« S’il est un jazzman majuscule qui mériterait davantage de siéger au panthéon des musiciens, tant la mémoire collective le met indûment en retrait par rapport à bien d’autres, c’est bien lui, le pianiste Horace Silver, et c’est dommage que le public l’ait un peu éclipsé au profit d’autres qui lui sont inférieurs, mais qui savent un peu mieux faire mousser la notoriété. Pourtant, Dieu sait combien il est important dans l’histoire du jazz, cet héritier de Bud Powell. Ce double CD, qui reprend les enregistrements des années 1952 à 1956 fait la part belle au compositeur exceptionnel qu’il était (« Sister Sadie ») avec seulement deux standards qui ne sont pas de lui (« The Night Has a Thousand Eyes » et « For Heaven’s Sake »), ainsi qu’une composition de son fidèle ami saxophoniste ténor Hank Mobley (« Hank’s Tune »). Tout le reste est de sa main. Quel musicien ! Musicien-phare du hard bop, inventeur du funky jazz, il a sorti le bebop de ses excès virtuoses parfois gratuits pour lui recoller ses racines, le sens de la ferveur, de la danse, de la transe, du blues et du gospel. Cela tient sans doute à ses origines africaines (son père était cap-verdien et jouait les mournas mélancoliques et dansantes de son pays) et à son éducation baptiste, ainsi qu’au fait qu’il jouait également du sax ténor. Le jeu d’Horace Ward Martin Tavares Silva (c’est son vrai nom), éminemment percussif et aux nuances dansantes redonnait aux amateurs de jazz comme aux musiciens cette jubilation qu’ils avaient éprouvée dans les années swing et au début du bebop. Un jazz de combat, agressif, mordant, qui illustrait la lutte pour les Droits Civiques et plus largement pour les Droits tout court de sa communauté dont il était partie prenante. Les jazzmen qui sont autour de lui (Art Blakey avec qui il créa les Jazz Messengers, Clifford Brown, Hank Mobley, Art Farmer, Kenny Dorham, Donald Byrd, Doug Watkins, Louis Hayes, Blue Mitchell, Clifford Jordan ou Junior Cook) sont tous des pointures extraordinaires. Cet album exceptionnel est préfacé par Alain Gerber, et surtout par Alain Tercinet (papier précis et lumineux qui éclaire bien la personnalité d’Horace Silver, et dans lequel je ne suis pas peu fier de relever, enfin, un « pain » énorme dû vraisemblablement à un copiste, car je sais Tercinet incapable de cela : ce n’est pas Percy Faith mais Percy Heath qu’il faut lire. Nos lecteurs, comme on dit, avaient rectifié d’eux-mêmes). Au total, un album indispensable à acquérir avec le précédent, Art Blakey (FA 286) qu’il complète en quelque sorte. »
Par Michel BEDIN – ON MAG
Par Michel BEDIN – ON MAG