« Un maître styliste en la matière. »

« “Once upon a time, I had a good girl… And once, upon a girl, I had a good time”. C’est l’une des diverses facéties par lesquelles MEMPHIS SLIM introduisait encore ses chansons quand je le vis en juillet 1987, sur la scène du Belgian Blues Festival de Peer (où il remporta un triomphe mérité). Né Peter Chatman en 1915, il devait nous quitter le 24 février 1988, après avoir vécu plus de 36 ans à Paris. Marié à une jeune française (et père d’une fille née de cette union), il avait établi ses quartiers Aux Trois Mailletz, minuscule club parisien dont le piano Grotrian Steinweg lui assurait le gagne-pain. Il y tenait cour pour l’interminable procession de touristes venus s’y encanailler, mais également pour la diaspora de bluesmen résidants ou de passage, qui (au contraire de ses compatriotes pseudo-mélomanes) ne l’avaient pas oublié en dépit de son exil, et ne lui avaient non plus jamais dénié allégeance. C’est sous le patronage de Frank Ténot et Daniel Filipacchi (et l’égide d’Europe 1) qu’il se produisit le 21 Mai 1961 à l’Olympia, devant quelques centaines de spectateurs où se mêlaient érudits du jazz et néophytes. Et au fil des 23 plages remarquablement restituées ici, on mesure le rôle pédagogique crucial qu’endossa MEMPHIS SLIM pour la vulgarisation du blues urbain auprès des masses européennes. Par-delà ses propres compositions (où l’on dénombre déjà le malicieux “If You See Kay”, dont peu parmi public français devaient goûter le double-entendre), il interprêtait également du Roosevelt Sykes, du Big Joe Turner, du Pete Johnson et du Leroy Carr, ainsi que quelques titres de ses proches, Willie Dixon et Big Bill Broonzy. Aussi affable dans ses introductions parlées que volubile au piano et au chant, c’est un MEMPHIS SLIM au sommet de ses capacités que l’on redécouvre ici en solo absolu, avec pour unique soutien rythmique les walking basses qu’il exécutait de la main gauche, tandis que sa dextre expédiait ces puissantes grappes et triolets dont il demeurait l’un des plus convaincants propagateurs. Un maître styliste en la matière. »

Par Patrick DALLONGEVILLE – PARIS MOVE