« Ces six CD documentent fort opportunément une œuvre abondante » par Jazz Magazine

La disparition le 24 octobre dernier de Fats Domino a suscité une couverture médiatique réservée aux artistes qui ont marqué leur époque. Nombreux sont ceux qui ont salué un pionnier du rock and roll, voire un de ses rois ! Formules à l’emporte-pièce et qui ne disent pas grand-chose de sa musique mais beaucoup de son aura. Car s’il a bien été porté par la vague du rock and roll à partir de 1955, il faisait partie du paysage musical américain depuis déjà longtemps. Le robuste pianiste de boogie-woogie des clubs de La Nouvelle-Orléans est repéré dès la fin des années 1940 par le producteur, trompettiste et chef d’orchestre Dave Bartholomew. Ensemble, ils vont élaborer cette forme de rhythm and blues indissociable de The Big Easy, le surnom de leur ville qui colle si bien à leur musique. Les succès s’enchaînent : “ the Fat Man, Going Home, Ain’t that A Shame, Blueberry hill, Blue Monday…” Fait remarquable, beaucoup de ses titres se classent  aussi bien dans les charts R&B que dans les classements Pop. Dans l’Amérique ségréguée des années 1950, Fats Domino fédère. Le public afro-américain lui est acquis, mais il séduit aussi les teenagers blancs et rassure leurs parents qui préfèrent ce brave gars débonnaire à des excités aux mœurs suspectes comme Little Richard ou Jerry Lee Lewis ! Fats Domino est aussi apprécié de ce côté de l’Atlantique, et singulièrement en France où il réconcilie amateurs de rock et de jazz. Dès 1962, il est l’affiche du festival d’Antibes et quelques mois plus tard, c’est au Palais des sports de Paris qui l’accueille. Quand les succès s’espacent, ses concerts ne désemplissent pas. Deux moments sont particulièrement prisés, celui où il fait traverser la scène à son piano, à coups de bassin, et le « When The Saints » final, prétexte à une parade typiquement New Orleans. Pure coïncidence, le coffret « Fats Domino – The Indispensable 1949 – 1962 » [CHOC] (Frémeaux & Associés / Socadisc) a paru onze jours avant l’annonce de sa mort. Les cent vingt titres répartis sur ces six CD documentent fort opportunément et parfaitement une œuvre abondante, exubérante et populaire, précieux témoignage de ce gumbo néo-orléanais que Fats Domino a régénéré en son temps et qui ne finit pas de nous étonner.
Par Jacques PERIN – JAZZ MAGAZINE