« Clifton Chenier (1925-1987) est un musicien génial qui a quasiment inventé à lui tout seul un style musical, le Zydeco, un mélange parfait de blues, de R&B, de pop et de musique cajun. Il en est à l’origine en tout cas. Il est né près d’Opelousas dans le sud-ouest de la Louisiane dans une famille de musiciens (accordéonistes, guitaristes, violonistes et joueurs de rubboards). Adolescent, Clifton apprend à jouer de l’accordéon diatonique (un ton) et son frère Cleveland (1921-1991) joue du rubboard. Ils se produisent dans les bals du samedi soir (les fais-do-do) tout en assumant des petits boulots (agriculteurs, chauffeurs pour Gulf…) et, dès 1941, Clifton passe à l’accordéon chromatique (tous les tons) tandis que Cleveland passe du rubboard en bois au frottoir en fer blanc qu’il « caresse » avec six décapsuleurs de bouteilles à chaque main. Ils inventent la musique zydeco moderne, montrant la voie à des douzaines d’orchestres de ce genre, encore extrêmement populaires en Louisiane de nos jours. La carrière de ces musiciens exceptionnels se déroule en deux parties séparées par une courte traversée de désert. Les années d’avant-guerre avec des succès locaux jusque 1960 et des débuts discographiques en 1954. Et le second départ (vers la gloire internationale), de 1964 (les années Arhoolie Records commencent) jusqu’à la mort de Clifton en 1987. Le reste est de l’histoire, et elle est super bien racontée par Jean Buzelin dans les notes de pochette de cette anthologie qu’il a produite pour Patrick Frémeaux. On y retrouve 24 faces de la première partie de la carrière des frères Chenier, celle du R&B, avec d’abord cinq faces gravées en 1954 sous le nom de Cliston Chanier (!) pour J.R. Fullbright et sa compagnie californienne Elko, revendues ensuite à Imperial Records. On y trouve Clifton’s Blues, le premier blues à l’accordéon. Cleveland n’est pas présent mais bien leur oncle Morris “Big” Chenier à la guitare. Dans la foulée, Clifton et Cleveland sont invités à Los Angeles par Fullbright et, en 1955, ils sont engagés par Art Rupe pour Specialty Records ; ils enregistrent alors quatre faces avec Philip Walker et quatre autres avec P.Walker et Lonesome Sundown (toutes sont ici) et quelques titres seront des hits régionaux comme Ay-Tete-Fee ou Squeeze Box Boogie. S’ensuivent des tournées dans tous les États-Unis (sans Cleveland Chenier) et, de passage à Chicago, les gens de chez Chess Records repèrent ce groupe (avec Philip Walker) et, en 1956 et 1957, ils enregistrent cinq faces reprises ici, dont un original My Soul co-écrit avec Etta James. Puis c’est le retour en Louisiane et au Texas, Clifton s’installe à Houston et il travaille avec Jay D. Miller à Crowley, LA. Entre 1958 et 1960, Cliton et son groupe enregistrent trois singles Zynn (les six faces sont ici) dont It Happened So Fast et le Worried Life Blues (de Big Maceo Merriweather – le passage à Chicago a laissé des traces…), toujours sans Cleveland qui ne rejoindra son frère que dans la « seconde » carrière, celle qui sera boostée par Chris Strachwitz et Arhoolie dès 1964. Mais ces enregistrements-là sont relativement accessibles, tandis que ceux qui sont repris ici sont – mais pas tous – dispersés dans plusieurs anthologies dont certaines ne sont plus disponibles. Vous savez ce qu’il vous reste à faire si vous n’avez pas ces faces ou seulement une partie, cette anthologie est un MUST absolu. »
Par Robert Sacré – ABS MAGAZINE