« Les brefs récits de vie de quatorze personnes nées entre 1860 et 1914 constituent la matière remarquable de ce document. Leurs paroles furent recueillies entre 1950 et 1990 par des instituteurs de la mouvance Freinet et leurs élèves. Outre l’épaisseur historique que ces paroles font entendre, elles disent la dureté du quotidien, mais aussi l’entraide, le sens de l’effort et la solidarité, valeurs qui fondent une communauté démocratique. La maison Frémeaux avait déjà édité une partie des archives l’association dont s’occupe l’ICEM-Pédagogie Freinet, des témoignages des derniers Terre-Neuvas. Entre 1960 et 1980, conscients de la disparition prochaine des témoins du mode de vie rural et industriel qui avait précédé la Seconde guerre mondiale, des instituteurs « freinetistes » collectèrent les souvenirs de paysans modestes et d’ouvriers dont la majorité n’avait pas connu l’école. Ces témoignages étonnent par leur liberté de ton : toutes ces personnes, dont la plupart sont nées avant 1914, ont à cœur de répondre aux élèves avec simplicité et exactitude, retrouvant souvent avec malice le temps de leur enfance. Sans doute sont-elles satisfaites de montrer qu’elles ont connu un monde inimaginable pour ces élèves qui connaissent l’électricité, la radio, le confort et que, malgré toutes les difficultés rencontrées, elles ont éprouvé la joie d’être au monde. Le livret fort bien fait permet d’accompagner cette écoute et de s’attacher à certains aspects socio-économiques de la vie de ces personnes : le métayage, la condition des servantes, les familles nombreuses, l’école, les patois, mais aussi la fabrication du charbon de bois, la mécanisation de l’agriculture, l’apparition des coopératives et l’exode rural. L’histoire personnelle s’accroche par moments à l’histoire du pays : les mouvements sociaux, le syndicalisme naissant, les effets de la Grande guerre travaillent la vie individuelle sans que la femme ou l’homme qui les traversent en soient bien conscients. Les trois cédés organisent ainsi les récits : dans le premier, s’expriment celles qui avaient été, très jeunes, ouvrières ou servantes ; dans le deuxième, sont interviewés des ouvriers agricoles ou des petits exploitants de l’entre-deux-guerres, et dans le troisième, des viticulteurs, un scieur de long et un tuilier. Si leurs voix font entendre la diversité des accents et des conditions, tous ces « gens modestes » se ressemblent par les épreuves qu’ils ont connues. Le premier CD concerne en gros la vie avant la Grande guerre et les deux autres la vie entre les deux guerres. Les élèves d’aujourd’hui sont ainsi invités à faire l’expérience du « recul vers une période passée » qui, comme le disait Marguerite Yourcenar, « vous donne des perspectives sur votre époque, et vous permet d’y penser davantage (…) ». »
Par Marie-José MINASSIAN - NATHAN
Par Marie-José MINASSIAN - NATHAN