« Michel Onfray joue un rôle important dans la société : le sien. Il est seul, tout seul, et en même temps très bien accompagné : il a su, entêté et provincial, s'inventer un panthéon portatif où cohabitent, dans l'excès de vivre et la colère de rester soi-même, Schopenhauer et Thoreau, Démocrite et Stirner, Érasme et Sade. Loin de la morbidité de certaines chaires, où le savoir se faisande au gré des ambitions sociales quand il ne se ratatine pas à force de cuistrerie, de didactisme ou de système, Onfray, toujours très pauvre, bâtit son oeuvre, déjà très riche. Voici dix ans qu'il a irrémédiablement claqué la porte de la Sorbonne et des dissertations. Son amphithéâtre est la France profonde, et je vous prie de bien vouloir prendre « profonde » dans son acception la plus digne : qui entre profondément dans les choses. L'ennemi de Michel, c'est le survol. Les voleurs, passe encore : l'histoire de la philosophie en est remplie. Mais les survoleurs, non. Ceux qui parcourent au lieu de courir, qui regardent au lieu de voir, qui parlent au lieu de dire, Michel les fuit. Pas comme la peste, puisque la peste, c'est lui. C'est pour cela que je l'adore. Pas grave qu'il ne soit pas toujours d'accord avec moi : ce que nous attendons de lui, c'est qu'il continue d'être d'accord avec lui. Ce n'est pas si fréquent. Ni si facile.
On critique son sectarisme ? C'est de la cohérence. On moque son entêtement ? Il s'agit de constance. On déplore son arrogance ? De la pure fermeté. On évoque son dandysme ? Ça s'appelle la liberté. « Tu es fou de défendre Onfray ! Il n'a rien compris à Nietzsche ! » C'est vrai que je suis fou de défendre Michel : il se défend mille fois mieux que je ne saurais le faire. Quant à Nietzsche, c'est très simple : en admettant que Michel se trompe, je préfère la façon dont il en parle en se trompant que la manière dont d'autres en parlent sans se tromper ! C'est l'oeuvre de Michel qui m'intéresse, là : si je veux connaître Nietzsche, je lis Nietzsche. « Vous voulez lire un bon livre sur Voltaire ? Lisez Voltaire ! » (Sacha Guitry). Quand je lis Michel Onfray, je lis Onfray quand il se trompe et Onfray quand il ne se trompe pas. Je lis Onfray quand il a raison et Onfray quand il a tort. Mais, étant Onfray, Michel ne peut pas « avoir tort », puisqu'il décortique toute la philosophie à la manière d'Onfray ! Nietzsche vu par Philippe Sollers, ce n'est pas Nietzsche, c'est Philippe Nietzsche. Vu par Onfray, c'est Michel Nietzsche. Moi, j'aime ces deux Nietzsche-là (ils se détestent). Mais si Frédéric Nietzsche rencontrait ses homonymes Philippe et Michel, il leur casserait la gueule. Pourtant, ce sont des Nietzsche valides. Ce sont des Nietzsche possibles. Ce ne sont pas des Nietzsche scolaires, universitaires. Ce sont des Nietzsche vivants. Passons. Vous aurez bien compris ce que j'aime avant tout chez Michel : sa passion d'aller à la source même du corpus, de lire Épicure, Helvétius ou Spinoza comme s'ils venaient de paraître en librairie. Il se méfie, infiniment, de ces textes qui, comme dit Péguy, ont « couché avec tout le monde ».
