« Une grâce peu commune » par Jazz Hot

Pour signer son premier enregistrement, le Big Band de Lausanne (BBL) s’est offert un invité de rêve. Des Jazz Messengers au Big Soul Band en passant par les mains de Thelonious Monk, quand Johnny Griffin pose son sax quelque part, il est plutôt du genre à donner des ailes à la formation en question. Á l’époque de Monk, c’est lui qui prend son envol. Et quel envol ! Aujourd’hui, si Johnny Griffin engage son ténor dans un projet, c’est une fameuse caution pour les musiciens qui l’entourent et une sacrés source d’inspiration. Créé en 1982, le BBL, dirigé par le saxophoniste (as, bs) et arrangeur Christian Gavillet, s’est rapidement fait un place sur la scène jazz de Suisse et de Navarre. Des musiciens chevronnés, un répertoire original basé sur des standards réarrangés et des compositions de certains membres de l’orchestre, un immense respect pour la musique de leurs prédécesseurs allié à un profond désir d’aller de l’avant, les bases sont saines et l’édifice qui s’y construit plutôt séduisant. Ce premier disque est davantage qu’un indice. La mécanique est parfaitement huilée – les grands orchestres afro-américains ne sont pas loin -, les différentes sections presque trop bien réglées. Mais les solistes étayent généreusement le discours et le parsèment de l’indispensable suspense qui fait le bonheur de l’auditeur. En tête de file, Johnny Griffin, évidemment, qui mérite toujours plus son surnom de Little Giant (petit par la taille !). Chacune de ses prises de parole est une aventure. Tout à son bonheur sur les tempos les plus fous (belle démonstration notamment dans « A Monk’s Dream »), l’acrobate bondit d’une croche à l’autre avec une grâce peu commune et sans le moindre filet. Il attaque toujours aussi ferme, mais n’oublie jamais de terminer sur une happy end. Reprendre « Isfahan » (Billy Strayhorn/arr. Christian Gavillet) et succéder à Johnny Hodges à l’alto est un défi de taille que le soliste Yvan Ischer relève honorablement, guère plus. Quand François Buttet est au piano et que, de surcroît, il interprète l’une de ses compositions, « Sister » en l’occurrence, l’atmosphère est littéralement renouvelée. L’artiste se décrit volontairement comme « engagé » (notamment contre l’Apartheid) et son jeu, son approche ne sont pas sans évoquer la musique d’Abdullah Ibrahim. La flûte acidulée de Michel Weber rafraîchit l’ensemble qui, par moments, s’appesantirai presque à force de bien rouler. La reprise du « Moonlight », de Glenn Miller, dont Christian Gavillet signe les arrangements, prend un ton définitivement malicieux qui semblerait presque annoncer le travail parodique de l’un de ses confrères multi-instrumentiste quelque treize années plus tard.
Lorraine SOLIMAN – JAZZ HOT