Henri Crolla - Jazz, chanson, musiques de film et poésie
Henri Crolla - Jazz, chanson, musiques de film et poésie
Ref.: FA5875

1946-1960

Henri Crolla

Ref.: FA5875

Direction Artistique : Stéphane Carini

Label :  FREMEAUX & ASSOCIES

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Présentation

Guitariste virtuose et figure emblématique du jazz français, Henri Crolla (1920-1960) a laissé une empreinte indélébile sur la musique de son époque. Fils d’immigrés napolitains, il s’impose comme l’un des guitaristes les plus talentueux de sa génération. Malheureusement, sa carrière fulgurante a été interrompue par sa mort prématurée en 1960. L’anthologie de Stéphane Carini rend justice à l’oeuvre d’un artiste injustement oublié et nous invite à redécouvrir la richesse inouïe et la diversité de son répertoire : du jazz à la chanson, de la poésie aux musiques de film.
Patrick FRÉMEAUX 



« APRÈS LUI, IL N’Y A PLUS DE GUITARISTES »
NAGUINE REINHARDT (ÉPOUSE DE DJANGO REINHARDT)

CD1 : HENRI CROLLA ET LÉO CHAULIAC : MINOR BLUES • BYE BYE BLUES • THREE LITTLE BEANS. HENRI CROLLA ET YVES MONTAND : AFTER YOU’VE GONE • A PARIS • CARTES POSTALES • DIS-MOI JO • LES CIREURS DE SOULIERS DE BROADWAY • LE MUSICIEN • C’EST PAS UNE CHANSON D’AMOUR • JOLIE COMME UNE ROSE • LES ENFANTS QUI S’AIMENT (FABIEN LORIS) • LES ENFANTS QUI S’AIMENT • FLAMENCO DE PARIS • LA COMPLAINTE DE MANDRIN • MON POT’ LE GITAN • LE PETIT MÔME. HENRI CROLLA ET D’AUTRES CHANTEURS : AVEC ÉDITH PIAF : CRI DU COEUR • AVEC MOULOUDJI : AURORE (SAINT-PAUL DE VENCE) • AVEC NICOLE LOUVIER : J’IMAGINE QUE SUR TA NAISSANCE. HENRI CROLLA ET STÉPHANE GRAPPELLI : DJANGOLOGY • MANOIR DE MES RÊVES • BELLEVILLE • ALEMBERT’S.

CD 2 : HENRI CROLLA ET D’AUTRES JAZZMEN • FEAT. LALOS BING (AKA MARTIAL SOLAL) : JE CHERCHE APRÈS TITINE • FEAT. ROGER GUÉRIN, HUBERT ROSTAING, MARTIAL SOLAL : WHAT’S NEW • NIGHT AND DAY • FEAT. MAURICE MEUNIER : BODY AND SOUL • FEAT. MAURICE MEUNIER, MAURICE VANDER : OUT OF NOWHERE • SEPTEMBER SONG • SWEET GEORGIA BROWN • YARDBIRD SUITE • SOLITUDE • FEAT. HUBERT ROSTAING, MAURICE VANDER : NUAGES (FEAT. GÉO DALY) • MANOIR DE MES RÊVES. HENRI CROLLA & JACQUES PRÉVERT : CHANSON DANS LE SANG • ÉTRANGES ÉTRANGERS • CABLE CONFIDENTIEL • L’ÉCOLE DES BEAUX-ARTS • BARBARA • CET AMOUR. HENRI CROLLA : PARIS, JE T’AIME D’AMOUR • POINCIANA. HENRI CROLLA - MUSIQUES POUR LE CINÉMA : HISTOIRE D’UN POISSON ROUGE (EXTRAIT) • BLUES • LA CHAPELLE • IMPROVISATION I • JARDIN DANS LA NUIT.

Livret

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Henri Crolla

Jazz, chanson,
musiques de film et poesie

1946-1960

Par Stéphane CARINI

 

Enrico (Henri) Crolla naît à Naples le 26 février 1920 dans un hôpital religieux, ce qui dit assez bien la condition de sa famille, déjà nombreuse. L’Italie vit alors l’une des périodes les plus troublées de son histoire au sortir d’une guerre qui inscrit partout le sentiment de promesses non tenues. Nationalisme exacerbé d’un côté (l’expédition sur Fiume du presti­gieux poète Gabriele d’Annunzio), « bien­nio rosso » (1919-1920) de l’autre (occupations d’usines, tentatives d’autogestion), les conflits idéologiques et sociaux s’exacerbent sans trouver d’autre canalisation que l’agrégation fulgurante de frustrations et de peurs dans le mouvement fasciste et sa résistible mais victorieuse « marche sur Rome » en octobre 1922.

