Dans «le Crépuscule d’une idole», le philosophe s’attaque de façon argumentée à la figure de Sigmund Freud, accusé d’avoir fabriqué une science à l’aide de manipulations.
[...] Nietzsche est resté son «ami». Marx aussi, mais marié à l’anarchiste Proudhon. Freud non. Et ce désamour est né, entre autres, de la lecture du Livre noir de la psychanalyse, qui lui a «dessillé les yeux». Dès lors, il a décidé de relire Freud, tout Freud, ses livres et ses correspondances, et s’est convaincu que les «cartes postales freudiennes» qu’il lisait lui-même à ses élèves des classes de philosophie - à savoir «Freud a découvert l’inconscient tout seul à l’aide d’une auto-analyse extrêmement audacieuse et courageuse»,«la psychanalyse procède d’observations cliniques, elle relève de la science»,«le complexe d’Œdipe est universel»,«Freud a découvert une technique qui, via la cure et le divan, permet de soigner et de guérir les psychopathologies»,«la conscientisation d’un refoulement obtenue lors de l’analyse entraîne la disparition du symptôme»,«la psychanalyse est une discipline émancipatrice», etc. - que ces cartes postales, donc, n’étaient que le résultat du travestissement de l’histoire réelle du freudisme en légende. D’où la thèse, défendue dans le Crépuscule d’une idole, d’une «histoire nietzschéenne de Freud, du freudisme et de la psychanalyse», dans laquelle le freudisme est une production littéraire ou une philosophie (vitaliste) - «ce qui n’est pas rien» - qui, comme toute philosophie lue en nietzschéen, «est la confession autobiographique de son auteur». La psychanalyse, écrit Onfray, «est une discipline vraie et juste tant qu’elle concerne Freud et personne d’autre», dans la mesure où elle tient à «la transformation des instincts, des besoins physiologiques d’un homme en doctrine ayant séduit une civilisation», et aux «mécanismes de l’affabulation ayant permis à Freud de présenter objectivement, scientifiquement, le contenu très subjectif de sa propre autobiographie - en quelques mots, je propose ici l’esquisse d’une exégèse du corps freudien…»
[...] Si la psychanalyse n’est que l’autobiographie de Sigmund Freud, comme le soutient Onfray, elle révèle un homme bien peu… légendaire. Mais, depuis Freud, la psychanalyse, en dépit de toutes les critiques, a connu un essor considérable. On ne peut pas seulement expliquer son succès par le fait qu’elle a «fait entrer le sexe dans la pensée occidentale», qu’elle s’est instituée en «église» protégée par ses dévots, que le «freudo-marxisme» (Reich, Marcuse, les enfants de Mai 68…) lui a donné une patine «plus séduisante», ou qu’elle se trouve à présent en syntonie avec le culte narcissique du Moi que célèbre l’individualisme libéral. Ses praticiens, dont on ne peut pas penser qu’ils soient tous incapables de reconnaître un «effet placebo», peuvent attester son efficacité pour soulager les souffrances ou délier les «nœuds» qui empêchent de bien vivre. Ses concepts sont utilisés par tout le monde - y compris par Onfray, qui, par exemple, à propos du rapport de Freud à Nietzsche parle de «meurtre du père» - et elle est devenue l’une des langues de notre culture. Aussi n’est-il pas sûr que la bombe lancée par Onfray parvienne à la «pulvériser» : cela est aussi difficile que de vouloir éliminer les racines latines du français ou de l’italien.
(C) Libération - Robert MAGGIORI