« La valeur de témoignage de ces rééditions et leur exemplarité » par Le Salon Littéraire

"A une époque où la tentation est grande, pour les jeunes musiciens, de diffuser d’emblée au public leur propre musique sans prendre le temps de la maturation – et il est vrai que cela ne leur a jamais été aussi facile –,  la réédition des œuvres du passé se révèle précieuse. Elle leur permet de mesurer, preuves à l’appui, que le jazz n’est pas né aujourd’hui, ni même hier, et qu’ils s’inscrivent dans un long continuum dont ils ignorent souvent les méandres. Quant aux anciens, ils y redécouvrent, souvent avec émotion, des musiciens et des œuvres enfouis dans leur mémoire. Quand il ne s’agit pas de découvertes pures et simples. Cette manière d’exhumation présente en outre l’intérêt de faire surgir des prises négligées lors de leur enregistrement. Un « coup de neuf » appréciable, propre, parfois, à modifier les perspectives. (…) En ces années, fin des années 50 et début des sixties, florissait une véritable institution, le Jazz At The Philharmonic, ou JATP. Créé par Norman Granz, cet orchestre à géométrie variable tournait dans le monde entier et la formule adoptée, celle de la jam session plus ou moins préparée, permettait des joutes mémorables entre des musiciens souvent prestigieux. S’y retrouvèrent ainsi ou s’y croisèrent au fil des tournées des solistes de valeur, propulsés par une rythmique où officiaient les pianistes Oscar Peterson, Lou Levy, Russ Freeman, Vic Feldman ou Lalo Schiffrin, les bassistes Max Bennett, Sam Jones, Monty Budwig ou Art Davis, les batteurs Jo Jones, Gus Johnson, Shelly Manne ou Louis Hayes. Un tremplin pour des musiciens de la trempe de Dizzy Gillespie, Roy Eldridge, Stan Getz, Coleman Hawkins, Sonny Stitt, Benny Carter, d’autres encore, dignes de participer à ces sortes de combats des chefs. Paris accueillit le JATP plusieurs années consécutives, à l’Olympia ou à la Salle Pleyel. Un coffret de trois disques restitue, dans la collection « Live in Paris »,  l’essentiel des concerts de 1958 et de 1960 (2). Ils donnent une idée exacte de ce que l’on pouvait alors attendre d’une telle formule, avec ses qualités et ses défauts. Au nombre des qualités, l’émulation qui ne manquait pas de s’instaurer entre des solistes soucieux de se montrer à leur meilleur niveau. Ainsi de la joute entre Stan Getz et Dizzy Gillespie sur Bernie’s Tune, le 30 avril 58, ou la longue interprétation d’Indiana où interviennent notamment, le 25 novembre 90, les ténors Coleman Hawkins et Don Byas. Les esprits chagrins auront beau jeu de pointer les insuffisances inhérentes à l’enregistrement en direct qui interdit tout repentir, ainsi que le caractère souvent rudimentaire des arrangements. Sans doute le prix à payer pour sauvegarder une spontanéité des plus excitantes. Quoi qu’il en soit du bienfondé des réserves déjà émises à l’époque, n’en demeure pas moins la valeur de témoignage de ces rééditions et leur exemplarité."
Par Jacques ABOUCAYA – LE SALON LITTERAIRE