 

Pour les musiciens ambulants de la famille Crolla, il n’est d’autre lucide issue que l’émigration en France. Le régime fasciste ne goûte guère en effet ces « margi­naux socialement inutiles » qui détonnent face à « l’homme mussolinien » fondu dans le parti unique. Crolla et ses proches s’établissent donc, si l’on peut dire, porte de Choisy, dans « la zone », cette portion de territoire bordant les boulevards circulaires de la capitale. Henri est très vite aussi peu assidu à l’école qu’il est constant dans la manipulation des mandolines et banjos. Manifestant des dons certains, il intègre vite l’orchestre familial, le « Jazz Crolla ». Mais s’il est vrai que le destin est ce qui éclaire les choix non encore délibérés, Crolla qui jusqu’alors s’est contenté d’éblouir de sa facétie et de son adresse instrumentale les terrasses de Montparnasse et de Saint-Germain-des-Prés, suscitant l’admiration de la « bande à Prévert », fait dans ce fatras d’abris une rencontre déterminante (nous sommes en 1933-34) : celle de Django Reinhardt. Ce n’est pas encore la révélation du jazz - Django n’enregistrera ses premières faces jazz qu’en fin d’année 1934 mais ce qui est en jeu est sûrement plus profond : la magie du son, l’art de la note, la corde comme siège de l’émotion, le sens profond de la virtuosité loin de stériles et très impressionnantes démonstrations… Dès lors, le parcours du guitariste adolescent ne sera pas très différent de celui de son mentor (accompagnement d’accordéonistes, rencontres en 1939 avec Coleman Hawkins et Benny Carter - ils ont enregistré avec Django dès 1937). Sauf l’épisode de la guerre - qui oblige Crolla, non encore naturalisé français, à une prudente discrétion - sa trajectoire sur la planète swing semble toute tracée.

 

Avant d’explorer cette trajectoire, soulignons qu’à la différence de Django, Crolla ne consi­dèrera jamais le continent jazz ni aucun autre au demeurant comme son île d’élection ; il sera le musicien qui invente son propre archipel, se confronte à chacune de ses parcelles en même temps qu’il les éclaire. A la manière d’un Jacques Prévert qui ne cessera de multiplier les formats : poésies, chansons, théâtre, images filmées (qu’il en écrive le scénario ou le commentaire), géniaux collages… C’est un itinéraire très semblable qui dessine le cheminement de Crolla dans son époque et qui détermine donc l’articulation de la présente anthologie. Mais pour l’heure, revenons au jazzman en pleine éclosion.

 

Henri Crolla en jazz

 

En 1946, Crolla intègre une formation à géométrie variable mais dont le noyau dur reprend la formule développée par Nat « King » Cole, le trio sans bat­terie du pianiste Léo Chauliac. Les faces que nous présentons ici (rééditées pour la première fois) font entendre un guitariste pour lequel les codes reinhardtiens n’ont déjà plus de secret (« Minor Blues ») mais dont le jeu est plus détendu, plus intimiste. L’opinion du public est sans appel : Crolla est désormais le guitariste en activité le plus apprécié après l’intouchable Django, il faudra pourtant attendre… une quasi-décennie (huit années) pour réécouter sur disque le prometteur héritier à la tête d’une formation jazz !

 

Car entre-temps Crolla est devenu l’accompagnateur attitré d’Yves Montand. Les contraintes du métier (récitals, tournées, répétitions quasi-quotidiennes) reportent à la fin 1954 les retrouvailles de Crolla avec le jazz, lorsque le succès et donc les prolongations de la pièce de théâtre « Les Sorcières de Salem » qu’interprètent Montand et Simone Signoret laissent notre guitariste désœuvré. En décembre, Crolla enregistre avec Stéphane Grappelli (Crolla a convié le violoniste quelques mois plus tôt à rejoindre la formation qu’il dirige au Club Saint-Germain). Toutes d’ébouriffante complicité (« Djangology ») et de sensibilités croisées, ces faces éclairent l’époustouflant rythmicien et accompagnateur que Crolla est devenu tout en exposant les spécificités et certaines limites de son art soliste à cette date : un improvisateur parfois bridé par la pression de l’enregistrement studio, plus soucieux aussi des couleurs orchestrales, de la justesse et de la diversité des motifs que d’improvisations échevelées (« Belleville » par exemple).

