« Django Reinhardt Swing de Paris dévoilera ses panneaux le samedi 6 octobre à La Cité de la Musique, à La Villette. Et ce jusqu'au 23 janvier 2013. La France fêtera alors le soixantième anniversaire de la mort de son plus grand guitariste, sans doute le plus marquant de la musique de jazz du vingtième siècle. Le moment de se pencher sur l'oeuvre phonographique du géant. A ce titre, il convient de saluer le travail unique de Daniel Nevers. Le musicologue, pour le label Frémeaux et Associés, a publié entre 1996 et 2007, l'Intégrale (en vingt doubles CD) du génial Manouche. S'appuyant sur le matériel des collectionneurs du monde entier, Nevers a enchaîné chronologiquement toutes les interventions enregistrées du magicien. Y compris les séquences où chanteurs et bals musette de son temps réquisitionnaient le Gitan, dont le moindre chorus vaut merveille. Une entreprise incontournable pour qui veut comprendre le personnage dans son époque. L'amateur retrouve un appareil critique équivalent à celui des musiciens classiques, comme Beethoven, Bach ou Mozart. Qu'on en juge : 750 pages de commentaires et de documentation renforcent le corpus discographique des coffrets. Un travail érudit, précieux, inégalé. Qui rend hommage à Django. Mort à Samois-sur-Seine à côté de Paris en 1953, Django reste le seul Européen dont le nom a marqué l'une des expressions créatives les plus importantes du vingtième siècle, le jazz. Django (à gauche sur la photo, à côté de Stéphane Grapelli), l'un des personnages emblématiques de cette musique, a rejoint les figures dont le surnom a franchi le cap du XXIe siècle : Bix, Miles, Monk, Bird, Trane, Pres, Hawk, Duke, Dizzy, et Louis. "Normal : c'est un musicien intemporel, comme Armstrong, Parker ou Coltrane", selon l'expression du spécialiste (et guitariste) Elios Ferré. Ce dernier, s'agissant des guitaristes manouches, m'avait formulé, il y dix ans, la séduisante réflexion : « Les guitaristes qui prétendent jouer comme Django sont des imposteurs. Nous ne jouons pas DU Django. Nous jouons POUR Django ». Elios, et son petit frère Boulou Ferré, affichent un parcours richissime dans le jazz. Leur père Matelo a accompagné Django pendant toute la période du Quintette du Hot Club de France. Je leur ai demandé de préciser la silhouette du Manouche au sein de la confrérie des géants.
Quel retentissement conserve Django dans l'histoire du jazz ?
Elios Ferré : Django a créé un langage qui a fait école partout. Dans n'importe quelle grande ville du monde j'ai trouvé un "Quintette du Hot Club". A Tokyo, Londres, San Francisco, Oslo, et même à Shanghaï. Son discours n'a jamais eu d'équivalent. Après lui, tous les guitaristes ont parlé le Django. Il a marqué les contemporains les plus capés. L'altiste Sonny Stitt m'a déclaré que Django était un "génie". Avec Joseph Reinhardt, le frère de Django, nous étions allés dans sa loge féliciter Wes Montgomery, considéré comme le monstre sacré des guitaristes américains, après son concert parisien de 1964 (en trio avec le pianiste Harold Mabern). Wes nous a confirmé ceci : ses deux guitaristes préférés étaient un Américain et un Français. Charlie Christian et Django Reinhardt.
Les jazzmen les plus inattendus connaissent les accords de Nuages. Nous l'avons vérifié avec Warne Marsh, le saxophoniste ténor de l'école Cool, sur la scène parisienne du New Morning en 1983. En rappel, Warne a repris Nuages avec Boulou. Aujourd'hui, d'un bout à l'autre de la planète, de Larry Coryell à Jim Hall, en passant par Philippe Catherine, les guitaristes sont légion à reconnaître en Django le plus fondateur d'entre leurs rangs. Dans les autres styles, idem. En Blues, BB King a reconnu officiellement son influence. En Rock, un agent d'Eric Clapton m'a contacté : il cherchait une guitare Maccaferi Selmer. Le guitar hero anglais voulait jouer Django...
Boulou Ferré : Je me souviens d'une soirée chez Maurice Cullaz. Le célèbre musicologue a passé les vinyles de la Djangologie. Parmi les invités, de passage à Paris, l'organiste Jimmy Smith. L'Américain CHANTAIT les solos par cœur! J'aimerais compléter le propos : Django ne plaisait pas uniquement aux collègues musiciens. Tout le monde l'appréciait. De l'écrivain au cordonnier, de la ménagère au boucher du coin. Je vous renvoie aux écrits de Cocteau sur "le fils de l'air". L'œuvre de Django exprime le même esprit de liberté que Picasso, Charlie Chaplin ou Louis Armstrong. Dans le vingtième siècle, je situe Django à leur niveau de création. La confirmation? Considérez l'œuvre. Ce que le gars a réalisé en 43 ans de vie reste ahurissant. Il devait dormir une heure par jour... (…) »
Par Bruno PFEIFFER – LIBERATION
Quel retentissement conserve Django dans l'histoire du jazz ?
Elios Ferré : Django a créé un langage qui a fait école partout. Dans n'importe quelle grande ville du monde j'ai trouvé un "Quintette du Hot Club". A Tokyo, Londres, San Francisco, Oslo, et même à Shanghaï. Son discours n'a jamais eu d'équivalent. Après lui, tous les guitaristes ont parlé le Django. Il a marqué les contemporains les plus capés. L'altiste Sonny Stitt m'a déclaré que Django était un "génie". Avec Joseph Reinhardt, le frère de Django, nous étions allés dans sa loge féliciter Wes Montgomery, considéré comme le monstre sacré des guitaristes américains, après son concert parisien de 1964 (en trio avec le pianiste Harold Mabern). Wes nous a confirmé ceci : ses deux guitaristes préférés étaient un Américain et un Français. Charlie Christian et Django Reinhardt.
Les jazzmen les plus inattendus connaissent les accords de Nuages. Nous l'avons vérifié avec Warne Marsh, le saxophoniste ténor de l'école Cool, sur la scène parisienne du New Morning en 1983. En rappel, Warne a repris Nuages avec Boulou. Aujourd'hui, d'un bout à l'autre de la planète, de Larry Coryell à Jim Hall, en passant par Philippe Catherine, les guitaristes sont légion à reconnaître en Django le plus fondateur d'entre leurs rangs. Dans les autres styles, idem. En Blues, BB King a reconnu officiellement son influence. En Rock, un agent d'Eric Clapton m'a contacté : il cherchait une guitare Maccaferi Selmer. Le guitar hero anglais voulait jouer Django...
Boulou Ferré : Je me souviens d'une soirée chez Maurice Cullaz. Le célèbre musicologue a passé les vinyles de la Djangologie. Parmi les invités, de passage à Paris, l'organiste Jimmy Smith. L'Américain CHANTAIT les solos par cœur! J'aimerais compléter le propos : Django ne plaisait pas uniquement aux collègues musiciens. Tout le monde l'appréciait. De l'écrivain au cordonnier, de la ménagère au boucher du coin. Je vous renvoie aux écrits de Cocteau sur "le fils de l'air". L'œuvre de Django exprime le même esprit de liberté que Picasso, Charlie Chaplin ou Louis Armstrong. Dans le vingtième siècle, je situe Django à leur niveau de création. La confirmation? Considérez l'œuvre. Ce que le gars a réalisé en 43 ans de vie reste ahurissant. Il devait dormir une heure par jour... (…) »
Par Bruno PFEIFFER – LIBERATION