« Cadeau. Que fit Ben Webster à l’histoire du jazz. Ce son énorme du saxophone ténor au sein de l’orchestre de Duke Ellington, opulent, splendide et doux lainage sur les ballades, véhémence rauque sur les tempos vifs. La légende de Kansas City nocturne sous Pendergast, le maire corrompu, retient le « cutting contest » (bataille musicale) en jam session qui opposa Coleman Hawkins, Ben Webster et Lester Young et dont ce dernier sortit vainqueur. Son style se situait à égale distance de celui du Hawk, l’aigle impérial du jazz, et celui du Président funambule qui annonçait par son phrasé la révolution be-bop. Webster, c’était une sensualité appuyée de séducteur jouant sur le souffle, avec une sonorité de balle de coton, ou sur le muscle, avec un son tendu comme pour impressionner les dames. Alain Gerber, dans son texte de pochette savant et poétique, dit très bien l’effet de saturation que pouvait produire The Brute. La plupart du temps, il vous emportait dans une vive émotion, comme dans le Danny Boy où, accompagné par Oscar Peterson, en 1953, il vous soufflait au visage une chaude haleine d’amant. Ses chefs-d’œuvre restent — avec Ellington, Prelude to a kiss, l’idée même de l’amour, et Cotton Tail, qu’il faut passer à quiconque ignore ce qu’est le swing. Ben Webster fut un prince du jazz, exilé à Copenhague, où il apprit aux Européens ce que le genre veut dire. Tout. La vie, la mort, les astres et les désastres. »
Par Michel CONTAT - TELERAMA