Une simple chanson populaire dans la Louisiane du début du XXe siècle, « Les Haricots Ne Sont Pas Salés », devenue en français créole Zarico é Pa Sale, allait ouvrir la porte à un tout nouveau style musical propre à l’Etat du pélican – une musique noire Créole appelée à devenir plus tard la musique zarico ou zydeco par fusion de cette musique créole – influencée par la musique cajun blanche – avec le blues. Ce nouveau style conservera l’accordéon cher aux musiques cajun et créole et occasionnellement le violon et y ajoutera des percussions (le frottoir) aux côtés des batteries, et plus tard, des guitares et des cuivres. C’est Jean Buzelin, un spécialiste, qui retrace l’histoire de ce qu’on appelle parfois la « musique la-la » ou le « blues français de Louisiane » dans les notes de pochette très bien documentées et illustrées d’un coffret de deux CD avec 48 faces dont beaucoup sont très rares. Il repart des tout débuts dans les années 20. D’abord la musique créole avec les pionniers dont on a des enregistrements comme les duos mixtes (noir-blanc) Douglas Bellar (chant et violon) avec Kirby Riley (accordéon diatonique) en 1929, avec Amédée Ardoin (chant et accordéon diatonique), avec Dennis McGee (violon) en 1929, 1930 et 1934, ainsi que deux faces d’Amédée Ardoin en solo (chant et accordéon) en 1934. Jean Buzelin y a ajouté des faces plus obscures de musiciens découverts par John et Alan Lomax pour la Library of Congress comme les Jurés * de Jimmy Peters (chant) avec les Ring Dance Singers (1934), comme Paul Junius Malveaux avec Ernest Lafitte de 1934 et comme Oakdale Carriere (vo, acc.), (1934) un forçat du pénitencier d’Angola. Le Français créole était la règle… Puis c’est la traversée du désert pendant plus de 20 ans. Il n’y a plus d’enregistrement d’accordéonistes noirs. Ce n’est qu’après 1950 que l’accordéon chromatique amplifié électriquement et les guitares électriques marquent l’avènement du zydeco, un style en synergie totale avec le blues et gardant des paroles mi-françaises créoles, mi-anglaises. Ce n’est pas la fin de la musique créole noire, qui se perpétuera encore très longtemps avec des duos d’accordéonistes comme Albert Chevalier et Robert Clemon (1961) ou Willie Green et Joe Savoy (1961), mais aussi avec Alphonse « Bois Sec » Ardoin (acc. ) et Canray Fontenot (violon) en 1972, les Frères Carrière (non représentés ici) et quelques autres. Quant au style zydeco proprement dit, il sera dominé par Clifton Chenier (chant et accordéon chromatique) avec son frère Cleveland (frottoir). Dix faces lui sont consacrées à juste titre. La tradition se perpétue de nos jours avec son fils C.J.Chenier. Mais il y en eut d’autres, dont on retrouve quelques exemples dans cette anthologie : Boozoo Chavis, Clarence Garlow, Leo Morris, Lonnie Mitchell et quelques musiciens plus obscurs comme Thadeus Declouet, Dudley Alexander… Sans oublier le bluesman Lightnin’Hopkins (apparenté à Clifton Chenier) qui interpréta « Zologo » (déformation de zydeco) à l’orgue, en 1948. La période 1929-1972 était jusqu’à présent sommairement couvert sur des supports difficiles – voire impossibles – à acquérir. Ce coffret par contre restera longtemps au catalogue de Frémeaux & Associés, ce qui ne doit empêcher personne de se le procurer sans délai. Il y a toujours des orchestres zydeco de nos jours, mais le français créole a fait place à l’anglais.
* Les « jurés » sont des chants religieux ou profanes. Ils sont dansés collectivement sous la conduite d’un meneur et sont rythmés avec les pieds et des battements de main. Ils sont, avec les blues, à l’origine du style zydeco.
Par Robert SACRE - ABS
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