« Dix ans après son dernier album et encerclé par la fervente section du groupe de rock Carré Blanc, Francis Lalanne a retrouvé le goût de chanter en mettant ses pas dans ceux de Léo Ferré. Il fait résonner et reverdit de manière étincelante la parole de l’anarchiste monégasque. Il y a presque vingt-quatre ans, Léo Ferré nous quittait un 14 juillet. Ultime pied de nez de la graine d'anar aux grandes messes républicaines. Et, on aurait alors parié pour les décennies à venir que son œuvre occuperait la place qui lui revenait de droit dans les mémoires. Or, on célèbre Brel, Barbara, Gainsbourg jusqu’à l’overdose. Lui, trop peu. Et, pourtant, Léo Ferré fut l’auteur-compositeur sans aucun doute le plus prolifique et complet de la chanson française. Peu aujourd’hui peuvent se prévaloir de reprendre de manière légitime l’œuvre de ce chanteur contestataire au physique de savant inspiré avec sa crinière blanche et son regard implacable même si ce soleil noir continue de nourrir de jeunes pousses de la chanson française (Dominique A, Miossec, Loïc Lantoine, Pierre Lapointe…). Après Lavilliers et Higelin hier (et même Catherine Lara !), c’est au tour de Francis Lalanne de marcher dans ses mots pour le tirer de la nuit froide de l'oubli. Etonnant ? Pas tant que ça. Car, Francis Lalanne et Léo Ferré avaient lié une belle et profonde amitié. De Léo Ferré, révélation de son adolescence, l’anarchisme échevelé l’habite toujours. Francis Lalanne voyait en lui un frère de poésie (il a accouché d’une œuvre poétique, forte déjà d’une dizaine de recueils) et on se souvient de leur duo télévisé sur "Avec le temps" en 1986. Même personnalité aussi trempée et éruptive côté cour qu’écorchée et sensible côté jardin, Francis Lalanne, souvent éreinté à tort par les outrances caricaturales d’une certaine presse, est un éternel chevalier en croisade, insurgé, indompté et insoumis avec toujours cette verve fougueuse et passionnée. Donc, c’est à juste titre, que le troubadour a souhaité reprendre quelques-uns des classiques de l’œuvre insubmersible et abondante du poète et qui traverse les océans de nos existences.
L'album débute par "Les Anarchistes" à la sobriété somptueuse, qui reste l’hymne de Léo Ferré et des anars de tous poils et qu'il a interprété pour la première fois en public le 10 mai 1968, lors de la "nuit des barricades", à la Mutualité, en soutien au Monde libertaire. Le reste n'est que convocation d'un patrimoine abondamment riche où il est difficile de ne pas reconnaître la valeur de ces chansons logées dans nos synapses et dont le taux de pénétration populaire a contribué à forger la légende de Léo Ferré : "C’est extra", "Vingt ans", "Jolie môme", chaloupée en diable, "Avec le temps", légèrement emphatique, "La mémoire et la mer" ici sublimée, "L’Affiche rouge" à l’intention intacte. Fidèles aux versions originales et seulement ajustés d'une petite pointe de modernité par le groupe de rock Carré Blanc, les arrangements font preuve d'une belle sobriété. Pas question ici de mettre le feu au lac. Si les tubes se ramassent à la pelle, Francis Lalanne nous gratifie néanmoins de deux raretés délectables dont un duo posthume avec Léo ("Pauvre Rutebeuf") et le sublime "A Léo". Au détour des vers, Francis Lalanne y dit son envie de revenir sur le devant de la scène, grâce à ce détour en mode Ferré. « Et, dans tout ce néant, j’ai compris aujourd’hui/ Que me couper du chant fut me couper les ailes; / Et que c’est en chantant que finira sans bruit, / Mon chemin sur la Terre avant que tu m’appelles… ».
Souhaitons-le rapidement tant Francis Lalanne n’en déplaise à certains esprits chagrins est un artiste majuscule avec le même lyrisme engagé et prophétique que son aîné Léo Ferré. A noter sur le disque un autre CD avec une longue interview de Francis Lalanne de plus d’une heure où il revient sur sa carrière et parle de Léo Ferré. »
Par POLE CULTURE