 

Dès lors, les séances se multiplient, clairement articulées autour de deux compagnonnages distincts : tout d’abord celles qui associent Crolla à un jeune pianiste affirmant déjà une maîtrise instrumentale superlative et un discours extrêmement inventif : Martial Solal. A côté de vignettes facétieuses (« Je Cherche Après Titine »), de vieilles rengaines désenfouies, de standards inoxydables, la coopération la plus convaincante est peut-être celle qui met en avant, en 1956, le talent d’arrangeur du pianiste pour un sextet comprenant en outre le trompettiste Roger Guérin et le clarinettiste Hubert Rostaing. « What’s New » et « Night and Day » emportent l’adhésion et les friands d’habileté digitale comprendront à l’écoute de la fin du deuxième thème pourquoi Crolla fut très tôt surnommé « Mille Pattes » ! Second compagnonnage, la rencontre de Crolla et de Maurice Meunier - l’un des plus grands clarinettistes que le jazz ait donnés nonobstant sa modestie et son long retrait de la scène musicale entre la fin des années 50 et le milieu des années 80. Sans conteste, les enregistrements les plus marquants sont ceux pour lesquels Crolla sollicite par ailleurs le pianiste Maurice Vander (juin 1955), virevoltant d’audace et de modernité. Lumineuse et constante télépathie, fluide, subtilement tamisée sur un lit rythmique discret mais d’un swing imperturbable (« Out of Nowhere », « Solitude »), le meilleur du jazz français est là. À la guitare amplifiée, le jeu détendu et incomparablement chantant de Crolla fait preuve d’une élégance, d’une maturité qui le distinguent encore un peu plus de Django sans l’aligner, bien au contraire, sur la très influente école américaine (Tal Farlow, Jimmy Raney). Au passage, Crolla stupéfie son monde sur « Yardbird », anticipant sur le jeu en octaves que popularisera plus tard un certain…Wes Montgomery.

 

L’ultime séance jazz de Crolla (1958) sera un hommage à Django, cinq ans après sa mort, aux côtés de l’élite du jazz français. C’est l’occasion pour lui d’exprimer une constante sérénité, n’étant cette fois nullement bridé ou intimidé par l’enjeu (comme il avait pu l’être en 1954 avec Grappelli). Les versions qu’il donne de « Nuages » et de « Manoir de Mes Rêves » le montrent au zénith d’un art narratif totalement épanoui - les ressources techniques servent une déambulation dans les thèmes qui n’appartient qu’à lui - sur des compositions que le dernier Django avait lui-même génialement renouvelées.

 

Henri Crolla en chansons

 

Même si les deux univers ne sont pas étanches, la bifurcation de Crolla du jazz vers le monde de la chanson en 1948 n’en est pas moins abrupte. Un homme l’a grandement facilitée, il s’agit de Jacques Prévert qui demande à Crolla de composer la musique sur deux textes qu’il verrait bien Yves Montand interpréter : il s’agit de « Le Cireur de Souliers de Broadway » et de la sensualissime - et conséquemment censurée à l’époque - « Sanguine ». C’est encore Prévert qui présente Montand à Crolla une fois les textes mis en chansons, et se noue alors beaucoup plus qu’une étroite relation professionnelle : une amitié indéfectible dont Montand reconnaîtra pudiquement la portée en confiant à Hervé Hamon et Patrick Rotman : « deux hommes ont compté dans ma vie : mon père et Crolla » (« Tu vois, Je n’ai pas oublié », 1990, Éd. Seuil/Fayard).

Si Montand n’est pas encore l’acteur confirmé qu’il deviendra plus tard (le film de Marcel Carné « Les Portes de la Nuit » est même un douloureux échec), il est déjà une extraordinaire vedette de la chanson et ne tarde par ailleurs pas, même s’il ne mêlera jamais les deux, à devenir « une conscience de gauche », un « compagnon de route » de l’alors très influent Parti Communiste Français dans le milieu culturel. Pour l’heure et après le rigoureux élagage auquel a procédé Edith Piaf tout au long de leur relation amoureuse, Montand s’entoure de certains des jazzmen français les plus éminents, aptes à « fabriquer l’écrin pour présenter le joyau » comme l’a résumé l’un d’entre eux, le pianiste (et déjà jazzman expérimenté) Bob Castella. Outre Crolla et Castella donc, le clarinettiste Hubert Rostaing, le contrebassiste Emmanuel Soudieux, le batteur Roger Paraboschi, et le remarquable accordéoniste Freddy Balta.

