« Une synthèse entre musique classique et jazz » par Jazz Hot

Que cet album réédité par Frémeaux & Associés ait été consacré « meilleur album de l’année 1995 » par la revue nippone Jazz Life n’étonne guère. Déjà avec Keith Jarret puis avec Chick Corea, auxquels il a réservé plus d’un triomphe, le public japonais avait découvert son penchant pour les pianistes opérant une synthèse entre musique classique et jazz. De fait, le pianiste Suisse Thierry Lang se situe dans cette tradition. Et son Private Garden en est un premier témoignage d’envergure. Privé, secret, intimiste, ce jardin musical n’ouvre ses portes qu’aux mélomanes en quête de rêveries plus ou moins solitaires. Le promeneur en question aime prendre son temps pour mieux se délecter de chaque détail, s’imprégner de la moindre nuance afin de afin de profiter de la sérénité dégagée par le trio. Servi par une précision méthodique et un goût des mélodies dépouillées de tout artifice, ce sentiment de quiétude qui plane d’un bout à l’autre de l’album ne vire jamais au ronronnement sécurisant. Thierry Lang et ses partenaires, le contrebassiste Ivor Malherbe (ici à la double basse) et le batteur Marcel Papaux, sont également animés par un profond souci d’esthétique. Leur démarche, dans son essence, les empêche de tomber dans certains écueils vers lesquels leur répertoire et la mélancolie qui s’en dégage auraient pu les pousser. Romantiques, certes, mais avant tout jazzmen et empêcheurs de jouer en rond. L’exclusivité donnée ici aux ballades est un choix courageux qui élimine nombre d’auditeurs d’entrée de jeu. De même, reprendre « Stella By Starlight », jadis si magnifiquement interprété par Bill Evans (Basic Miles, 1958), risque d’en refroidir plus d’un(e). Mais Thierry Lang relève le défi et, bien que moins riche harmoniquement, son jeu limpide, si aérien par instants qu’il frôle l’évanescence, suscitera l’attention des plus patients. Son « Private Garden », titre éponyme de l’album, excite davantage nos oreilles attentives, peut-être parce que ce thème, justement, lui ressemble plus. Marcel Papaux (dm), égal à lui-même, ne lâche pas un instant le fil ténu de cette rêverie intime. Sa délicatesse n’a d’égal que la souplesse du pianiste. Á peine audible par instants, il est pourtant là, portant avec une élégance rare les solos, notamment celui que prend Ivor Malherbe (b) sur ce même morceau. Il règne décidément une douce harmonie entre ces trois esthètes. Sur une cadence plus fringante, avec « I Hear a Rhapsody », cet équilibre tranquille se précise. Enfin, « Nane », successions d’impressions colorées suspendues à une mélodie fluide, confirme définitivement la sensation de bien-être. C’est alors que l’on se surprend à relancer la lecture sur le premier titre.
Lorraine SOLIMAN – JAZZ HOT