Le rhythm’n’blues est une musique fantastique ! Cette formidable compilation retrace en trois CD son aspect le plus rockant. En France le terme prêt à confusion. Considéré dans les années 40 et 50 par les critiques de jazz comme une forme dansante et commerciale de la musique noire, il est dans la décennie suivante amalgamé à la soul du fait de la série Rhythm’n’blues formidable qui présente les champion du genre (Otis Redding, Wilson Pickett, Aretha Franklin, etc.). Aujourd'hui le terme sert à désigner une soupe à base de hip-hop. De plus un certain révisionnisme voudrait depuis quelques années le renommer rock’n’roll, ajoutant un peu plus à la confusion quant à la perception de cette forme musicale qui fut l’expression des Afro-américains de 1945 à 1955. Dans les années 40, lorsque la plupart des big bands cessent leurs activités pour des raisons économiques, le jazz se scinde en deux branches : les boppers qui, à la suite de Charlie Parker et Dizzy Gillespie, jouent un jazz intellectualisé, plus complexe harmoniquement, et le rhythm’n’blues dont le pionnier fondateur et le héros incontesté est Louis Jordan qui a comme ambition de divertir et faire danser le public. Parmi les quelques 10 000 morceaux enregistrés dans le genre, cette compilation privilégie ceux comportant le mot rock dans le titre. Le terme rock, apparu dès les origines du jazz, du blues et du gospel, ne garantit pas pour autant que les chansons sont du rock’n’roll… et elles n’en sont pas, même si elles déménagent furieusement. Vouloir faire passer le rhythm’n’blues pour du rock’n’roll, c’est lui enlever sa glorieuse spécificité, sa diversité (jump blues, boogie-woogie, blues shouters, guitar killers, groupe vocaux…) et lui dénier son existence en tant que forme musicale à part entière. En effet, quel rapport y a-t-il entre Louis Jordan et Gene Vincent, Eddie Cochran ou Lin k Wray, si ce n’est un fil conducteur qui a connu bien d’autres mélanges avant d’en arriver là ? Rendons à Wyonie Harris, Roy Brown, Amos Milburn, Ruth Brown, Louis Jordan, Piano Red, Tiny Bradshaw, Big Mama Thornton et tous les grands artistes présents dans ce coffret indispensable ce qui leur appartient : d’avoir été la voix de leur communauté au travers d’une musique originale, dansante, joyeuse, d’une richesse inouïe et qui, mélangée aux différentes formes musicales blanches, va donner à partir de 1954 le rock’n’roll tel qu’on l’entend : celui des pionniers (Bill Haley, Elvis Presley, Chuck Berry, Bo Diddley, Buddy Holly, etc.). Il suffit d’écouter « The Train Kept-A-Rollin’ » et sa pompe boogie par Tiny Bradshaw et la version hallucinante, chargée d’électricité de Johnny Burnette pour comprendre en un éclair la différence entre ces deux formes. De nos jours, des dizaines de combos rejouent ce style et, si d’aventure on leur demande de définir leur musique, ils répondent fièrement : «On fait du rhythm’n’blues !»
Par Tony MARLOW – JUKE BOX MAGAZINE