 

Le projet scénique d’Yves Montand est proprement révolutionnaire : rompant avec la tradition des « première » et « deuxième » parties, il impose le « one-man-show » d’un bout à l’autre, se présente - s’expose seul en scène (les musiciens n’étant visibles qu’au travers d’un rideau de tulle) qu’il habite avec une gestuelle, des acrobaties et des numéros de danse hyper-rôdés mais complètement adaptés à chaque chanson. Le répertoire est à l’aune de cette exigence, alimenté par la créativité des plus grands – ou qui le deviendront : les Coquatrix, Ferré, Lemarque, Bécaud, Philippe-Gérard, etc. Résultat ? Des récitals qui se déroulent à guichets fermés dans une ambiance fusionnelle au Théâtre de l’Étoile durant des mois et des files d’admirateurs à perte de vue au dehors !

 

Henri Crolla, accompagnateur donc de ce génie du spectacle. Lourd contresens… En réalité, Crolla va faire exploser la fonction et se comporter comme l’incontournable acteur d’un théâtre d’émotions, mieux même comme le metteur en scène musical sans lequel de nombreux titres n’auraient nullement la dimension évocatrice qui les caractérise. Ajoutons par ailleurs que Crolla composera le dixième du répertoire de Montand. Bien évidemment, a minima, Crolla « accompagne » et avec quel à-propos ! Maîtrise de tous les tempi (de la valse de « A Paris » aux syncopes latines délicieusement chaloupées sur « Cartes Postales » jusqu’au feu d’artifices de « Le Petit Môme » en 1956), légèreté onctueuse de la pulsation, à-propos et diversité des motifs rythmiques. Il s’affirme tout autant comme un fabuleux coloriste, dosant ses interventions au plus près de la tension narrative (sa guitare suit pas à pas « Le Musicien » qui rentre seul, chez lui, la nuit). A-t-il délaissé pour autant le jazz ? Certainement pas ! Son art du vibrato et du glissando, ces notes altérées (« blue note ») qui sont ses signatures, font merveille sans compter les splendides improvisations incrustées dans diverses interprétations, égrenées parfois en parallèle de la partie vocale (« C’est Pas Une Chanson d’Amour », « Jolie Comme Une Rose », etc.). Mais ce n’est pas tout : transcendant les mille talents qu’on vient d’évoquer, Crolla va conférer à une multitude de pièces une force dramaturgique qui jouera, de manière extrêmement moderne alors, sur les intensités sonores ainsi que sur la structure des interprétations (ajout d’une introduction, conclusion parachevant la partie du chanteur) : « Les Enfants Qui S’aiment » - que l’on rapproche de la version originelle interprétée par Fabien Loris dans « Les Portes de La Nuit » -, « Flamenco de Paris », « Mon Pot’ le Gitan », « La Complainte de Mandrin » en sont de mémorables exemples.

 

De cet art de la chanson, des dimensions inédites, profondément humaines, qui lui sont ainsi conférées, bien d’autres coopérations attesteront : avec Mouloudji, (les deux hommes se connaissent depuis leur adolescence) ou la comédienne-chanteuse Germaine Montero, avec Nicole Louvier, « page en chansons » selon Maurice Chevalier. Mais c’est celle qui, au seuil de la mort en 1960, unit deux intimes, Crolla et Édith Piaf, dans la sublime interprétation d’un poème que Prévert à dédié à son ami : « Cri du Cœur », qui viendra, de la plus vibrante des manières, réaffirmer la singularité poétique du guitariste.

