Et l'ogre les dévora en musique par Centre France

Fidèle à sa vocation, le Petit Poucet n’est peut-être pas très grand, mais cela n’empêche nullement Isabelle Aboulker de l’écrire crescendo en le juchant sur une quinte ascendante dans son opéra pour enfant paru chez Frémeaux & Associés. Professeur au Conservatoire de Paris, lauréate de la Société des auteurs et compositeurs de musique, elle prend les mélomanes en culottes courtes par les sentiments du conte pour les inciter à monter la gamme en chantant. Car il n’est jamais trop tôt pour mettre un pied, voire deux, en musique. Mais il y a l’art et la manière. Et « Bécassine » n’étant apparemment pas sa « cousine », même à la mode Verdi, Isabelle Aboulker se sent plus inspirée par le bon Charles Perrault pour conduire les enfants à découvrir le monde lyrique. Une autre façon également de déboulonner le mythe élitiste de l’opéra seulement accessible et réservé aux castes mélomanes supérieures. Ce n’est après tout ni plus ni moins et pas davantage qu’une histoire racontée en musique. N’importe quelle histoire, pourvu qu’elle soit bien « notée ». Dérive qui souvent conduisit le genre à son total appauvrissement dramatique, les compositeurs se révélant plus préoccupés par leur partition que soucieux de la véritable qualité du livret. Que ce soit dans « Cendrillon » ou « Le Petit Poucet », paroles et musique sont complices du talent. Celui qu’Isabelle Aboulker conjugue avec élégance, humour et ce qu’il faut de suspense, à l’univers poétique du père du Petit Chaperon Rouge. Le compositeur a su en faire d’authentiques « opéras de poche » en se refusant autant à donner dans une musique d’accompagnement aussi ornementale qu’inexpressive, que de céder à un didactisme infantilisant. La partition apporte au récit couleurs et dynamiques en faisant autant chanter les mots que parler les sons. La phrase musicale n’intervient pas isolément, en complément du texte : elle en est le ressort, l’esprit de la lettre en ce qu’elle structure l’œuvre dans sa logique. En en appelle les rebondissements, en dépeint les climats et nous ouvre les portes de cette nécessaire quatrième dimension sans laquelle l’opéra manquerait à ses devoirs ; ceux qui créditent la fiction de la rassurante déraison du merveilleux et de la profondeur du rêve. Qualités auxquelles Hanna Bayodi, Frédérique Autret et Sophie Peronnettaz, sopranos, et Steeve Maï, baryton, font plus que concourir. Ils en sont l’âme. De la même manière que le piano d’Isabelle Aboulker sait leur insuffler vie et bonheur. Dans une approche plus traditionnelle, Frémeaux & Associés édite aussi un album de contes de Perrault pour récitant seul, sur des musiques pour viole et théorbe de son contemporain Marin Marais, ainsi que « Les animaux de l’arche », d’Allain Bougrain-Dubourg. L’inusable défenseur de la nature s’est attaché les compétences de Philippe Noiret et d’une quinzaine de comédiens, sur une musique du compositeur André Serre-Milan. Que l’opéra étend le domaine du chant bien au-delà d’une simple horizontalité du récit ne fait plus de doute. Il lui reste à présent à le faire savoir sur scène.
CENTRE FRANCE