« Deux heures de musique qui quittent leur étiquette d’ ‘Introuvable’ » par Trad Magazine

Heureuse initiative que celle de relever les talents de quelques uns des anciens maîtres du genre : on retrouve ici quelques pièces rares d’un puzzle musical (probablement impossible à reconstituer intégralement) qui éclaire sur l’art et la manière d’une époque récente et pourtant très éloignée de notre quotidien. La valeur de ces documents n’en est que plus grande, bien qu’on aurait tort de les considérer comme incontournables. Le propre de ce genre musical, appelé ici musique tzigane avec un Z, « comme une arabesque fougueuse de l’archet… » (on a frôlé de près la référence à Zorro) est d’être en perpétuelle transformation et dans une étroite dépendance avec le cadre de prestation ; précisions que le cadre est ici celui des salons et des milieux mondains, contexte déterminant dans le choix de la formation orchestrale (du type orchestre de chambre qui s’adjoint le cymbalum) et des critères d’interprétation (ligne mélodique confiée au violon et dans un sens du phrasé des plus démonstratifs). Tout ceci s’accorde particulièrement bien au répertoire tzigane-hongrois qui a depuis longtemps développé son identité sur de telles caractéristiques, le succès de la formule a également poussé à annexer des répertoires qui trouvaient leur sens dans des traitements tous différents, ceci vaut en particulier pour le répertoire russe (valses, romances…) où les pièces perdent alors de cette vérité qui se livre dans des interprétations vocales avec une orchestration bien plus dépouillée ; la grandiloquence se montre souvent mal appropriée à l’expression de sentiments que le souffle seul fait vivre ; aussi certains titres perdent ici un peu de leur âme, ces quelques remarques n’empêchent d’ailleurs pas de goûter pleinement les pièces de références telles que « Ciocirlia » (l’alouette) par Dinicu, débarrassée des complaisances de premier degré, ainsi que sa composition « Hora Staccato » d’une rare finesse d’archet, « il n’y a qu’une fille au monde » par Imre Magyari, pièce reprise par Sarasate dans ses « airs bohémiens » donnés ici avec un phrasé étonnant et l’appui d’un « bratsch » qui par son placement de contretemps est révélateur d’une part de l’art de la musique hongroise, « Avant de mourir » de et par Georges Boulanger, titre mentionné par le capitaine Haddock (!) dans « On a marché sur la lune », c’est dire la renommée sans frontière. On l’aura compris, bien d’autres morceaux pourraient encore être cités. Au total deux heures de musique qui quittent leur étiquette d’ »Introuvable » et laissent espérer que l’éditeur et les découvreurs passionnés ne s’en tiendront pas là et continueront leurs investigations pour notre plus grand plaisir.
Jean-Patrick HÉLARD – TRAD MAGAZINE