 

Henri Crolla en images

 

Composer pour le 7ème art recoupe un grand nombre des aspirations de Crolla : rompre avec « les contraintes du métier », enchanter par la musique tout en restant dans l’ombre, utiliser de nouvelles ressources sonores. Qu’est-ce qui fait que Crolla est en France le tout premier jazzman à franchir les portes de la « forteresse » musique de films avant les Solal, Bolling, Legrand, Goraguer ? Techniquement rien, c’est même l’inverse, notre guitariste ne possédant nullement le bagage orchestral nécessaire, contrairement aux autres musiciens cités. Qu’à cela ne tienne ! Agissant souvent en bande, Crolla s’associe à des compositeurs-arrangeurs (et avant tout amis) qui le complètent idéalement : André Hodeir et Hubert Rostaing. En commençant par le court-métrage. Cela tombe bien, comme le souligne l’historien du cinéma François Thomas, « vers 1955-1958, les meilleurs films français sont souvent des court-métrages ». Seul ou associé à Hodeir, Crolla oeuvre pour des réalisateurs prometteurs : Georges Franju, Alain Jessua, Pierre Prévert ou Edmond Séchan, doublement oscarisé pour ses « courts » et qui sera chef-opérateur pour de Broca, Verneuil, Oury. Au visionnage et à l’écoute, on comprend qu’un expert comme Alain Lacombe ait relevé que « le nom d’Henri Crolla restera associé au perfectionnisme de l’illustration du court-métrage » et l’on ne sait trop, de fait, que louer en priorité : l’innovation sonore (le recours à la musique contemporaine pour « A Propos d’Une Rivière » de Franju), les « personnages musicaux » créés pour narrer l’ « Histoire d’Un Poisson Rouge » de Séchan (un enfant qui souhaite se procurer un poisson rouge, un chat qui menace et le poisson et un canari en cage), l’intelligence de la partition - l’une des plus belles partitions jazz composées dans les années 50 - scandant « Paris Mange Son Pain » (P. Prévert).

 

Mais d’évidence, la « cible » principale reste le long-métrage. Dès 1955, Crolla frappe fort puisque trois « longs » dont il a composé la bande-son sortent sur les écrans : « Les Mauvaises Rencontres » d’Alexandre Astruc (Crolla signe le volet jazz d’une musique composée par ailleurs par Maurice Le Roux), « Gas-Oil » de Gilles Grangier (Gabin, Jeanne Moreau, Roger Hanin sont à l’affiche) et « Cette Sacrée Gamine » de Michel Boisrond avec « la star de demain » (dixit Crolla) : Brigitte Bardot. Suivront au gré des commandes des musiques pour des films dramatiques (« Péché de Jeunesse » de Louis Duchesne, « Ce Corps Tant Désiré » de Luis Saslawski, etc.) ou des comédies populaires. Sans omettre le film à sketches (« La Française et l’Amour », 1960), consécration pour Crolla dont le nom se trouve accolé à celui des compositeurs de musiques de films les plus prestigieux : Kosma, Glanzberg, Misraki. Le format long amène Crolla à explorer une grande diversité de supports : jazz, chansons (originales ou, disons-le, habilement recyclées), musique contemporaine à nouveau (générique de « Péché de Jeunesse »), voix (la sienne propre, celle de Christiane Legrand pour « La Parisienne » de Boisrond). Quand on l’examine attentivement, le rapport de la musique à l’image se traduit par un dosage des couleurs et des sonorités aussi subtil que pertinent : pas de surcharge à l’américaine et une aptitude fascinante à jouer sur l’enchevêtrement des sons musicaux et des sons « bruts » : grincements et crissements des roues et moteurs de camions dans « Gas-Oil », bruits de chantier (la construction du paquebot France) dans « Le Bonheur Est Pour Demain » (Henri Fabiani, 1962).

 

L’évocation de ce dernier film conduit à souligner enfin combien prometteuse était la carrière d’acteur entamée par Crolla. Elle débute aux côtés de Montand dans un film à sketches de Christian-Jaque (« Souvenirs Perdus », 1950 – sketch : « Le Violon ») et explose littéralement - en dépit du peu de succès des deux opus - dans le burlesque et muet « Enrico Cuisinier » (1955) signé Pierre Prévert et Paul Grimault puis dans le film de Fabiani précité (musique : Crolla - Georges Delerue) où il est José, ouvrier-caréneur sur le chantier du France venant en aide à un jeune homme en manque de repères interprété par celui qui fut ni plus ni moins que son « fils adoptif » dans la vraie vie : Jacques Higelin.

