« Dans l'histoire du jazz, le contrebassiste, compositeur et chef d'orchestre Charles Mingus (1922-1979) occupe une place singulière. Par sa personnalité explosive. Sa révolte constante contre le racisme et l'ordre établi. Sa sensibilité d'écorché vif. Son caractère aussi irascible qu'imprévisible, le précipitant dans des colères mémorables dont faisaient les frais aussi bien ses musiciens que le public de ses concerts. Cette personnalité ombrageuse fait mieux que se traduire dans sa musique : elle en est le moteur, elle la sous-tend. Même dans ses compositions les plus apaisées, elle se laisse deviner, sous l'apparente (et provisoire) sérénité, à on ne sait quelle sourde impatience. Musicalement, une sorte de jalon à une croisée des chemins. Profondément marqué par ses racines négro-américaines, blues et gospel tel qu'il le découvrit dès l'enfance à la Holiness Church et dont la transe ne cessera de l'inspirer. Par Duke Ellington, qu'il idolâtre et dont l'influence est manifeste sur sa conception orchestrale. Par Charlie Parker et le bebop dont il est, à plus d'un titre, l'héritier et dont il prolonge l'énergie. En même temps, habité par des conceptions révolutionnaires, en accord avec son état d'esprit. Elles se traduisent par les explosions collectives, spontanées, qui jalonnent ses enregistrements. Un chaos volontairement entretenu, mais dont la sincérité ne saurait être mise en doute.
Préfigurant les exigences libertaires du free jazz. Il n'est, du reste, pas illégitime de voir en lui un précurseur de ce courant contestataire - même si son oeuvre conserve des structures parfaitement maîtrisées et reste, au moins par intermittence, habitée par le swing. Pour faire connaissance avec ce personnage hors normes qui marqua son époque sans générer cependant de disciple explicite, pour écouter quelques-uns de ses chefs-d'oeuvre incontestables de la période 1947-1960, rien de mieux que le coffret de deux CD que lui consacrent Frémeaux et Associés dans leur collection "The Quintessence". Un mot d'abord sur ces Quintessences. Déjà plus d'une soixantaine de publications, de Bessie Smith et Louis Armstrong à Stan Getz et Miles Davis, de Django Reinhardt à Billie Holiday. Parmi les dernières sorties, Art Pepper, Ahmad Jamal, Bill Evans, Cannonball Adderley, Max Roach. Aucun de ces coffrets ne laisse indifférent. Outre leur qualité technique, tous sont remarquables par la pertinence de la sélection et la richesse d'un livret qui ne laisse rien ignorer du musicien, de son époque et de son oeuvre, des circonstances des enregistrements, de tout ce qui permet d'appréhender au mieux son originalité. Pour s'en tenir au coffret Mingus, il s'ouvre sur une composition d'icelui, Mingus Fingers, qu'il enregistra à la fin de 1947 avec le grand orchestre de Lionel Hampton et qui témoigne déjà de ses qualités d'arrangeur. Il se poursuit avec des extrais significatifs de tous les albums marquants gravés durant la première partie de sa carrière, dont "Pithecanthropus Erectus" et son morceau éponyme, " Tijuana Moods", "Blues & Roots" avec un Moanin' homonyme mais différent de celui de Bobby Timmons, "Ah ! Hum !" et autres "Mingus Dynasty". Sans compter "Charles Mingus Presents Charles Mingus" et son emblématique Original Fables Of Faubus, composé vraisemblablement dès 1957, enregistré, pour ce qui est de cette version (la plus prenante), en 1960, en compagnie de Dannie Richmond, Eric Dolphy et Ted Curson. Une diatribe virulente contre le gouverneur de l'Arkansas qui venait de s'illustrer à Little Rock, provoquant des émeutes sanglantes et devenu le symbole vivant de la ségrégation raciale.
