Si j’étais dictateur ou président, j’imposerais une fois par semaine, à l’heure de grande écoute, (et une fois par jour, spécialement à l’intention de Monsieur Robert-André Vivien, rapporteur odieux-visuel auprès de je ne sais trop quel machin où l’on n’a sûrement pas le temps d’écouter du jazz), j’imposerais donc, disais-je, la vision de « Jammin’The Blues », ce court-métrage de 1944 tourné par Gjon Mili avec Harry Edison, Ilinois Jacquet, Barney Kessel, Red Callender, Sidney Catlett et…Lester Young, le président comme l’appelait Lady Day, Billie Holiday, la meilleure de ses partenaires. « Jammin’ The Blues »,c’est un rêve éveillé qui danse, sculpté dans le jazz, la lumière noire et blanche et la fumée des cigarettes, un tempo et une poésie désormais tellement rares (comme les Jacques Tati perdus sur nos étranges lucarnes ces dernières semaines à 20h30, sur Arte certes) que même les plus cool et les plus endurcis de nos concitoyens zapperaient sans comprendre puisque zapper, nous a-t-on expliqué, est un acte créatif, l’équivalent sans doute d’improviser ou (en substituant un z a u j en le déportant à la place des deux p) jazzer, sauf pour quelques esprits chagrins (dont je suis). Moi, je ne vois qu’une chose, c’est qu’il n’y a pas de jazz à la télé (sauf en pleine nuit, comme sous l’Occupation), encore moins de Lester Young et de Billie Holiday, donc pas d’amitié entre un homme et une femme, plus de noir et blanc, plus de silences, plus de vrais saxophonistes dont le cœur est tout au fond de l’instrument et que le musicien a tant de peine à faire remonter avec sa note, plus de beaux grands orchestres à la Count Basie, avec des jeunes l’air un peu cucul et extasié qui claquent des doigts sur une musique qui swingue vraiment, plus de volutes de fumée en suspens autour des ronronnements inspirés sur « Blue Lester » ou « These Foolish Things », plus d’alcool, d’ivresses de danseurs enlacés, délassés, tendus et détendus, plus de swing et d’apesanteur, plus de droit à la tristesse vraie, de musiciens qui jouent en chaussons, presque mourant à la télé en décembre 58 avec Hawkins et Ben Webster (les monstres du ténor) et Lady Day, toujours elle, mais elle aussi presque morte…Si j’étais président, on verrait « Round Midnight », dernière saison du président avant qu’il ne meure à peine revenu de Paris en 59, avant tout ça qui l’aurait fait mourir un peu plus vite s’il avait su. Si j’étais président, on verrait tout le temps les Ilouz, les Clavis, les Ponty, les Petrucciani, les Carla Bley, des beaux violonistes, des nains géniaux, des femmes rebelles. Mais je ne serais pas président, sauf le temps de ma chronique, et encore. Ça ne m’empêchera pas de vous présenter, pour une fois, tous mes vœux pas présidentiels ni télévisés.
Mister MAMBO – L’AFFICHE
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