 

Le « son Crolla », Crolla en poésie

 

Au fil des ans, au-delà des genres et des styles, on reconnaît le « son Crolla » et la pochette des disques de « Henri Crolla, sa guitare et son ensemble » clignote, complice, au détour des images, par exemple celles de « Toi le Venin », film de Robert Hossein. Les trois albums que Crolla grave sous son nom en 1957-1958 (« Le Long des Rues », « Bonsoir Chérie », « C’est Pour Toi Que Je Joue ») reflètent son paysage intime : odes à Paris, chansons populaires, standards aux arrangements astucieusement sophistiqués, recréations de thèmes écrits pour le cinéma (que, sauf exception, nous avons retenues ici pour illustrer le talent du guitariste au service du cinéma et qui traduisent par ailleurs son incomparable sensibilité mélodique). La géométrie de ces enregistrements, qui mobilisent un luxe de moyens (cordes, grands orchestres, etc.) dont les guitaristes américains les plus renommés (Wes Montgomery, Kenny Burrell) ne disposeront que bien plus tard, est délicieusement mouvante quitte à se réduire à la pure guitare solo - il faudra attendre Joe Pass pour oser à nouveau la formule - et rencontre à chaque fois le succès public autant que critique. Soulignons combien ce que l’on a pu nommer « un art de l’exquis » (Michel-Claude Jalard) est indissociable d’un ancrage dans son temps, profondément politique. C’est ce dont attestent deux séries d’enregistrements (1954, 1960) gravés avec Jacques Prévert, ce-dernier au zénith d’un pres­tige scandé par « Paroles » et ses coo­pérations avec des artistes plasticiens et photo­graphes tels Picasso, André Verdet, Izis. L’au­dace est énorme : voix/guitare sur des pièces qui sont parfois d’une brièveté sidérante (moins d’une minute !). La « poé­sie » vole en éclats ou plutôt élit ses nouveaux territoires, hébergeant « D’Étran­ges Étran­gers » ou jetant ses alcools purs sur les plaies et lézardes mal dissimulées de la société qui s’installe. Mais alors, dira-t-on, que vient faire Crolla là-dedans ? Une fois encore, il accompagne certes mais surtout il combine son propre univers poétique à celui de son aîné (ainsi des harmoniques et du sottovoce glissés sous les pas de « Barbara » - version à rapprocher de celle donnée par Montand - cf. Intégrale Frémeaux, vol. 3, 1953/1954) ; et d’inventer de sublimes mélodies, de splendides « compositions spontanées » qui surplombent, encadrent, débordent ou mettent en scène des textes d’une force lyrique ou dramatique, d’une violence et d’une lucidité sociales (« Il y a de grandes flaques de sang sur le monde, où s’en va-t-il tout ce sang répandu ? ») indémodées.

 

1946-1960, parcours fulgurant au terme duquel Crolla décède à l’âge de 40 ans, en demandant à ses amis de faire « la fête à Crolla ». L’hommage outrepasse les frontières nationales… Le souvenir est devenu aujourd’hui confidentiel… Pourquoi ? Que détenait de si particulier Henri Crolla qui mériterait d’être redécouvert aujourd’hui ? Peut-être un très perceptible mais très fugace secret que nous laissons l’auditeur découvrir et qui fit dire à Naguine, la femme de Django Reinhardt, à la mort de Crolla : « Après lui, il n’y a plus de guitaristes ».

Stéphane Carini

© Frémeaux & Associés 2025

CD 1

Henri Crolla et Léo Chauliac

Les faces suivantes ont été enregistrées, selon les sources disponibles et notamment une interview de Léo Chauliac par Boris Vian pour Jazz Hot, en 1946-1947.

Jam session n° 4 : Léo Chauliac (p) ; Henri Crolla (g) ; Roger Grasset (cb) ; Arthur Motta (dr) ; Alex Renard (tp) ; Lucien Philip (as) ; Harry Perret (ts).   
1 Minor Blues (D. Reinhardt)  (78 t SW 255 A SWK 13)          2’57

Léo Chauliac et ses rythmes : Léo Chauliac (p) ; Henri Crolla (g) ; Emmanuel Soudieux (cb)     
2 Bye Bye Blues (S. Hamm-Bennett-Lown-Gray)         (78 t Pac JF 5005 ST 1548.2)    2’36

Mêmes musiciens que 2. + Pierre Fouad (dr)    
3 Three Little Beans (Léo Chauliac)    (78 t Pac JF 5003 ST 1544.2)    2’58

Ces 3 sources proviennent de la Collection des Archives sonores de la Médiathèque musicale de Paris.

Merci à Camille Ceysson et Michèle Verron.

