« Une saga essentielle» par Le Figaro

Le Titi réagit à notre dossier « Que reste-t-il de Montparnasse » (notre édition du 10 Mai). Un éclairage qui nous apprend que le carrefour Vavin était aussi le quartier antillais de la capitale. « Au carrefour Montparnasse, écrit Simenon dans « La tête d’un homme », la vie battait son plein, il était midi et demi »…A la façon de Balzac exprimant les hasards de la rue Pangevin, Simenon réduit, lui, La Coupole de 1931, depuis Décembre 1927 l’établissement de proue de Montparnasse ; Le film qu’en 1932 Duvivier tire de « La tête d’un homme » montre le bar « américain » de la brasserie. De belles dames en chapeau cloche juchées sur de hauts tabourets trinquent avec de beaux messieurs à nœud pap’. Arrive Maigret. Encore qu’il soit « de la génération de la brasserie et des bocks », la vieille école, le commissaire essaye un Manhattan mais sans toucher aux olives que Bob, le barman, pose devant lui…Dans ce coin de Paris, note Simenon, la proportion est de quatre-vingts pour cent d’étrangers. Montparnasse quoi ! L’endroit le plus cosmopolite, bariolé, bohème, de Paris,  qui « a vaincu Montmartre parce que Montparnasse, explique Héron de Villefosse, touche au Quartier latin et que c’est toujours la jeunesse étudiante, artiste, étrangère ou non, qui excitera le foyer de la gaieté urbaine ». Même si la défaite de Montmartre serait à étayer, les dessins et tableaux d’époque représentant les terrasses du dôme, de la Rotonde, l’intérieur du Jockey, attestent de la surexistence du Montparnasse de l’entre-deux guerres…Les témoignages concordent, on s »’y amusait. Preuve du tellurisme populaire Parisien, les faux bals apaches faisaient florès. L’instigateur en était dessinateur Paul Colin. Le 20 février 1931, « le trépidant Georges Simenon », selon Odette Pannetier dans « Candide », lui demande d’organiser un bal Anthropométrique pour fêter la sortie de ses derniers romans. Déguisés en hommes et femmes du milieu, mille invités chics s’agglutinent, non chez Bousca rue de Lappe ou à l’As de Cœur rue des Vertus, mais à la Boule Blanche, le bal « nègre » du 33, rue Vavin. Jean-Pierre Meunier, qui édite trois Cd consacrés à la musique antillaise entre 1929 et 1943 à Paris, nous apprend qu’alors la Boule Blanche vibrait au rythme du grand clarinettiste martiniquais Stellio (1885-1939), et à la voix rauque et gouailleuse de la belle Léona Gabriel (1891-1971), tante d’Henri Salvador. Revêche aux cadences créoles, Odette Pannetier remarque néanmoins qu’en dansant, les invités de Simenon « semblaient absolument extasiés ».  Montparnasse a été le lieu privilégié de la musique « z’Antilles » à Paris. Tout avait commencé au bal colonial, 33 rue Blomet. D’après Warnod, sa découverte en revient à Pascin. Juste après le succès de la Revue nègre de 1925 avec Joséphine Baker, le Tout-Montparnasse colonise le lieu. Lancinante, la « boîte à clous » - chacha en créole, les maracas – de l’orchestre du pianiste Jean Rezard-Desvouves donnait la fièvre aux esthètes…Avant de mourir, Ernest Léardée (1896-1988), violoniste puis clarinettiste, l’Oncle Ben’s de la publicité télévisée, a confié à sa femme Brigitte et à Meunier ses souvenirs. Ils permettent de reconstituer l’itinéraire des musiciens antillais à travers Monparno, de la Boule Blanche au Tagada-Biguine du 12, rue de l’arrivée – décoré en 1931 par Colin, tenu par Stellio – rebaptisé le Madinina-bar en 1932, à l’Élan noir du 124, boulevard de Montparnasse, monté fin 31 par Léardée…Liste non exhaustive d’une saga essentielle à Montparnasse encore que trop peu connue…
Claude DUBOIS – LE FIGARO