« Autant de pièces ciselées avec une précision qui ne se dément jamais » par Le Salon Littéraire

« A une époque où la tentation est grande, pour les jeunes musiciens, de diffuser d’emblée au public leur propre musique sans prendre le temps de la maturation – et il est vrai que cela ne leur a jamais été aussi facile –,  la réédition des œuvres du passé se révèle précieuse. Elle leur permet de mesurer, preuves à l’appui, que le jazz n’est pas né aujourd’hui, ni même hier, et qu’ils s’inscrivent dans un long continuum dont ils ignorent souvent les méandres. Quant aux anciens, ils y redécouvrent, souvent avec émotion, des musiciens et des œuvres enfouis dans leur mémoire. Quand il ne s’agit pas de découvertes pures et simples. Cette manière d’exhumation présente en outre l’intérêt de faire surgir des prises négligées lors de leur enregistrement. Un « coup de neuf » appréciable, propre, parfois, à modifier les perspectives. (…) Toujours dans la collection « Live In Paris », deux enregistrements réalisés en 1960 et 1961 à l’Olympia pour Europe N° 1. A l’affiche, une formation fort différente des ensembles cités plus haut, le Modern Jazz Quartet. Un groupe alors au faîte de la célébrité, caractérisé par le raffinement de ses interprétations, la complémentarité de ses membres – ainsi des effusions lyriques de Milt Jackson et de la précision rigoureuse de John Lewis. Un jazz de chambre dont le charme réside dans le choix de la nuance plutôt que de la couleur et dans le subtil mariage entre le jazz et la musique européenne du dix-huitième siècle, celle de Jean Sébastien Bach en particulier. Peu de surprises dans les trois disques composant le coffret : des thèmes emblématiques (Django, La Ronde, Vendome, signés par le pianiste, Bag’s Groove, The Cylinder de Milt Jackson) y voisinent avec des standards de Broadway ou la belle mélodie d’Ornette Coleman, Lonely Woman. Autant de pièces ciselées avec une précision qui ne se dément jamais. Une musique qui n’a pas pris une ride et dont demeure intact le pouvoir d’envoûtement. On a pu reprocher à John Lewis, Milt Jackson, Percy Heath et Connie Kay une certaine froideur, et sans doute sommes-nous aux antipodes de l’expressionnisme extraverti auquel d’aucuns associent le jazz. C’est oublier toutes les facettes qu’offre un genre musical qui ne se laisse enfermer dans aucune formule. C’est précisément dans cette diversité que réside son charme unique. »
Par Jacques ABOUCAYA – LE SALON LITTERAIRE