 

Henri Crolla et Yves Montand (sauf 4)

Outre Crolla, les accompagnateurs d’Yves Montand (qui n’interviennent pas nécessairement sur tous les titres) sont les suivants :

Robert « Bob » Castella (p, dir.) ; Hubert Rostaing (cl) ; Freddy balta (acc) ; Emmanuel Soudieux (cb) ; Roger Paraboschi (dr).

4 After You’ve Gone (T. Layton-H. Creamer)   (Odéon OSX 101/mx. XAR 120)          4’41
Récital au Théâtre de l’Étoile entre 8 et 25/10/1953.

5 A Paris (Fr. Lemarque).         (Odéon 281963) Ki 10367-I      3’13
17/11/1948     

6 Cartes Postales (G. Bécaud-R. Vernadet- P.Delanoé) (Odéon 282710) Ki 12126-22   2’53
17/12/1952

7 Dis-Moi Jo (H. Crolla-J. Cosmos)     (Odéon 282308) Ki 11204-2P   3’18
12/03/1951

8 Les Cireurs de Souliers de Broadway (H. Crolla-J. Prévert) (Odéon OSX 102/mx. XAR 122)          3’21
13/07/1948

9 Le Musicien (M. Philippe-Gérard-J. Plante)  (Odéon 282714) Ki 12125-22   3’12
17/12/1952

10 C’Est Pas Une Chanson D’Amour (H. Crolla-R. Rouzaud) (Odéon 282733) Ki 12118-22   3’09
Début 1953

11 Jolie Comme Une Rose (G. Ulmer-A. Salvet)         (Odéon 281967) CPT 6839-1    3’14
07/05/1948     

Fabien Loris – Accompagnement d’accordéon & guitare. Bande originale du film/Film soundtrack
« Les Portes de la Nuit ».                      1’31
Ca Sept. 1946

12 Les Enfants Qui S’Aiment (J. Kosma-J. Prévert)   

Yves Montand – mêmes accompagnateurs que précédemment.  
13 Les Enfants Qui S’Aiment (J. Kosma-J. Prévert)    (Odéon 281964) Ki 10369-I     3’09
13/07/1948

14 Flamenco de Paris (L. Ferré)          (Odéon 282576) Ki 11828-21   2’55
13/02/1952

15 La Complainte de Mandrin (Trad.) (Odéon OSX 110/mx.AR 160) 4’00
Février-mars 1955

16 Mon Pot’ Le Gitan (M. Heyral-J. Verrières) (Odéon 282966/mx.Ki 12699-21)         2’51
04/03/1954

17 Le Petit Môme (F. Lemarque)         (Odéon 238329/mx.ODN 62)    3’03
18/06/1956

Henri Crolla et d’autres chanteurs    
Avec Édith Piaf :         
18 Cri du cœur (H. Crolla-J. Prévert)   (45t EP Columbia ESRF 1289) 2’39
Mai 1960

Avec Mouloudji :        
19 Aurore (Saint-Paul de Vence) (H. Crolla-C. Laurence-A. Verdet)     (78t Philips N. 72111)  2’22
27/11/1951

Avec Nicole Louvier (voc., g) :
20 J’Imagine Que Sur Ta Naissance (N. Louvier)       (45t Decca 455.678)     2’43
1958

Henri Crolla et Stéphane Grappelli   
Henri Crolla (g) ; Stéphane Grappelli (vln) ; Emmanuel Soudieux (cb) ; « Mac Kac » Reilles (dr).

21 Djangology (D. Reinhardt) (Duc-Thomson 250V 004/mx. LD 373b)          2’45

22 Manoir de Mes Rêves (D. Reinhardt)         (Duc-Thomson 250V 004/mx. LD 373a)           3’51

23 Belleville (D. Reinhardt)     (Duc-Thomson 250V 004/mx. LD 372b)          2’58

24 Alembert’s (H. Crolla-S. Grappelli) (Duc-Thomson 250V 004/mx. D 45-282)          2’41
Paris, 30/12/1954

 

 

CD 2 :

Dans les pièces qui suivent, Henri Crolla (g) est accompagné par :        
Lalos Bing (aka Martial Solal, p) ; Emmanuel Soudieux (cb) ; Jacques David (dr) :       
1 Je Cherche après Titine  (L. Daniderff)        (EP Véga 45 1575)      1’54
Novembre 1955

Roger Guérin (tp) ; Hubert Rostaing (cl) ; Martial Solal (p, arr) ; Emmanuel Soudieux (cb) ; Christian Garros (dr). Octobre 1956.  
2 What’s New (J. Burke-B. Haggart)    (EP Véga 45 1730)       3’24    
3 Night and Day (Cole Porter) (EP Véga 45 1730)       2’37

