« “Le Pony-express réduit ses tarifs et change ses horaires. Dix jours à San Francisco : bons cavaliers recherchés. Jeunes, squelettiques, ayant soif d’aventures et souhaitant découvrir l’Ouest avec un grand “O”. 560 dollars par mois – orphelins de préférence…”
Ça tombe bien. Parce que de l’autre côté de l’Atlantique, le rouquin qui vient de déposer une bombe dans les toilettes du pub où la reine devait faire un discours sera bientôt orphelin de son Irlande natale… Un dernier pied de nez aux habits rouges, et le rouquin entonne le “Dying Seaman” (comme son papa, avant qu’il ne se perde en mer). Sans savoir que moins de dix ans plus tard, ce “Dying Seaman” deviendrait “Dying Cowboy” dans la bouche d’un garçon-vacher dialoguant avec son feu de camp… On a dépassé les années 80 (de 1800). Le rouquin est tenté par les dernières caravanes allant vers l’Ouest. Mais chanter à l’unisson, même avec des compatriotes, ça n’est pas son truc. Il fait quelques années au Pony-Express, juste assez pour s’acheter un (vrai) cheval et une (fausse) selle mexicaine. On n’est pas loin des années 90…
Le rouquin convoie des troupeaux du Texas au Montana. Et ça prend du temps. Alors, il rappe ses chansons issues de l’univers des pubs british au rythme débonnaire de son canasson…
Car n’en déplaise à Hollywood, au fan que je suis et à tous les cowboys électriques qui interprèteront les “Streets Of Larédo” avec grand orchestre, nos vachers chantaient a cappella (cette tradition existe encore : procurez-vous donc les disques de Waddy Mitchell. J’ai dit Waddy…). A cappella, sans banjo, sans philharmonique : c’est ainsi que le rouquin dialogue avec son bivouac et sa timbale de café bouilli. Il leur confie les moments les plus poignants de sa condition d’homme seul face aux rigueurs de l’hiver, au coup de feu que la nuit vous tire parfois dans le dos à l’ombre des cactus sans ombre…
Les chansons du rouquin se colportent d’un convoi à l’autre, de bordels en boxons, de villes-champignon en villes minières. C’est ainsi qu’il est, un jour, surpris d’entendre ses “Streets Of Larédo” (qu’il avait gentiment susurré à John G. Prude) devenues “The Cowboy’s Lament” et chantées par Jules Verne Allen. Cette nuit-là, un charter d’émigrés lui propose un bon paquet de deutschemarks pour conduire vingt mille bêtes à cornes du Colorado au Montana, ce qui fait une trotte. Le “wrangler” (dresseur de chevaux) en chef poste le rouquin sur le flan est du troupeau et pousse la chansonnette. Tout en n’omettant jamais de faire claquer sa langue une fois ou deux, suivant qu’il veut faire aller les bœufs à gauche ou à droite (eh oui !).
Et comme en Autriche, ça calmait les gosses, il entonne un Yoddle de temps à autre, pour distraire les bêtes… Le rouquin n’en revient pas. D’ailleurs, il est parti pour Hollywood où, en ces années 20, il paraît que les studios de cinéma cherchent des bons cavaliers pour doubler les stars dans leurs chutes de cheval (au pire) ou pour incarner les héros de l’Ouest (au mieux).
Le rouquin a vu Wild Bill Hicock (Buffalo Bill) et Calamity Jane jouer leurs propres rôles dans les saloons de Mesa et d’Abilène. Alors, ça ne doit pas être trop difficile… Et, en plus, c’est muet : comme ça, on ne l’entendra pas rouler les “R” de sa voix d’orphelin…
Il double Hopalong Cassidy en haut du ravin de la mort, se prend un bourre-pif courtesy of Tom Mix, fait la course avec John Wayne. Il finit pas se faire engager comme choriste par le label Victor, qui essaie alors de profiter de la vague romantique du Western pour fourguer ses galettes de cire. Chanter derrière Carl T. Spague est un honneur : c’est un cowboy, un vrai.
On n’est pas loin des années 30. Le cinéma parlant, qui fait fureur, veut être aussi chantant. Ken Maynard qui, en tant que cowboy-acteur, n’avait que deux expressions (une avec chapeau, l’autre sans), a des talents vocaux plus que discutables… Et puis autant qu’un vrai chanteur, Hollywood cherche un homme sachant manier le lasso. Le rouquin tente sa chance. Ses essais sont concluants. Mais à l’arrivée, on lui préfère Gene Autry, qui va faire pendant deux décennies ce qu’aucun Vaquero n’avait fait avant lui : chanter à cheval et en play-back. Mais comme dirait Roy Rogers dans “Listen To The Rhythm Of The Range” : “You get a medal when you shoot your mother-in-law” (on te donne une médaille quand tu flingues ta belle-mère). Le rouquin s’incline.
Retour en 1995 : le label Frémeaux & Associés, qui nous avait déjà fait visiter les cabarets tziganes et les ghettos de la chanson yiddish, nous propose cette superbe compilation de chansons western. Selle 1 : les authentiques cowboys. Selle 2 : les cowboys d’Hollywood. Gene Autry est à cheval entre les deux selles.
