Luc Ferry nous propose de “Penser Le XXIème siècle” en philosophe et égratigne au passage quelques idéologies portées par les gourous de l’ère numérique. Interview. (…)
ADN : Beaucoup craignent que les nouvelles technologies – l’IA, la robotique… - détruisent les emplois. D’autres annoncent la fin du travail ? Comment vous situez vous par rapport à ces débats ?
Luc Ferry : Ce n’est pas la fin du travail qui nous menace, car jusqu’à présent l’innovation a toujours créé plus emplois qu’elle n’en détruit. Le vrai problème, c’est plutôt celui des déversements massifs d’un secteur vers d’autres. Tout cela est bien connu depuis la révolte des luddites de 1811 ou des canuts de 1831 : les ouvriers tisserands se révoltent contre les nouvelles machines à tisser qui leurs volent leurs emplois ! Ils les sabotent, les détruisent les jettent dans le Rhône à Lyon, et la police réprime leurs manifestations dans le sang (de là le plat qu’on trouve dans tous les restaurant lyonnais et qui s’appelle la « cervelle de canut »). Bien entendu, c’est juste, sauf que les emplois perdus pour les canuts sont remplacés par d’autres, bien plus nombreux encore. Même chose avec Amazon et les libraires : il y a 3 000 librairies en France, combien en restera-t-il dans 20 ans ? Idem pour les agences de voyage et beaucoup d’autres métiers. Est-ce pour autant la fin du travail ? Sûrement pas ! Amazon crée des emplois, comme Uber ou Airbnb, simplement, ce ne sont pas les mêmes : comme disait Schumpeter, ce sont rarement les fabricants de bougies qui deviennent des fabricants d’ampoules. Le vrai problème, ce n’est pas la fin du travail, mais c’est la transition entre les emplois détruits et les emplois créés, c’est donc à la fois un problème de protection sociale des personnes et de formation professionnelle. (…)
ADN : Les débats politiques autour de ces questions vous semblent-t-ils à la hauteur ?
Luc Ferry : Non, la plupart des politiques ignorent tout de ces sujets hors quelques exceptions qui se comptent sur les doigts de la main. Même chose, hélas, dans le monde intellectuel qui continue allègrement de vivre dans la nostalgie de la troisième république, des blouses grises et des plumes sergent major… L’Europe semble mise au coin : c’est l’Amérique et plus singulièrement les « Gafa » qui donnent le ton… Les Européens, en général, sont debout sur les freins. Un jour le patron de Google m’a fait cette remarque : « Chez nous, m’a-t-il dit, devant la révolution numérique, on pense aussitôt en termes de services rendus aux consommateurs, chez vous, en terme de protection du citoyen ». Bien vu, en effet, et ces quatre mots ont du sens. Les Etats-Unis sont dans une voiture sans frein, nous sans accélérateur. Tout le but de mon CD est de tenter d’inviter à la réconciliation des deux…
Interview réalisée par Béatrice SUTTER – L’ADN
ADN : Beaucoup craignent que les nouvelles technologies – l’IA, la robotique… - détruisent les emplois. D’autres annoncent la fin du travail ? Comment vous situez vous par rapport à ces débats ?
Luc Ferry : Ce n’est pas la fin du travail qui nous menace, car jusqu’à présent l’innovation a toujours créé plus emplois qu’elle n’en détruit. Le vrai problème, c’est plutôt celui des déversements massifs d’un secteur vers d’autres. Tout cela est bien connu depuis la révolte des luddites de 1811 ou des canuts de 1831 : les ouvriers tisserands se révoltent contre les nouvelles machines à tisser qui leurs volent leurs emplois ! Ils les sabotent, les détruisent les jettent dans le Rhône à Lyon, et la police réprime leurs manifestations dans le sang (de là le plat qu’on trouve dans tous les restaurant lyonnais et qui s’appelle la « cervelle de canut »). Bien entendu, c’est juste, sauf que les emplois perdus pour les canuts sont remplacés par d’autres, bien plus nombreux encore. Même chose avec Amazon et les libraires : il y a 3 000 librairies en France, combien en restera-t-il dans 20 ans ? Idem pour les agences de voyage et beaucoup d’autres métiers. Est-ce pour autant la fin du travail ? Sûrement pas ! Amazon crée des emplois, comme Uber ou Airbnb, simplement, ce ne sont pas les mêmes : comme disait Schumpeter, ce sont rarement les fabricants de bougies qui deviennent des fabricants d’ampoules. Le vrai problème, ce n’est pas la fin du travail, mais c’est la transition entre les emplois détruits et les emplois créés, c’est donc à la fois un problème de protection sociale des personnes et de formation professionnelle. (…)
ADN : Les débats politiques autour de ces questions vous semblent-t-ils à la hauteur ?
Luc Ferry : Non, la plupart des politiques ignorent tout de ces sujets hors quelques exceptions qui se comptent sur les doigts de la main. Même chose, hélas, dans le monde intellectuel qui continue allègrement de vivre dans la nostalgie de la troisième république, des blouses grises et des plumes sergent major… L’Europe semble mise au coin : c’est l’Amérique et plus singulièrement les « Gafa » qui donnent le ton… Les Européens, en général, sont debout sur les freins. Un jour le patron de Google m’a fait cette remarque : « Chez nous, m’a-t-il dit, devant la révolution numérique, on pense aussitôt en termes de services rendus aux consommateurs, chez vous, en terme de protection du citoyen ». Bien vu, en effet, et ces quatre mots ont du sens. Les Etats-Unis sont dans une voiture sans frein, nous sans accélérateur. Tout le but de mon CD est de tenter d’inviter à la réconciliation des deux…
Interview réalisée par Béatrice SUTTER – L’ADN