La musicologie perd un père avec Deben Bhattacharya. Décédé à Paris ce week-end à l’âge de 80 ans, cet Indien né à Bénarès a, depuis les années cinquante, marqué à sa manière l’enregistrement des « musiques du monde ». Baroudeur plutôt qu’ethnomusicologue, il privilégiait l’émotion sur la rigueur scientifique du collectage. Initié à la musique par son père, médecin traditionnel, et son oncle, professeur de sanscrit, il travaille dans les années quarante avec l’indologue Alain Danielou sur divers ouvrages, dont un consacré à la musique du nord de l’Inde. Arrivé à Paris en 1954 pour une conférence, il prend la route des Saints-Maries-de-la-Mer, afin d’y enregistrer pour Vogue Manitas de Plata et Joseph Reinhardt, frère de Django. En ce temps où la France néglige ses régionalismes, le Bengali recensera le répertoire auvergnat. Durant toute sa vie, Deben Bhattacharya se sera attaché à pister l’âme « gitane », d’Asie en Europe et d’Irak en Mauritanie. Souvent, son flaire de globe-trotter sonore le conduisait en des régions où les conflits anéantissaient des folklores. Il sera le premier à graver des disques de chœurs mêlant musulmanes et chrétiennes à Sarajevo, des joutes musicales Afghanes dans les faubourgs de Kaboul et des juifs marocains fraîchement arrivés en 1957 à Tel Aviv. Tout son travail aboutira, « world » aidant, à une redécouverte légitime de Deben Bhattacharya. Il y a cinq ans, le Bengali de Paris avait entrepris de rediffuser ses bandes et de se remettre à enregistrer. Les deux derniers pays où il aura posé son micro, comme pour boucler la boucle, auront été le Bangladesh et l’Inde.
Nidam ABDI - LIBÉRATION
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