Rouquin ou pas, ce double CD est à déguster en lisant un bouquin de Zane Grey (ou de Karl May), au risque d’y voir ressurgir Randolph Scott escortant Cary Grant jusqu’à la ville-frontière… Mais ça, ça fait de la peine au rouquin. Bon voyage. » Boris Bergman – L’affiche
Ça tombe bien. Parce que de l’autre côté de l’Atlantique, le rouquin qui vient de déposer une bombe dans les toilettes du pub où la reine devait faire un discours sera bientôt orphelin de son Irlande natale… Un dernier pied de nez aux habits rouges, et le rouquin entonne le “Dying Seaman” (comme son papa, avant qu’il ne se perde en mer). Sans savoir que moins de dix ans plus tard, ce “Dying Seaman” deviendrait “Dying Cowboy” dans la bouche d’un garçon-vacher dialoguant avec son feu de camp… On a dépassé les années 80 (de 1800). Le rouquin est tenté par les dernières caravanes allant vers l’Ouest. Mais chanter à l’unisson, même avec des compatriotes, ça n’est pas son truc. Il fait quelques années au Pony-Express, juste assez pour s’acheter un (vrai) cheval et une (fausse) selle mexicaine. On n’est pas loin des années 90…
Le rouquin convoie des troupeaux du Texas au Montana. Et ça prend du temps. Alors, il rappe ses chansons issues de l’univers des pubs british au rythme débonnaire de son canasson…
Car n’en déplaise à Hollywood, au fan que je suis et à tous les cowboys électriques qui interprèteront les “Streets Of Larédo” avec grand orchestre, nos vachers chantaient a cappella (cette tradition existe encore : procurez-vous donc les disques de Waddy Mitchell. J’ai dit Waddy…). A cappella, sans banjo, sans philharmonique : c’est ainsi que le rouquin dialogue avec son bivouac et sa timbale de café bouilli. Il leur confie les moments les plus poignants de sa condition d’homme seul face aux rigueurs de l’hiver, au coup de feu que la nuit vous tire parfois dans le dos à l’ombre des cactus sans ombre…
Les chansons du rouquin se colportent d’un convoi à l’autre, de bordels en boxons, de villes-champignon en villes minières. C’est ainsi qu’il est, un jour, surpris d’entendre ses “Streets Of Larédo” (qu’il avait gentiment susurré à John G. Prude) devenues “The Cowboy’s Lament” et chantées par Jules Verne Allen. Cette nuit-là, un charter d’émigrés lui propose un bon paquet de deutschemarks pour conduire vingt mille bêtes à cornes du Colorado au Montana, ce qui fait une trotte. Le “wrangler” (dresseur de chevaux) en chef poste le rouquin sur le flan est du troupeau et pousse la chansonnette. Tout en n’omettant jamais de faire claquer sa langue une fois ou deux, suivant qu’il veut faire aller les bœufs à gauche ou à droite (eh oui !).
Et comme en Autriche, ça calmait les gosses, il entonne un Yoddle de temps à autre, pour distraire les bêtes… Le rouquin n’en revient pas. D’ailleurs, il est parti pour Hollywood où, en ces années 20, il paraît que les studios de cinéma cherchent des bons cavaliers pour doubler les stars dans leurs chutes de cheval (au pire) ou pour incarner les héros de l’Ouest (au mieux).
Le rouquin a vu Wild Bill Hicock (Buffalo Bill) et Calamity Jane jouer leurs propres rôles dans les saloons de Mesa et d’Abilène. Alors, ça ne doit pas être trop difficile… Et, en plus, c’est muet : comme ça, on ne l’entendra pas rouler les “R” de sa voix d’orphelin…
Il double Hopalong Cassidy en haut du ravin de la mort, se prend un bourre-pif courtesy of Tom Mix, fait la course avec John Wayne. Il finit pas se faire engager comme choriste par le label Victor, qui essaie alors de profiter de la vague romantique du Western pour fourguer ses galettes de cire. Chanter derrière Carl T. Spague est un honneur : c’est un cowboy, un vrai.
On n’est pas loin des années 30. Le cinéma parlant, qui fait fureur, veut être aussi chantant. Ken Maynard qui, en tant que cowboy-acteur, n’avait que deux expressions (une avec chapeau, l’autre sans), a des talents vocaux plus que discutables… Et puis autant qu’un vrai chanteur, Hollywood cherche un homme sachant manier le lasso. Le rouquin tente sa chance. Ses essais sont concluants. Mais à l’arrivée, on lui préfère Gene Autry, qui va faire pendant deux décennies ce qu’aucun Vaquero n’avait fait avant lui : chanter à cheval et en play-back. Mais comme dirait Roy Rogers dans “Listen To The Rhythm Of The Range” : “You get a medal when you shoot your mother-in-law” (on te donne une médaille quand tu flingues ta belle-mère). Le rouquin s’incline.
Retour en 1995 : le label Frémeaux & Associés, qui nous avait déjà fait visiter les cabarets tziganes et les ghettos de la chanson yiddish, nous propose cette superbe compilation de chansons western. Selle 1 : les authentiques cowboys. Selle 2 : les cowboys d’Hollywood. Gene Autry est à cheval entre les deux selles.
Rouquin ou pas, ce double CD est à déguster en lisant un bouquin de Zane Grey (ou de Karl May), au risque d’y voir ressurgir Randolph Scott escortant Cary Grant jusqu’à la ville-frontière… Mais ça, ça fait de la peine au rouquin. Bon voyage. » Boris Bergman – L’affiche