"Ce diagnostic du nihilisme, de la morbidité de notre temps, voilà encore l’actualité de Nietzsche ?
Nietzsche disait qu’il fallait exiger trois qualités chez quelqu’un qui se mêlait de penser. D’abord, se situer en dehors de l’université. Cela va de soi. Vous savez de quel poids pèse la cléricature universitaire sur les esprits, partout, et surtout en France, avec sa « république des professeurs ». Vous n’avez pas le droit de penser en dehors de la faculté. Moi-même, je ne suis pas censé penser, comme beaucoup d’autres… La seconde qualité exigée par Nietzsche est d’être un bon philologue. S’intéresser au plus près aux textes, à la langue, au style. La troisième est le coup d’œil médical. Sans ses trois qualités, vous ne penserez pas très loin, vous resterez un « âne » comme il dit, qui porte le poids des idées reçues… Faire le diagnostic de son époque. Il n’est pas le seul. Un autre médecin de l’âme fait sensation ces mêmes années, ils ont même une amie commune, Lou Salomé, c’est un certain Freud, qui va parler d’un « malaise dans la civilisation ». Le coup d’œil médical de Nietzsche, ce regard porté sur l’homme depuis la « grande santé », repérer ceux qui renient la vie, détestent la joie, s’effraient du tragique, tout cela apporte un éclairage féroce sur notre époque. Je récapitule, pour bien penser donc, fuir l’université, philologie au plus près des grands textes, regard médical, tout ceci pour reconnaître à qui on a affaire, à…
… à des grands malades ou pas ?
(éclat de rire)… Oui, à des grands malades ! Ouvrez les yeux, dit Nietzsche, regardez bien, la Terre a une maladie qui s’appelle l’Homme, cet être souffrant, malheureux, mais surtout, cette créature qui aime tant souffrir… Ça, c’est blasphématoire."
Entretien de Philippe SOLLERS avec Frédéric JOIGNOT - LEMONDE.FR
Nietzsche disait qu’il fallait exiger trois qualités chez quelqu’un qui se mêlait de penser. D’abord, se situer en dehors de l’université. Cela va de soi. Vous savez de quel poids pèse la cléricature universitaire sur les esprits, partout, et surtout en France, avec sa « république des professeurs ». Vous n’avez pas le droit de penser en dehors de la faculté. Moi-même, je ne suis pas censé penser, comme beaucoup d’autres… La seconde qualité exigée par Nietzsche est d’être un bon philologue. S’intéresser au plus près aux textes, à la langue, au style. La troisième est le coup d’œil médical. Sans ses trois qualités, vous ne penserez pas très loin, vous resterez un « âne » comme il dit, qui porte le poids des idées reçues… Faire le diagnostic de son époque. Il n’est pas le seul. Un autre médecin de l’âme fait sensation ces mêmes années, ils ont même une amie commune, Lou Salomé, c’est un certain Freud, qui va parler d’un « malaise dans la civilisation ». Le coup d’œil médical de Nietzsche, ce regard porté sur l’homme depuis la « grande santé », repérer ceux qui renient la vie, détestent la joie, s’effraient du tragique, tout cela apporte un éclairage féroce sur notre époque. Je récapitule, pour bien penser donc, fuir l’université, philologie au plus près des grands textes, regard médical, tout ceci pour reconnaître à qui on a affaire, à…
… à des grands malades ou pas ?
(éclat de rire)… Oui, à des grands malades ! Ouvrez les yeux, dit Nietzsche, regardez bien, la Terre a une maladie qui s’appelle l’Homme, cet être souffrant, malheureux, mais surtout, cette créature qui aime tant souffrir… Ça, c’est blasphématoire."
Entretien de Philippe SOLLERS avec Frédéric JOIGNOT - LEMONDE.FR