Une couronne méritée par Culturejazz

"Dinah Washington (Ruth Lee Jones, 1924 – 1963) a sa place au panthéon des grandes vocalistes de jazz aux côtés de Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Carmen McRae, Sarah Vaughan, Nina Simone, Betty Carter, Abbey Lincoln, Shirley Horn (sans oublier Anita O’Day), toutes nées au cours du siècle dernier. Elle fut sans conteste celle qui fut la plus attachée à s’appuyer sur les racines du gospel et surtout du blues (n’en fut-elle pas surnommée La Reine) ce qui la distingue principalement de ses consœurs, tout en étant, souligne Jean Buzelin, une musicienne capable de chanter, avec un égal résultat, blues, ballades, pop songs, jazz, standards de Broadway… elle déclarait elle-même : « je peux tout chanter » ; elle le démontre admirablement tout au long de ce coffret.
Sa voix : légèrement acidulée, vibrato de grande flexibilité, parfaite justesse. Elle possédait une diction parfaite, un sens de la nuance toute en subtilités et une « sophistication naturelle », n’appuyant jamais ses effets, ne cherchant pas à travailler une voix légèrement nasillarde qui conservera toujours la fraîcheur mutine de sa jeunesse (J.B).
Dans le CD 1, Dinah s’exprime d’abord en compagnie d’une petite formation réunie autour de Lionel Hampton en 1943-45 (elle sera la chanteuse de son big band pendant près de trois années) avec deux blues (Evil Gal Blues et Blow Top Blues) composés par le critique Leonard Feather et les obligatos des trompettistes Joe Morris et Wendell Culley et de Hamp lui-même ; toujours fidèle aux structures du blues elle chante My Lovin’ Papa en compagnie du Lucky Thompson All Stars avec les jeunes Charles Mingus à la contrebasse et Milton Jackson, vibraphoniste. Suivent le standard des frères Gershwin The Man I Love fort émouvant, une belle version du classique de Fats Waller Ain’t Misbehavin’ et un Resolution Blues accompagné par le Cootie Williams Orchestra en 1947. Cinq titres enregistrés « live » au Just Jazz Concert à Los Angeles en 1950 donnent une idée saisissante de son succès et sa popularité auprès du public noir.
Transition entre les deux CD avec des interprétations telles que le fameux Trouble In Mind en compagnie de l’orchestre du batteur Jimmy Cobb (son compagnon à cette époque) avec un remarquable solo de Ben Webster et le très « jazz » I cried For You avec cette fois Paul Gonsalves ; autre saxophoniste ténor, Paul Quinichette, l’interlocuteur le plus proche du feeling de la chanteuse, se fait entendre dans deux plages suivantes dont Am I Blue ; nous sommes en 1953. Un an plus tard elle interprète magnifiquement No More dans lequel on entend le trompettiste Clifford Brown à ses côtés.
Avec son répertoire de plus en plus populaire mais sans concession, Dinah Washington est toujours au top des ventes, ses interprétations de Teach Me Tonight, l’émouvante ballade Blue Gardenia, Willow Weep For me et le fameux Black And Blue accompagnés par les big bands de Quincy Jones (1965) ou l’un de ses maris, Eddie Chamblee (1957) étant des preuves supplémentaires de son immense talent.
Elle continuera une carrière aussi bien engagée dans le blues, le jazz et la grande variété avec un égal bonheur avant de disparaître à l’apogée de sa carrière en 1963 à l’âge de 39 ans.
Ce coffret est un témoignage indispensable en ce qui concerne la place prépondérante de cette Reine dans l’histoire du jazz et de l’art vocal afro-américain."
par JACQUES CHESNEL - CULTUREJAZZ