Pour Onfray, un classique est toujours une terre inconnue, et un auteur oublié toujours déjà un classique : se faire sa propre idée, par sa propre lecture, c'est ébaucher sa propre pensée. Michel ne prend rien à la légère : un peu de gravité, finalement, à l'ère de la moquerie frénétique, de l'ironie généralisée, de la vanne comme mode d'être, du gag permanent et du second degré obligatoire, ça ne fait pas de mal. Nous avons le droit, n'est-ce pas, de ne pas passer toute notre vie à rire. L'humour, ça n'a rien à voir avec le rire. Et vice versa. J'aurai retenu deux choses incroyables depuis que je lis Michel. La première, c'est qu'il faut savoir rire de ce qui n'est pas comique. La seconde, c'est qu'il faut apprendre à ne pas rire de ce qui se veut drôle. Vous allez dire que je n'ai rien compris à l'œuvre de Michel. Pourtant, quand il nous prépare à la mort avec Schopenhauer ou au plaisir avec Saint-Évremond, il y a malgré tout cette obsession chez Onfray : être soi-même, c'est aller se chercher soi-même chez les autres, trouver dans les œuvres ce qui en elles me parlent, me concernent, me pensent. La seule possibilité d'entrer dans une œuvre, fût-ce celle de Kant ou d'Hergé, c'est d'aller voir dedans si on y est. Et nous y sommes ! J'ai rendez-vous avec moi-même dans Ecce Homo, Les 120 Journées de Sodome ou le Talmud. Et si je ne vous y croise pas, c'est que nous sommes différents. »
Par Yann Moix — LE FIGARO
On critique son sectarisme ? C'est de la cohérence. On moque son entêtement ? Il s'agit de constance. On déplore son arrogance ? De la pure fermeté. On évoque son dandysme ? Ça s'appelle la liberté. « Tu es fou de défendre Onfray ! Il n'a rien compris à Nietzsche ! » C'est vrai que je suis fou de défendre Michel : il se défend mille fois mieux que je ne saurais le faire. Quant à Nietzsche, c'est très simple : en admettant que Michel se trompe, je préfère la façon dont il en parle en se trompant que la manière dont d'autres en parlent sans se tromper ! C'est l'oeuvre de Michel qui m'intéresse, là : si je veux connaître Nietzsche, je lis Nietzsche. « Vous voulez lire un bon livre sur Voltaire ? Lisez Voltaire ! » (Sacha Guitry). Quand je lis Michel Onfray, je lis Onfray quand il se trompe et Onfray quand il ne se trompe pas. Je lis Onfray quand il a raison et Onfray quand il a tort. Mais, étant Onfray, Michel ne peut pas « avoir tort », puisqu'il décortique toute la philosophie à la manière d'Onfray ! Nietzsche vu par Philippe Sollers, ce n'est pas Nietzsche, c'est Philippe Nietzsche. Vu par Onfray, c'est Michel Nietzsche. Moi, j'aime ces deux Nietzsche-là (ils se détestent). Mais si Frédéric Nietzsche rencontrait ses homonymes Philippe et Michel, il leur casserait la gueule. Pourtant, ce sont des Nietzsche valides. Ce sont des Nietzsche possibles. Ce ne sont pas des Nietzsche scolaires, universitaires. Ce sont des Nietzsche vivants. Passons. Vous aurez bien compris ce que j'aime avant tout chez Michel : sa passion d'aller à la source même du corpus, de lire Épicure, Helvétius ou Spinoza comme s'ils venaient de paraître en librairie. Il se méfie, infiniment, de ces textes qui, comme dit Péguy, ont « couché avec tout le monde ».
Pour Onfray, un classique est toujours une terre inconnue, et un auteur oublié toujours déjà un classique : se faire sa propre idée, par sa propre lecture, c'est ébaucher sa propre pensée. Michel ne prend rien à la légère : un peu de gravité, finalement, à l'ère de la moquerie frénétique, de l'ironie généralisée, de la vanne comme mode d'être, du gag permanent et du second degré obligatoire, ça ne fait pas de mal. Nous avons le droit, n'est-ce pas, de ne pas passer toute notre vie à rire. L'humour, ça n'a rien à voir avec le rire. Et vice versa. J'aurai retenu deux choses incroyables depuis que je lis Michel. La première, c'est qu'il faut savoir rire de ce qui n'est pas comique. La seconde, c'est qu'il faut apprendre à ne pas rire de ce qui se veut drôle. Vous allez dire que je n'ai rien compris à l'œuvre de Michel. Pourtant, quand il nous prépare à la mort avec Schopenhauer ou au plaisir avec Saint-Évremond, il y a malgré tout cette obsession chez Onfray : être soi-même, c'est aller se chercher soi-même chez les autres, trouver dans les œuvres ce qui en elles me parlent, me concernent, me pensent. La seule possibilité d'entrer dans une œuvre, fût-ce celle de Kant ou d'Hergé, c'est d'aller voir dedans si on y est. Et nous y sommes ! J'ai rendez-vous avec moi-même dans Ecce Homo, Les 120 Journées de Sodome ou le Talmud. Et si je ne vous y croise pas, c'est que nous sommes différents. »
Par Yann Moix — LE FIGARO