« Voilà un document historique exceptionnel : en trois volumes et un livret bourré d’informations, une anthologie des musiques maghrébines créées et produites à Lyon des années 70 aux années 90, et qui, pour l’éditeur Frémeaux, spécialiste des traditions musicales populaires de la planète, «font partie intégrante du patrimoine populaire français». De quoi s’agit-il ? Des centaines de cassettes, produites et enregistrées par des maisons de disques implantées autour de la «Place du Pont» (aujourd’hui Place Gabriel-Péri), dans le quartier de la Guillotière à Lyon. Chanteurs algériens majoritairement, mais aussi marocains et tunisiens, reflétant la prééminence de l’immigration algérienne en France dans ces années-là. Ce travail remarquable a été mené par le Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes, et dirigé par Péroline Barbet, qui nous livre ici un livret très richement documenté, qui explique le rôle social de premier plan que jouèrent ces musiques au sein des communautés maghrébines. Musiques d’affirmation identitaire, jouées souvent en «live» dans les cafés et les mariages par des musiciens qui étaient souvent «ouvriers la semaine et artistes le week-end». Parmi eux : Omar El Maghrebi, Azzi Kaddour, Cheb Kouider, Chaba Nacera, Rachid Staïfi, Louiza, Mokhtar Mezhoud, Louiza et tant d’autres... Que disent ces chansons ? Elles chantent l’exil d’abord, vécu tristement le plus tristement : «J’habite l’exil/Mon coeur malade/Malade de solitude», pleure Salah El Annabi dans «Hata fi Annaba» ; «Ni père, ni soeur, ni oncle/Seule perdue dans l’exil», chante Cheba Nacera dans «La ma la khayti». Elles se révoltent aussi contre le traitement fait aux immigrés : «Eh Mohamed, tes papiers ! Il faut rentrer chez toi !» ironise, en français, Arouah Lil dans «Chabati». Certaines peuvent aussi se faire slogans politiques : «J’en ai marre j’en ai marre (en français dans le texte) /nekhdem fil usine (je travaille à l’usine) (...) Je préfère Mitterrand-Rocard», chante en francarabe Omar El Maghrebi dans «J’en ai marre». Chansons qui chantent aussi, heureusement, l’amour et le mariage, thème de prédilection de la chanson populaire dans tout le Maghreb : «Elle est sortie du hammam/Faites-lui les youyous» se réjouit Mokhtar Mezhoud dans «Elle est sortie du hammam». Aujourd’hui le CD a remplacé la cassette, et, à Lyon, Paris, Marseille, les musiques maghrébines, et leurs artistes, se portent toujours bien, si l’on en juge par les affiches annonçant les concerts des uns et des autres, sur les murs des villes, et depuis les années 70 des radios ont même vu le jour, qui diffusent ces musiques, à l’instar de Beur Fm, et permettent d’adoucir les exils des nouveaux arrivants, et d’entretenir l’ancrage identitaire des anciens... »
Par Nadia KHOURI-DAGER – LE MONDE
Par Nadia KHOURI-DAGER – LE MONDE