« Grands discours » par Marianne

« Entre ici, Jean Moulin… ». L’exorde est célèbre, trop sans doute. La carrière d’orateur d’André Malraux se résumerait presque à l’oraison vibrante de Jean Moulin lors du transfert de ses cendres au Panthéon. Pourtant, en découvrant ses grands discours et notamment ceux, encore inédits, de 1965 et 1967, au Palais des Sports, on réalise que André Malraux fut un orateur politique de premier plan. Certes thuriféraire du général de Gaulle, mais aussi un premier couteau qui avait la lame particulièrement acérée dès qu’il s’agissait de s’attaquer aux détracteurs du Général. Une des cibles favorites du Ministre de la Culture était évidemment François Mitterrand. Celui qui incarnera le renouveau de la gauche était pour Malraux l’homme des contradictions, le politicien de la IVe République dans toute sa splendeur. Un tacticien de la IIIe qui avait survécu à la IVe, mais indigne de la Ve. Si Malraux savait parler des morts, il pouvait aussi trouver les formules assassines pour les vivants : « François Mitterrand ne serait pas le successeur du général De Gaulle mais son prédécesseur, assenait-il du haut de la tribune. Il s’agit de choisir entre une homme de l’histoire qui a assumé la France et que la France ne retrouvera pas demain et les politiciens que l’on retrouve toujours ». Après avoir fait le catalogue des actions du Général, Malraux interpelle le futur président : « Et vous, pendant ce temps là, qu’avez-vous fait ? Vous avez rêvé la gauche. […] Il est plus facile d’accorder les électeurs sur le désir d’aller au ciel que de leur donner le moyen d’y aller ». Il faudra encore quinze ans à Mitterrand pour se débarrasser de cette image de politicien ambitieux dans laquelle les gaullistes l’enfermaient et pour que le rêve de la gauche devienne réalité.
Olivier MAISON - MARIANNE