Maurice Meunier (cl) ; Géo Daly (vibes) ; Georges Arvanitas (p) ; Emmanuel Soudieux (cb) ; Jacques David (dr). Juin 1955.  
4 Body and Soul (E. Heyman-R. Sour-F. Eyton-J.
Green)         (EP Véga 35 703)        5’39

Maurice Meunier (cl, ts) ; Maurice Vander (p) ; Emmanuel Soudieux (cb) ; Jacques David (dr). Juin 1955.         
5 Out of Nowhere (E. Heyman-J. Green)         (LP 25 cm Véga 35711) 2’47

6 September Song (M. Anderson-K. Weil)       (LP 25 cm Véga 35711) 4’19

7 Sweet Georgia Brown (B. Bernie-M. Pinkard-K. Casey)       (LP 25 cm Véga 35711) 3’46

8 Yardbird Suite (C. Parker)    (LP 25 cm Véga 35711) 3’40

9 Solitude (E. de Lange-I. Mills)          (LP 25 cm Véga 35711) 5’01

Hubert Rostaing (cl) ; Géo Daly (vibes sur 10 seulement) ; Maurice Vander (p) ; Emmanuel Soudieux (cb) ; Pierre Lemarchand ou Al Levitt (dr). 1958.

10 Nuages (D. Reinhardt)        (LP Véga 30805)         3’17

11 Manoir de Mes Rêves (D. Reinhardt)          (LP Véga 30805)          4’03

Jacques Prévert (textes, récitant) ; Henri Crolla (g). Les pièces datées de 1954 sont extraites du recueil intitulé « Jacques Prévert dit Paroles », celles datées de 1960 de « Chanson dans le sang ».

12 Chanson dans le Sang        (LP 25 cm Cepedic CEP 356)   2’58
1960

13 Étranges Étrangers (LP 25 cm Philips A 76.708R)  2’17
1954

14 Cable Confidentiel (LP 25 cm Philips A 76.708R)  1’12
1954

15 L’École des Beaux-Arts      (LP 25 cm Philips A 76.708R)  0’43
1954

16 Barbara     (LP 25 cm Philips A 76.708R)  1’56
1954

17 Cet Amour (LP 25 cm Cepedic CEP 356)   3’02
1960

Henri Crolla avec accompagnement d’orchestre ; direction et arrangement non précisés. Pièces extraites des albums « Le Long des Rues » et « Bonsoir Chérie ».

18 Paris, Je T’Aime d’Amour (V. Schertzinger, J. Battaille-Henri)       (LP 25 cm Véga 35 S 747)        2’34
1956

19 Poinciana (Nat Simon)       (LP Véga 30790)         3’26
1957

Musiques pour le cinéma – Henri Crolla (g)

Sources : les thèmes « Histoire d’Un Poisson Rouge » et « Improvisation I » ont été composés pour le court-métrage « Histoire d’Un Poisson Rouge » réalisé par Edmond Séchan en 1959 (oscar du meilleur court-métrage la même année) ; la version du premier de ces thèmes proposée ici est extraite d’un livre-disque datant de 1961. « Blues » a été composé pour le film « Ce Corps Tant Désiré » de Luis Saslavsky (1959), « La Chapelle » pour le film de Gilles Grangier « Gas-Oil » (1955), « Jardin Dans La Nuit » pour « Cette Sacrée Gamine » réalisé par Michel Boisrond (1955). Les versions de « Blues », « La Chapelle » et « Improvisation I » sont celles interprétées par Crolla en 1957 pour l’album « C’Est Pour Toi Que Je Joue ».

20 Histoire d’un Poisson Rouge (extrait) (H. Crolla-A. Hodeir)          (Super 45t Philips E1E 09.147) 4’32

Texte : Roger Mauge dit par Danièle Delorme. Éd. Gautier-Languerau,1961

21 Blues (H. Crolla)     (LP 25 cm Véga 35 S 792)       2’23

22 La Chapelle (H. Crolla)      (LP 25 cm Véga 35 S 792)        1’39

23 Improvisation I (H. Crolla) (LP 25 cm Véga 35 S 792)       2’41

24 Jardin Dans La Nuit. (H. Crolla-H. Rostaing)        (EP Véga 45 1653)       2’40
Ca 1955

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