« Benny Lévy fut un excellent professeur » par Le Nouvel Observateur

« Périclès était mort. Il donnerait son nom au siècle. C'est pas tout le monde qui réussit un coup pareil. Socrate, un philosophe, soucieux du bien commun, s'interrogeait à ce propos sur la façon de trouver le meilleur pour gouverner. On était chez les Grecs, les anciens, pas les miteux d'aujourd'hui. Pour vous situer: cinq siècles avant Jésus-Christ. Platon, autre philosophe, fit alors dialoguer, dans ce que justement on appelait un dialogue, le philosophe Socrate et le jeune Alcibiade, un Athénien promis à un brillant avenir. Ce dialogue de Platon, connu sous le nom de «l'Alcibiade», est resté fameux et, en 1997, après Jésus-Christ, un certain Benny Lévy, agrégé de philosophie, docteur, même, normalien, donna un cours sur «l'Alcibiade» à l'université Paris-VII, une série de leçons, ce qu'on appelle un séminaire, onze leçons sur plusieurs mois, et il se trouve que ce cours, avec son accord, fut filmé par Pascale Thirode à la demande de Jackie Berroyer, lequel, à cette époque, était surtout connu pour jouer le standardiste dans l'émission «Nulle part ailleurs», sur Canal+, c'est moins vieux que Périclès puisque Jésus-Christ, on l'a vu, avait eu l'occasion d'intervenir, mais on n'en est pas loin.
Jackie Berroyer, vous allez voir que ce Lundi est un pur copinage, est un ancien de «Hara-Kiri», comme votre chroniqueur, et de «Charlie Hebdo» (premier du nom, celui qui paraissait sous Pompidolès et Giscardès), c'était à ses débuts, nous nous retrouvâmes plus tard, après ses contributions remarquées comme auteur et acteur de théâtre et de cinéma, dans «Siné Hebdo» puis maintenant «Siné Mensuel». Un rigolo, quoi. Eh bien ! ce rigolo, qui tint une émission de philosophie sur Canal+ (que tous ceux qui en ont fait autant lèvent le doigt), produisit donc le filmage des quinze heures de cours de Benny Lévy sur «l'Alcibiade» de Platon. Avec ses petits sous, sans l'aide de personne, parce qu'il était tellement admiratif qu'il ne voulait pas que ce cours se perde. Il y a vingt ans de cela et Benny Lévy est mort en 2003, mort et enterré, le film aussi, jamais sorti, était enterré. Pour son vingtième anniversaire, voici qu'il sort en un coffret de 4 DVD (chez Frémeaux et associés, quatre pour le prix d'un). Benny Lévy ? direz-vous peut-être, l'air interrogatif. Ben oui, alias Pierre Victor. Pierre Victor? Pierre Victor, élève d'Althusser, rue d'Ulm, et dirigeant dans l'après Mai-68 de la Gauche prolétarienne, puis secrétaire de Jean-Paul Sartre, né au Caire en 1945, mort à Jérusalem penché d'un côté sur le Talmud, de l'autre sur Levinas.
Quel acteur, ce Benny Lévy. L'acteur Berroyer ne s'y était pas trompé. Un bon professeur se doit d'être acteur. Benny Lévy fut un excellent professeur. Tous les profs de philo, si la nature humaine était bien faite, iraient y voir pour en prendre de la graine. Les étudiants, les lycéens en terminale, ne perdront pas leur temps ni leur effort d'attention à regarder au moins le documentaire d'introduction, on y voit des extraits du cours à Paris, des entretiens postérieurs entre Benny Lévy et Berroyer à Jérusalem, le sourire de Benny Lévy, sa voix, ses accents, ses gestes, il était prenant, ce gars. Regardez-le vous expliquer le mythe de la caverne, même sachant qu'on est le dernier des imbéciles en ces matières, on aura l'impression d'avoir tout compris. L'autorité ne surprend plus qu'il avait sur les militants et aussi quand il décida qu'il fallait arrêter les frais, dissoudre le mouvement. José Manuel Barroso, chef du gouvernement portugais puis président de la Commission européenne, qui fut une sorte de Pierre Victor en son pays, leader des étudiants d'extrême gauche avant de passer à droite pour finir maintenant dans la machine Goldman Sachs à pognon, Socrate et Platon n'auraient pas du tout aimé. Avant de se quitter: les Grecs d'aujourd'hui, traités plus haut de miteux, c'était de l'humour, c'était faire mine de les considérer comme les Barroso les considèrent. »
Par Delfeil de Ton – LE NOUVEL OBSERVATEUR