Autant de joyaux présentés dans un écrin digne d'eux. Je veux parler des textes d'Alain Tercinet et d'Alain Gerber dont la collaboration fait merveille depuis des lustres et constitue un des attraits essentiels d'une formule en tous points attachante. Le premier commente le contenu musical avec une précision et une érudition sans faille. Nulle aridité, toutefois, dans son propos que viennent pimenter des anecdotes, des jugements, des citations éclairantes. Quant au second, directeur en titre de la collection, il connaît l'art de brosser un portrait, de suggérer en quelques images les traits marquants d'une personnalité. D'en saisir l'originalité. De Charles Mingus, "écorché vif sur un lit de clous", il écrit qu'il se croyait "la cible élue du désastre, le souffre-douleur personnel de toutes les oppressions, le préjudice incarné." On ne saurait mieux dire. Toute sa présentation, véritable poème en prose, est de la même eau. La plus pure, la plus limpide. La plus pertinente aussi, à n'en pas douter. »
Par Jacques ABOUCAYA – SALON LITTERAIRE
Préfigurant les exigences libertaires du free jazz. Il n'est, du reste, pas illégitime de voir en lui un précurseur de ce courant contestataire - même si son oeuvre conserve des structures parfaitement maîtrisées et reste, au moins par intermittence, habitée par le swing. Pour faire connaissance avec ce personnage hors normes qui marqua son époque sans générer cependant de disciple explicite, pour écouter quelques-uns de ses chefs-d'oeuvre incontestables de la période 1947-1960, rien de mieux que le coffret de deux CD que lui consacrent Frémeaux et Associés dans leur collection "The Quintessence". Un mot d'abord sur ces Quintessences. Déjà plus d'une soixantaine de publications, de Bessie Smith et Louis Armstrong à Stan Getz et Miles Davis, de Django Reinhardt à Billie Holiday. Parmi les dernières sorties, Art Pepper, Ahmad Jamal, Bill Evans, Cannonball Adderley, Max Roach. Aucun de ces coffrets ne laisse indifférent. Outre leur qualité technique, tous sont remarquables par la pertinence de la sélection et la richesse d'un livret qui ne laisse rien ignorer du musicien, de son époque et de son oeuvre, des circonstances des enregistrements, de tout ce qui permet d'appréhender au mieux son originalité. Pour s'en tenir au coffret Mingus, il s'ouvre sur une composition d'icelui, Mingus Fingers, qu'il enregistra à la fin de 1947 avec le grand orchestre de Lionel Hampton et qui témoigne déjà de ses qualités d'arrangeur. Il se poursuit avec des extrais significatifs de tous les albums marquants gravés durant la première partie de sa carrière, dont "Pithecanthropus Erectus" et son morceau éponyme, " Tijuana Moods", "Blues & Roots" avec un Moanin' homonyme mais différent de celui de Bobby Timmons, "Ah ! Hum !" et autres "Mingus Dynasty". Sans compter "Charles Mingus Presents Charles Mingus" et son emblématique Original Fables Of Faubus, composé vraisemblablement dès 1957, enregistré, pour ce qui est de cette version (la plus prenante), en 1960, en compagnie de Dannie Richmond, Eric Dolphy et Ted Curson. Une diatribe virulente contre le gouverneur de l'Arkansas qui venait de s'illustrer à Little Rock, provoquant des émeutes sanglantes et devenu le symbole vivant de la ségrégation raciale.
Autant de joyaux présentés dans un écrin digne d'eux. Je veux parler des textes d'Alain Tercinet et d'Alain Gerber dont la collaboration fait merveille depuis des lustres et constitue un des attraits essentiels d'une formule en tous points attachante. Le premier commente le contenu musical avec une précision et une érudition sans faille. Nulle aridité, toutefois, dans son propos que viennent pimenter des anecdotes, des jugements, des citations éclairantes. Quant au second, directeur en titre de la collection, il connaît l'art de brosser un portrait, de suggérer en quelques images les traits marquants d'une personnalité. D'en saisir l'originalité. De Charles Mingus, "écorché vif sur un lit de clous", il écrit qu'il se croyait "la cible élue du désastre, le souffre-douleur personnel de toutes les oppressions, le préjudice incarné." On ne saurait mieux dire. Toute sa présentation, véritable poème en prose, est de la même eau. La plus pure, la plus limpide. La plus pertinente aussi, à n'en pas douter. »
Par Jacques ABOUCAYA – SALON LITTERAIRE