« Passage du blues » par Jazz Magazine

« ... François Jouffa et Gérard Herzhaft, artisans de l’échafaudage, sont assez prudents pour sous-titrer l’ensemble "Roots of Rock N’ Roll", ce qui en limite le caractère aventureux mais avec des chances de préserver l’irritation ou l’incrédulité de certains. ... » Philippe BAS-RABERIN – JAZZ MAGAZINE

« Le voyage dans le temps, exercice auquel rééditions, compilations et autres anthologies savent conférer un humour austère, vaut par les imprudences qu’il occasionne, les intuitions qu’il met à l’épreuve et la qualité de l’indécision où il abandonne ceux qu’il a pris par la jambe. Rip Van Winkle le sut avant Wells aussi bien que Barjavel après. Dans le domaine qui nous occupe, un coffret qu’on intitule « Rock’n’Roll 1927-1938 » semble promettre un voyage vers un passé de fiction et vouloir prendre son petit monde à rebrousse-poil, gages de sérieux d’une plaisanterie à laquelle 36 plages viennent donner corps. François Jouffa et Gérard Herzhaft, artisans de l’échafaudage, sont assez prudents pour sous-titrer l’ensemble "Roots of Rock N’ Roll", ce qui en limite le caractère aventureux mais avec des chances de préserver l’irritation ou l’incrédulité de certains. "Lorsqu’on cherche les racines du Rock N’ Roll", nous disent-ils, "on les trouve sans forcer le trait dès le début des enregistrements de blues, de jazz, de country music, au milieu des années 20." La discussion possible se borne en fait au "sans forcer le trait", car il y aurait mauvaise grâce à ne pas admettre que le rock dérive des genres qui l’on précédé sur disque. Mais on peut d’abord se demander si la sur-diffusion du rock n’aveugle pas sur sa place réelle dans l’histoire des musiques américaines d’origine populaire, place que le temps réduira peut-être à celle d’une excroissance anecdotique malgré son impact mondial. Car le rock est si bien contenu dans ce que l’on a pu jouer et chanter "avant" lui que son rôle propre semble avoir consisté à recouvrir ses sources autant qu’à supplanter d’autres formes de chanson. Tributaire de naissance à un degré rare, il invite évidemment à tous les voyages de reconnaissance vers les époques et les floraisons musicales qui l’ont préfiguré à un titre ou à un autre. Celui que nous proposent Herzhaft et Jouffa est d’un intérêt qui tient beaucoup à l’étendue de leur sélection. Pour de nombreux publics médusés par l’état d’anarchie qui règne sur le marché du disque, le prétexte des "sources" du rock peut être l’occasion de cheminer entre des genres que les anthologies actuelles ont le tort de compartimenter contre toute réalité historique, ce qui n’est pas négligeable. Certaines inclusions sont sans doute un peu tirées par les cheveux et l’on peut voir des liens plus sûrs entre boogie-woogie, western swing et R’n’R qu’entre Django et ce dernier, même si le Manouche a influencé les guitaristes texans de la Hot Dance Hillbilly Music. Il n’est pas moins évident que, pour débiter des riffs swinguants et donc "rockants", Morton, Bechet, Ladnier et Armstrong improvisent par-delà l’horizon qu’aperçut jamais un instrumentaliste de rock. Mais si l’on a en tête les éléments bruts captés par les meilleurs rocker des années 50, le voyage réserve de bonnes petites rencontres à rebours comme le duo de guitares Let’s Go To Town de Memphis Minnie et Joe McCoy, la voix grondante d’un What’s My Baby Doin’ ? (Harlem Hamfats) ou les solos en cascade de White Heat (Bob Wills). Assez bonnes, en tout cas, pour que ce zigzag dan le temps produise le léger trouble qu’escomptent ses organisateurs. » Philippe BAS-RABERIN – JAZZ MAGAZINE