Dès 1962, les American Folk Blues Festivals organisés par deux allemands, Fritz Rau et Horst Lippmann, ont permis à une masse d’Européens de découvrir enfin en chair et en os un panel d’artistes de blues de diverses orientations, du blues rural et du blues urbain, des solistes, des duos et des groupes… Curieux ou collectionneurs de disques avertis, chacun s’en délectait. Ceci est à la base du fameux Blues Revival anglais des années 60, dont les effets se font encore sentir de nos jours un peu partout. C’est aussi grâce à ces AFBF (1962-1984) que le blues, en tant que style musical à part entière, s’est créé une place solide dans le monde musical mondial. En France, c’est à Paris et en octobre que furent donnés deux concerts de la cuvée 1962. Tous les professionnels prédisaient un fiasco mémorable (« qui veut voir et écouter cela ? »). Pourtant, l’Olympia a été comble pour le premier concert qui démarra à 18h et comble encore pour le second commençant à minuit. Il y avait là beaucoup de curieux et des snobinards venus découvrir et surtout critiquer, des amateurs de jazz qui connaissaient Memphis Slim (installé à Paris depuis novembre 1961), T-Bone Walker ( qui avait fait partie de jazz bands). Il y avait aussi des amateurs de rock and roll de l’époque, attirés par une promotion sur Europe 1 et par des affiches annonçant « un festival de rock ’n roll ». Alléchés également par la présence de John Lee Hooker qui était déjà une icône en Angleterre avec « Mr. Shake It Baby » et qui avait été judicieusement placé en tête du spectacle pour servir de faire valoir aux artistes moins connus en Europe comme le duo Sonny Terry (hca) Brownie McGhee (g), Shakey Jake (vo, hca), Jump Jackson (dm), Helen Humes (vo) et même Willie Dixon (vo, b). Bref, les oiseaux de mauvaise augure en furent pour leurs frais, mais il y eut quand même des incidents quand T-Bone Walker se livra, en fin de morceau, à ses fantaisies gymniques (grand écart, jeu de guitare derrière la tête…) suscitant des huées qu’il balaya d’un revers de la main « Je suis habitué aux huées, mais c’est la première fois que cela m’arrive dans un théâtre, et je pense que c’est bien, c’est qu’on aime ce qu’on écoute, sinon on se lève et on s’en va… ». Au cours du second concert, dans la nuit, il mit tous ses détracteurs d’accord en se livrant à un tour de force à la guitare sur un classique du bebop, le « Moanin’ » de Bobby Timmons, déclanchant une ovation soutenue tout à fait justifiée… Et tout cela, on peut maintenant l’écouter dans la série « Live in Paris » grâce à cette nouvelle initiative de Patrick Frémeaux et ses partenaires. Les deux concerts ont été enregistrés par une technique radio d’Europe 1, mais les enregistrements sont restés introuvables pendant 52 ans, jusqu’à ce que Michel Brillé tombe dessus en décembre 2014, un peu par hasard. Les deux premiers albums du coffret reprennent l’intégralité du premier concert avec les présentations (Memphis Slim), les commentaires et les réactions du public, Willie Dixon se taillant un beau succès avec entre autres son « Nervous » (peut-être une pique destinée à John Lee Hooker qui était bègue. Le troisième album est consacré au second concert avec des reprises mais aussi de nouveaux morceaux de John Lee Hooker (Everyday et It’s My Own Fault), T-Bone Walker (Moanin’) et Helen Humes (Married Man Blues). Inutile de préciser que ce coffret est un must.
Par Robert SACRE- ABS
Par Robert SACRE- ABS