sidney Bechet) 05’07
Recording Dates
March 12,1952 tracks 1 to 5 • December 8,1954 tracks 6 to 14
Recording Places
Salle Pleyel, Paris, France tracks 1 to 5 • Olympia Theater, Paris, France tracks 6 to 14
Produced by:
Disques Vogue
Personnel
tracks 1 to 5 : same as CD1
tracks 6 to 14:
Sidney Bechet soprano sax
Roland Bianchini bass
Marcel Blanche drums
Pierre Dervaux trumpet
Claude Luter clarinet
Claude Philippe banjo
Yannick Singery piano
Gil Thibaut trumpet
Benny Vasseur trombone
CD3
1 Muskrat Ramble (Kid Ory) 04’05
2 On The Sunny Side Of The Street (Dorothy Fields / Jimmy McHugh) 03’38
3 Saint Louis Blues (W.C. Handy) 07’27
4 I’ve Found A New Baby (Jack Palmer / Spencer Williams) 06’34
5 Petite Fleur (Sidney Bechet) 03’27
6 Moi j’en ai marre (M. Yvain / G. Arnauld Albert Willemetz) 03’24
7 Down By the Old Mill Stream (Tell Taylor) 03’04
8 Coquin de boubou (Sidney Bechet) 02’44
9 Royal Garden Blues (Spencer Williams / Clarence Williams) 07’03
10 Petite fleur (Sidney Bechet) 03’32
11 Les oignons (Sidney Bechet) 04’04
12 Back Home Again in Indiana (Ballard McDonald / James Hanley) 06’08
13 Saint Louis Blues (W.C. Handy) 07’24
14 All of me (Gerald Marks / Seymour Simons) 03’17
15 When the Saints Go Marchin’ in (Trad arrgt. Sidney Bechet) 09’00
Recording Dates
December 8,1954 tracks 1 to 5
May 27, 1957 tracks 6 & 7
July 17, 1957 track 8
June 29, 1958 tracks 9 to 11
July 29, 1958 and August 3, 1958 tracks 12 to 15
Recording Places
Olympia Theater, Paris, France tracks 1 to 8
Cyrano Theater, Versailles, France tracks 9 to 11
Exposition Universelle, Bruxels, Belgium tracks 12 to 15
Produced by:
Disques Vogue tracks 1 to 5
Lucien Morisse, Bruno Coquatrix, Frank Ténot & Daniel Filipacchi tracks 6 to 11
Disques Vogue tracks 12 to 15
Personnel
- tracks 1 to 5: same as CD2
- tracks 6 & 7
Sidney Bechet soprano sax
Marcel Blanche drums
Georges “Zozo” d’Halluin bass
Jean-Louis Durand trombone
Guy Longnon trumpet
André Reweliotty clarinet
Yannick Singery piano
- tracks 9 to 11
same as above, except:
Roland Hug trumpet
Arnaud Poumi drums
- tracks 12 to 15
Sidney Bechet soprano sax
Buck Clayton trumpet
Vic Dickenson trombone
Kansas Fields drums
Arvell Shaw bass
George Wien piano
Dedicated to Claude Boquet, Bill Dubois, Jean Claude, Philippe Moch,
Raymond Treillet and the gang
[1] Francis Brugna, Nice Matin, 17 aout 1951
[2] Sidney Bechet, Treat it Gentle, Da Capo Press, 2022, p 150
[3] Youtube: All Star jam session- May 15, 1949 Salle Pleyel, Paris [Charlie Parker, Miles Davis, a.o.]
[4] John Chilton, Sidney Bechet, the Wizard of Jazz, London, McMillan Press, 1987, p 216
[5] André Hodeir, in Jazz Hot, juin 1949
[6] Raymond Oliver, le premier chef français à avoir sa propre émission culinaire à la télévision (Arts et Magie de la Cuisine), en avait naturellement fait son générique dès fin 1954.
[7] Sidney Bechet, Treat it Gentle, Da Capo Press, 2022, p 45
[8] Christian Béthune, Sidney Bechet, Editions Parenthèses, 1997, p 129
[9] Frank Ténot, Dictionnaire du jazz, Robert Laffont, 1988
[10] Boris Vian, Chroniques de Jazz, Editions 10/18, 1975 p 458
[11] Jean Michel Boris, Jean François Brieu, Éric Didi, Olympia Bruno Coquatrix, Editions Hors Collection, 2003, p21
[12] Les J3 sont en 1955 l’équivalent des teenagers des sixties, ou des ados d’aujourd’hui. J3 était la catégorie de cartes d’alimentation les concernant…
[13] Christian Béthune, Sidney Bechet, Editions Parenthèses, 1997, p 161
[14] Con Chapman, Rabbit’s Blues, Oxford University Press, 2019, p 29
[15] Philippe Hervouët, in Sidney Bechet, le roi de la carotte, par Philippe Corbou, Ouest France, 22 octobre 2019
[16] Coltrane lui dédie « Blues for Bechet », morceau sur son album Coltrane Plays the Blues, Atlantic Records, 1962
[17] Christian Béthune, Sidney Bechet, Editions Parenthèses, 1997, p 130
[18] Serge Loupien, Le cinéaste aux quatre oscars souffle à l’Olympia, Libération, 4 mars 1996
[19] Francis Brugna, Nice Matin, August 17 ,1951
[20] Sidney Bechet, Treat it Gentle, Da Capo Press, 2022, p 150
[21] Youtube: All Star jam session- May 15, 1949 Salle Pleyel, Paris [Charlie Parker, Miles Davis, a.o.]
[22] John Chilton, Sidney Bechet, the Wizard of Jazz, London, McMillan Press, 1987, p 216
[23] André Hodeir, in Jazz Hot, juin 1949
[24] Raymond Oliver, the first French chef to have his own culinary show on television in 1954 (Arts et Magie de la Cuisine), had used it as the theme song for the program.
[25] Sidney Bechet, Treat it Gentle, Da Capo Press, 2022, p 45
[26] Christian Béthune, Sidney Bechet, Editions Parenthèses, 1997, p 129
[27] Frank Ténot, Dictionnaire du jazz, Robert Laffont, 1988
[28] Boris Vian, Chroniques de Jazz, Editions 10/18, 1975 p 458
[29] Jean-Michel Boris, Jean-François Brieu, Eric Didi, Olympia Bruno Coquatrix, Editions Hors Collection, 2003, p21
[30] Christian Béthune, Sidney Bechet, Editions Parenthèses, 1997, p 161
[31] Con Chapman, Rabbit’s Blues, Oxford University Press, 2019, p 29
[32] Philippe Hervouët, in Sidney Bechet, le roi de la carotte, par Philippe Corbou, Ouest France, 22 Octobre 2019
[33] Coltrane dedicates “Blues for Bechet” to him, a number on his album Coltrane Plays the Blues, Atlantic Records, 1962
[34] Christian Béthune, Sidney Bechet, Editions Parenthèses, 1997 , p 130
[35] Serge Loupien, The filmmaker with four Oscas blows at the Olympia, Libération, March 4, 1996